Название: Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron
Автор: Ciceron
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066373825
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Aristote rassembla tous les anciens rhéteurs depuis Tisias, le premier inventeur de l’art, et recueillit avec le plus grand soin toutes leurs leçons. II les développe avec tant de détail et de netteté, l’élégance et la précision de son style lui donnent une telle supériorité sur les inventeurs eux-mêmes, que personne n’étudie plus les premiers rhéteurs dans leurs propres écrits,et que, pour connaître leurs préceptes, on s’adresse à ce philosophe, comme à un interprète plus clair et plus facile. Ce grand homme, en mettant sous nos yeux et son opinion et celle de ses prédécesseurs, nous apprend à les connaître en se faisant connaître lui-même ; et quoique les disciples sortis de son école aient, à l’exemple de leur maître, consacré presque tous leurs soins à l’étude des plus hautes questions de la philosophie, ils nous ont néanmoins laissé, comme lui, beau coup de préceptes sur l’éloquence. D’autres rhéteurs, sortis d’une autre école, ont aussi beaucoup contribué aux progrès de l’éloquence, si l’art y contribue en quelque chose ; car Isocrate, rhéteur habile et célèbre, était contemporain d’Aristote. Nous avons perdu ses leçons ; mais ses disciples et les imitateurs qui s’empressèrent de marcher sur leurs traces et sur celle de leur maître, nous ont transmis une foule de préceptes qui venaient de lui.
IlI. De ces deux écoles différentes, l’une, livrée à la philosophie, accordait aussi quelques moments à l’étude de l’art oratoire, et l’autre s’appliquait tout entière à la théorie et à la pratique de l’éloquence ; elles ont plus tard donné naissance à une troisième qui a emprunté des deux autres tous les secours qu’elles lui offraient. Pour moi, j’ai tâché de suivre en même temps, autant que je l’ai pu, et les plus anciens et ceux qui sont venus après eux, en mêlant quelquefois mes observations à celles de mes devanciers.
Si les préceptes que nous exposons dans cet ouvrage méritent tout le soin que nous avons apporté à les recueillir, nous ne saurions regretter un travail qui ne trouvera point d’improbateurs. Si pourtant nous avions dans notre empressement omis quelque chose, ou adopté quelque opinion peu fondée, il suffira de nous avertir de notre erreur pour que nous nous hâtions de la corriger ; car ce qui fait la honte, ce n’est pas l’erreur, mais la sotte opiniâtreté avec laquelle on s’y attache. L’une tient à la faiblesse humaine, l’autre est un vice particulier de caractère. Ainsi, sans rien affirmer, nous parlerons de chaque objet avec la circonspection du doute ; et si nous ne pouvons obtenir le petit avantage de passer pour avoir tracé nos préceptes avec assez de facilité et d’élégance, nous éviterons du moins l’écueil bien plus dangereux de donner à quoi que ce soit une approbation téméraire et arrogante. C’est un système que nous suivrons toujours, autant que possible, et aujourd’hui et dans tout le cours de notre vie. Maintenant, pour ne pas trop prolonger ces réflexions préliminaires, nous allons donner la suite des préceptes.
Avec la définition de la nature de l’éloquence, de son devoir, de sa fin, de sa matière et de ses parties, le premier Livre renfermait les différents genres de causes, l’art de trouver les moyens qu’elles renferment, les questions, les points à juger, enfin les parties de la composition oratoire, et des préceptes sur chacune d’elles. Tous ces sujets sont traités à part ; mais les règles de la confirmation et de la réfutation sont éparses parmi les autres. Nous allons donc donner, pour chaque genre de cause, des lieux distincts de confirmation et de réfutation ; et comme nous avons développé avec assez de soin, dans le premier Livre, la manière de traiter les preuves, nous nous contenterons d’exposer ici, avec simplicité et sans ornement, les raisons que chaque cause peut offrir. Ainsi on trouvera ici le fond des choses, et plus haut l’art de les développer. Ce que nous allons dire se rattache donc aux différentes parties de la confirmation et de la réfutation.
