Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron
Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373825
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XIV. Pour rendre l’invention plus facile, revenez souvent et avec soin sur la narration de votre adversaire et sur la vôtre, et en formant toutes les conjectures dont chaque point est susceptible, examinez pourquoi, dans quelle intention, avec quel espoir de réussite l’action a été commise ; pourquoi de telle manière plutôt que de telle autre ; pourquoi par celui-ci plutôt que par celui-là ; pourquoi sans complices, ou avec tel complice ; pourquoi avec ou sans confidents, ou précisément avec ceux-là ; pourquoi a-t-on ou n’a-t-on pas fait telle chose avant l’action ; pourquoi celle-ci pendant l’action même ; pourquoi celle-là après ; ce qu’on a fait à dessein, ou ce qui était une suite naturelle de l’action ; si le discours est d’accord avec le fait ou conséquent en soi, si tel signe indique plutôt ceci que cela, ou l’un et l’autre, ou lequel des deux ; ce qu’on a fait d’inutile, ce qu’on n’a pas fait de nécessaire.
Après cet examen rigoureux de toutes les parties du fait, on déploiera les lieux communs dont nous avons parlé, et qu’on tenait en réserve. Tantôt séparés, tantôt réunis, ils fourniront des arguments solides, dont les uns établiront la probabilité ; les autres, la nécessité du fait. Souvent les tortures, les témoins, les bruits publics fortifient les conjectures ; et chacune des deux parties doit, par les mêmes moyens, tâcher de les faire tourner à son avantage ; car on doit tirer des soupçons de la question, des témoins et des bruits publics, comme de la cause, de la personne, et du fait même.
Aussi, suivant nous, c’est une erreur égale de penser que cette espèce de soupçons n’a nullement besoin d’art, ou bien de donner pour chaque genre une méthode particulière. En effet, on peut tirer des mêmes lieux toutes sortes de conjectures ; on peut suivre la même marche pour vérifier les dépositions arrachées par la torture, celles des témoins, les bruits publics, et pour remonter à leur source : et dans toute cause, si une partie des arguments tirés de la cause même y sont inhérents, et ne peuvent facilement s’adapter à toutes les causes de la même espèce, il en est d’autres qui s’appliquent d’une manière plus vague à toutes celles de la même espèce, ou même à la plupart des causes.
XV. Ces arguments, qui conviennent à un grand nombre de causes, nous les appelons lieux communs ; car un lieu commun sert de développement à une chose douteuse ou certaine : certaine, si vous voulez, par exemple, montrer qu’un parricide est digne des plus grands supplices ; il faut, avant d’appuyer sur ce point, prouver le crime : douteuse, quand le contraire offre des raisons également probables ; par exemple : Il faut croire aux soupçons, ou bien il ne faut pas y croire. Parmi les lieux communs, les uns s’emploient pour exciter l’indignation ou la pitié, comme nous l’avons dit plus haut ; les autres, pour appuyer quelque point qui offre des raisons pour et contre.
Ces lieux communs répandent dans le discours beaucoup d’éclat et de variété, mais si on les emploie avec mesure, et seulement quand on aura gagné l’auditeur par des preuves plus convaincantes ; car il n’est permis de traiter une question générale que lorsqu’on a développé quelque point inhérent à lu cause, et pour préparer l’auditoire à ce qui suit, ou pour le délasser, quand on a épuisé la matière. On ne peut douter, en effet, que tout ce qui orne l’élocution, tout ce qui donne de l’agrément et du poids à un discours, de la dignité au style et aux pensées, ne se rapporte aux lieux communs. Aussi les lieux communs, qui appartiennent, comme nous l’avons dit, à toutes les causes, n’appartiennent pas également à tous les orateurs ; car celui qui, par une longue habitude de la parole, n’aura pas amassé un grand fonds de pensées et d’expressions, ne pourra point leur donner les ornements et la force qu’ils exigent. Ces observations peuvent s’appliquer à tous les lieux communs en général.
