Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron
Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373825
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LV. Voici maintenant les lieux d’où l’on peut tirer la plainte, dont le but est de chercher à exciter la pitié de l’auditeur. Il faut donc l’attendrir d’abord, et le préparer à des émotions plus douces, si nous voulons le rendre sensible à nos plaintes. Pour y réussir, développez des lieux communs sur la puissance irrésistible de la fortune, et sur la faiblesse des mortels. Ces pensées, exprimées d’un style grave et sentencieux, font sur les esprits une impression profonde, et les disposent à la compassion. Le malheur d’autrui leur rappelle leur propre faiblesse.
Le premier lieu qu’on emploie pour exciter la commisération oppose notre prospérité passée à notre malheur présent. Le second, embrassant plusieurs époques différentes, montre de quels maux nous avons été, nous sommes et nous serons les victimes. Le troisième appuie sur chacune des circonstances qui aggravent votre malheur. Vous perdez un fils, et vous rappelez les plaisirs innocents de son âge, son amour, vos espérances, les consolations qu’il vous donnait, le soin de son éducation. Ce sont tous ces détails qui, dans une disgrâce quelconque, rendent votre malheur plus touchant. Le quatrième lieu fait connaître les affronts, les humiliations, les traitements déshonorants et indignes de notre âge, de notre naissance, de notre fortune, de nos honneurs passés, de nos bienfaits, que nous avons soufferts, ou dont nous sommes menacés. Le cinquième est le tableau de chacun de nos malheurs, tableau si vif et si animé, que l’auditeur semble les voir, et se laisser attendrir moins par le récit que par la vue de nos disgrâces. Le sixième montre que nous sommes tombés dans le malheur au moment où nous nous y attendions le moins, et que nous avons été précipités dans cet abîme de maux quand nous nous bercions d’un vain espoir de bonheur. Par le septième, l’orateur applique à l’auditeur sa propre infortune ; il le supplie de se rappeler, en le voyant, le souvenir de ses enfants, de ses parents, de ceux qui doivent lui être chers. Dans le huitième, nous disons qu’on a fait ce qu’on ne devait pas faire, ou qu’on n’a pas fait ce qu’on devait faire ; par exemple : « Je n’étais pas près de lui, je ne l’ai pas vu, je n’ai point entendu ses dernières paroles, je n’ai point recueilli ses derniers soupirs. » Ou bien : « Il est mort entre les mains des barbares, il est étendu sans sépulture sur une terre ennemie ; longtemps exposé à la voracité des bêtes sauvages, il a été privé des honneurs de la sépulture, honneurs qu’on ne refuse à personne. » Le neuvième s’adresse à des choses muettes ou inanimées, à un cheval, une maison, un vêtement ; artifice qui touche profondément l’auditeur, en lui rappelant des souvenirs attendrissants. Le dixième expose notre pauvreté, notre faiblesse, notre isolement. Dans le onzième, on recommande à la bienveillance publique ses parents, ses enfants, le soin de sa sépulture, ou quelque chose de semblable. Dans le douzième, on se plaint d’être privé d’une personne avec qui on aimait à vivre, d’un père, d’un fils, d’un frère, d’un ami. Dans le treizième, on mêle l’indignation à la plainte, en rappelant que nous éprouvons ces cruels traitements de ceux dont nous devrions le moins les attendre ; par exemple, de la part de nos proches, de nos amis, de ceux que nous avons obligés, ou dont nous attendions du secours ; de ceux enfin pour qui c’est le plus noir des crimes, d’un esclave, d’un affranchi, d’un client ou d’un suppliant.
Le quatorzième lieu emploie l’obsécration : par des prières, par un langage humble et soumis, nous implorons la pitié des auditeurs. Dans le quinzième, nous prouvons que nous nous plaignons moins de notre infortune que de celle des personnes qui nous sont chères. Dans le seizième, nous nous montrons sensibles pour les autres, mais supérieurs à tous les malheurs qui fondent sur nous ; notre cœur est et sera inaccessible à l’abattement, à la faiblesse ; et cette fermeté ne se démentira jamais : car souvent le courage et la grandeur d’âme, qui s’expriment avec noblesse et dignité, savent mieux nous attendrir que l’humiliation et les prières. Mais les esprits une fois émus, gardez-vous d’être prolixe dans vos plaintes ; car, comme l’a dit le rhéteur Apollonius, rien ne sèche plus vile que les larmes.