IV. Toute cause, ou démonstrative, ou délibérative, on judiciaire, doit nécessairement se rapporter à un ou à plusieurs des genres de questions établis plus haut. Quoiqu’on puisse donner pour tous des principes généraux, chaque genre a néanmoins des règles différentes et particulières ; car on ne saurait employer la même méthode pour louer, blâmer, accuser, défendre, ou pour énoncer une opinion. Dans le genre judiciaire, on cherche ce qu’exige la justice ; dans le démonstratif, ce que commande l’honneur ; dans le délibératif, l’honneur et l’intérêt, du moins à notre avis ; car d’autres veulent qu’en persuadant ou dissuadant, on n’ait d’autre but que de chercher et d’exposer ce qui est conforme à l’intérêt.
Des genres qui ont une fin, un but différents, ne peuvent donc avoir la même méthode. Ce n’est pas que nous prétendions qu’ils ne peuvent offrir des questions semblables ; mais le fond même et le genre de la cause est quelquefois de faire connaître la vie d’un homme ou d’énoncer une opinion. Ainsi, nous allons donner maintenant des préceptes sur le développement des points de discussion et sur le genre judiciaire ; on pourra aisément en appliquer le plus grand nombre aux différents genres de causes qui offriront les mêmes difficultés : nous traiterons ensuite de chaque genre en particulier.
Commençons par un exemple de la question de conjecture, ou question de fait : « Un voyageur rencontre un marchand qui s’était mis en route pour faire quelque acquisition, et qui portait avec lui de l’argent. Bientôt, comme c’est l’ordinaire, ils lient conversation, et une espèce d’intimité s’établit entre eux pour le reste du voyage. Ils s’arrêtent à la même hôtellerie, et annoncent l’intention de souper ensemble et de coucher dans la même chambre. Le repas terminé, ils se retirent ensemble. L’hôte (il en fit depuis l’aveu, quand il se vit convaincu d’un autre crime) avait remarqué celui qui portait de l’argent. Au milieu de la nuit, quand il juge que la fatigue les a plongés dans un profond sommeil, il entre dans leur chambre, tire l’épée du voyageur qui l’avait placée près de lui, égorge le marchand, s’empare de son argent, remet l’épée sanglante dans le fourreau, et va se mettre au lit. Cependant le voyageur, dont l’épée avait servi à commettre le crime, s’éveille longtemps avant le jour, et appelle à plusieurs reprises son compagnon de voyage. Comme il ne répondait point, il le croit endormi, prend son épée, son bagage, et se met seul en route. Bientôt l’aubergiste s’écrie qu’on a assassiné un homme, et poursuit avec quelques-uns de ses hôtes le voyageur qui venait de partir à l’instant même. Il l’atteint, l’arrête, tire son épée du fourreau, et la trouve ensanglantée. On ramène à la ville celui qu’on croit l’assassin, on le met en jugement. » Vous avez tué, dit l’accusateur. Je n’ai pas tué, répond le défendeur. De là naît la question. Le point de discussion, comme le point à juger, a-t-il tué ? appartient au genre conjectural, c’est-à-dire à la question de fait.
V. Nous allons maintenant traiter des lieux dont toute question conjecturale peut offrir quelques-uns, et nous ferons ici une remarque générale ; c’est que tous ne se rencontrent pas dans toutes les causes. Pour écrire un mot, on n’emploie que quelques lettres, et non pas l’alphabet entier. Ainsi, dans une cause, on ne se sert pas de toutes les espèces de raisonnements, mais de ceux-là seuls qui sont nécessaires. Toute conjecture doit se tirer du motif, de la personne, ou du fait même.
Dans le motif, on distingue la passion et la préméditation. La passion est une affection violente de l’âme, qui nous pousse à une action sans nous laisser le temps de réfléchir, comme l’amour, la colère, la douleur, l’ivresse, et en général tout ce qui peut ôter à l’âme le sang-froid et l’attention nécessaires pour examiner les choses, tout ce qui peut nous faire agir par emportement plutôt que par réflexion. La préméditation est un mûr examen des raisons qui peuvent nous engager à agir ou nous en détourner. On est en droit de soutenir qu’elle nous a guidés, quand notre con-, duite semble dirigée par des motifs certains, comme par l’amitié, la vengeance, la crainte, la gloire, l’intérêt, en un mot, pour embrasser tout à la fois, par toutes les choses qui peuvent conserver, augmenter les avantages dont nous jouissons, nous en procurer de nouveaux, ou au contraire éloigner, affaiblir ou éviter tout ce qui serait capable de nous nuire. En effet, soit que l’on ait souffert ’volontairement СКАЧАТЬ