XVI. Pour revenir à la question de fait en particulier, voici les lieux communs qu’elle offre ordinairement : les soupçons, les bruits publics, les témoins, les aveux arrachés par la torture, méritent ou ne méritent pas notre confiance, selon la nature et l’intérêt de la cause, et on en donne les raisons. On peut avoir ou ne pas avoir égard à la conduite passée ; un homme déjà coupable d’un tel délit, peut être ou n’être pas capable de tel autre ; il faut s’attacher surtout aux motifs, ou ne point s’y arrêter. Ces lieux communs et tous les autres semblables,qui naissent du fond du sujet, peuvent s’employer pour et contre.
Mais il y a des lieux propres à l’accusateur, comme celui qui exagère l’atrocité du fait, et celui qui nous défend la pitié pour les méchants. Il y en a de propres au défenseur, comme celui qui excite l’indignation en dévoilant la mauvaise foi de l’accusateur, et qui cherche par les plaintes à exciter la compassion. On suit, à l’égard de ces lieux communs et de tous les autres, les mêmes règles que pour toutes les autres espèces de raisonnements. Mais ceux-ci exigent plus d’art et de finesse, et en même temps plus de simplicité ; les autres, plus de force, plus d’ornements, plus de pompe dans le style et dans les pensées. Car les uns n’ont d’autre but que de prouver ; les autres, quoiqu’ils servent aussi à prouver, ont pour but l’amplification. Passons maintenant à un autre état de cause.
XVII. La discussion porte-t-elle sur les mots : comme il faut les définir, c’est une question de définition. Prenons pour exemple la cause suivante : « Le consul C. Flaminius qui, pendant la seconde guerre Punique, mit la république dans un si grand danger, était tribun du peuple, lorsque, malgré le sénat, malgré l’opposition de tous les bons citoyens, il porta les Romains à se soulever, en leur proposant la loi agraire. Son père vient l’arracher de la tribune où il présidait l’assemblée du peuple. Il est accusé de lèse-majesté. » Voici l’accusation : « Vous êtes coupable de lèse-majesté ; vous avez arraché de la tribune un magistrat du peuple. La défense : — « Je ne suis point coupable de lèse-majesté. » La question : — « Est-il coupable de lèse-majesté ? » La preuve : — « J’ai usé de « l’autorité que j’avais sur mon fils. » La réfutation : — « Mais celui qui se sert de l’autorité paternelle, c’est-à-dire, d’une autorité privée, contre la puissance tribunitienne, c’est-à-dire, contre l’autorité du peuple, est coupable de lèse-majesté. » Le point à juger : — « Est-il coupable de lèse-majesté, celui qui emploie contre un tribun l’autorité paternelle ? » C’est à cela qu’il faut rapporter tous vos raisonnements.
Mais qu’on n’aille pas s’imaginer que nous ne voyons pas d’autre question dans cette cause. Nous n’envisageons ici que le point qui nous occupe ; mais lorsque, dans ce livre, nous aurons développé chaque partie, il sera facile, avec un peu d’attention, de trouver, dans quelque cause que ce soit, toutes les questions, toutes leurs parties et tous les points de discussion qui s’y rencontrent ; car nous ne voulons rien omettre.
Le premier lieu de l’accusateur est donc la définition courte, claire et conforme à l’opinion générale, du mot dont on cherche la valeur ; par exemple : « C’est se rendre coupable de lèse-majesté que d’attenter à la majesté, ou à la grandeur, ou à la puissance du peuple, ou de ceux que le peuple a revêtus de son autorité. » Fortifiez cette courte exposition de raisons bien développées, et montrez-en la justesse. Prouvez ensuite qu’elle s’applique parfaitement à l’action de l’accusé, et que, suivant la définition que vous avez donnée du délit, votre adversaire est coupable de lèse-majesté ; appuyez-vous alors d’un lieu commun qui excite l’indignation de l’auditoire, en exagérant l’atrocité ou l’indignité de l’action.
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