Mais comme nous avons, à ce qu’il nous semble, assez développé toutes les parties oratoires, et que ce Livre nous parait assez long, il convient de renvoyer au Livre second la suite de nos préceptes.
LIVRE SECOND
I. Crotone, célèbre par son opulence, et regardée comme une des plus heureuses villes d’Italie, voulut jadis orner de peintures excellentes le temple de Junon, sa divinité tutélaire. On fit venir à grands frais Zeuxis d’Héraclée, regardé comme le premier peintre de son siècle. Après avoir peint plusieurs tableaux, dont le respect des peuples pour ce temple a conservé une partie jusqu’à nos jours, l’artiste, pour donner dans un tableau le modèle d’une beauté parfaite, résolut de faire le portrait d’Hélène. Ce projet flatta les Crotoniates qui avaient entendu vanter le talent singulier de Zeuxis pour peindre les femmes ; et ils pensèrent que s’il voulait développer tous ses moyens et tout son talent, dans un genre où il excellait, il ne pouvait manquer d’enrichir leur temple d’un chef-d’œuvre.
Leur attente ne fut point trompée. D’abord Zeuxis demanda s’ils avaient de jeunes vierges remarquables par leur beauté. On le conduisit aussitôt au gymnase, où il vit, dans un grand nombre de jeunes gens, la figure la plus noble et les plus belles proportions : car il fut un temps où les Crotoniates se distinguèrent par leur vigueur, par l’élégance et la beauté de leurs formes, et remportèrent les victoires les plus éclatantes et les plus glorieuses dans les combats gymniques. Comme il admirait les grâces et la beauté de toute cette jeunesse : Nous avons leurs soeurs, vierges encore, lui dit-on ; ce que vous voyez peut vous donner une idée de leurs charmes. — Que l’on me donne les plus belles pour modèles dans le tableau que je vous ai promis, s’écria l’artiste, et l’on trouvera dans une image muette toute la vérité de la nature.
Alors un décret du peuple rassembla dans un même lieu toutes les jeunes vierges, et donna au peintre la liberté de choisir parmi elles. Il en choisit cinq ; les poètes se sont empressés de nous transmettre les noms de celles qui obtinrent le prix de la beauté, au jugement d’un artiste qui devait savoir si bien l’apprécier. Zeuxis ne crut donc pas pouvoir trouver réunies dans une seule femme toutes les perfections qu’il voulait donner à son Hélène. En effet, la nature en aucun genre ne produit rien de parfait : elle semble craindre d’épuiser ses perfections en les prodiguant à un seul individu, et fait toujours acheter ses faveurs par quelque disgrâce.
II. Et nous aussi, dans le dessein que nous avons formé d’écrire sur l’éloquence, nous ne nous sommes point proposé un modèle unique, pour nous faire un devoir d’en calquer servilement tous les traits, mais nous avons réuni et rassemblé tous les écrivains, pour puiser dans leurs ouvrages ce qu’ils renferment de plus parfait, pour en prendre en quelque sorte la fleur. Car si, parmi les écrivains dont le nom mérite d’être conservé, il n’en est aucun qui n’offre quelque chose d’excellent, il n’en est aucun aussi qui nous semble réunir toutes les parties. Il nous a donc paru que ce serait une folie de rejeter ce qu’il y a de bon dans un écrivain, à cause de quelques défauts, ou de le suivre dans ses erreurs, quand nous avons reçu de lui d’utiles préceptes.
Que si l’on voulait suivre cette marche dans les autres arts ; si, au lieu de s’asservir opiniâtrement à un seul maître, on voulait prendre de chacun ce qu’il a de meilleur, on verrait parmi les hommes moins de présomption, moins d’entêtement dans leurs erreurs et moins d’ignorance. Si j’avais pour l’éloquence le même talent que Zeuxis pour СКАЧАТЬ