Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 19

СКАЧАТЬ la mauvaise nourriture et le peu de sommeil ne les lui ont ni creusés ni battus; cet habit si étrange n'ôte rien à la bonne grâce ni au bon air. Pour sa modestie, elle n'est pas plus grande que quand elle donnait au monde une princesse de Conti; mais c'est assez pour une carmélite. Elle me dit mille honnêtetés, me parla de vous si bien, si à propos; tout ce qu'elle dit était si assorti à sa personne que je ne crois pas qu'il y ait rien de mieux. M. de Conti l'aime et l'honore tendrement; elle est son directeur; ce prince est dévot et le sera comme son père. En vérité, cet habit et cette retraite sont une grande dignité pour elle.»

      Et plus tard madame de Sévigné oppose à l'orgueil des autres maîtresses de Louis XIV le souvenir de cette «petite violette qui se cachait sous l'herbe, honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse224.» C'est encore madame de Sévigné qui, en annonçant à sa fille la mort du frère de madame de la Vallière (gouverneur et grand sénéchal de la province du Bourbonnais), nous fait connaître l'admiration et les regrets peut-être (les passions sont si capricieuses et produisent sur les volontés humaines des effets si bizarres!) que fit éprouver à Louis XIV ce grand triomphe, dans la Vallière, de la religion sur l'amour.

      «M. de la Vallière est mort… Sœur Louise de la Miséricorde fit supplier le roi de conserver le gouvernement pour acquitter les dettes, sans faire mention de ses neveux. Le roi lui a donc donné ce gouvernement, et lui a mandé que, s'il était assez homme de bien pour voir une carmélite aussi sainte qu'elle, il irait lui dire lui-même la part qu'il prend de la perte qu'elle a faite225

      Louis XIV était sincère: la pensée du salut, qui devait bientôt le préoccuper assez fortement pour mettre un terme à la licence de ses mœurs, lui faisait mieux comprendre qu'à tous ceux qui l'entouraient ce que pouvait sur le cœur de la Vallière la passion pour Dieu. Il savait, lui, le grand coupable, que, pour avoir la plus forte part aux prières de cette vraie religieuse, il devait respecter l'enceinte où elle s'était retirée. Madame de Montespan était aussi tourmentée; mais alors, dans l'enivrement de la faveur, elle ne pouvait avoir cette même délicatesse de sentiment, et elle crut se montrer généreuse en accompagnant plusieurs fois la reine, dont elle était une dame d'honneur, dans ses visites aux grandes Carmélites. Madame de Montespan, par des questions indiscrètes et par l'offre plus indiscrète encore de ses services, s'attira une réponse courte, froide et digne de madame de la Vallière; réponse faite, dit madame de Sévigné, d'un air tout aimable et avec toute la grâce, l'esprit et la modestie imaginables226.

      Peu d'années après, Montespan, retirée de la cour, mais non du monde, et, dans le monde, tourmentée du désir de faire son salut, apprécia mieux Louise de la Miséricorde; elle en fit son amie, sa consolatrice et enfin le directeur de sa conscience227.

      La Vallière occupe plus de place dans la vie de Louis XIV par son repentir que par son amour. Cette belle victime, offerte à Dieu en expiation des désordres de ce roi, fit sur lui une impression profonde, que ni les autres maîtresses ni les distractions de la guerre ou de la politique ne purent effacer. La Vallière ne fut jamais plus présente à la pensée de Louis XIV que depuis qu'elle eut abandonné sa cour; jamais elle ne lui apparut sous des traits plus divins que lorsqu'il se fut interdit sa vue. Il saisissait avec joie les occasions de lui continuer ses bienfaits dans ses parents, dans ses enfants. Aux occasions solennelles de mort ou de mariage il était satisfait d'apprendre que la reine et toute la cour donnaient à la Vallière des témoignages d'intérêt et de vénération228. C'est dans son cloître, au pied des autels, que la Vallière a préparé, à son insu, la chute de Montespan et le long règne de Maintenon.

      Si Louis XIV, par sa conduite réservée envers Louise de la Miséricorde, a été taxé d'ingratitude et d'oubli, c'est que le monde ne connaît d'autre passion que celle qu'inspirent les enchantements de la volupté, de l'esprit ou des talents, et qu'il ignore la force d'un attachement où l'âme et le cœur ont la principale part. Louis XIV y était sensible. On sait qu'en voyant la veuve de Scarron amaigrie par la douleur d'avoir perdu l'aîné des enfants de Montespan, confié à ses soins et âgé de trois ans, il avait dit: «Elle sait bien aimer; il y aurait du plaisir à être aimé d'elle229.» Et cependant, à cette époque, cette femme lui déplaisait souverainement, parce qu'elle plaisait trop à sa maîtresse.

      CHAPITRE VI.

      1674-1675

      Le parti religieux et le parti mondain se disputent l'influence sur Louis XIV.—Réforme dans la maison de la reine.—Les filles d'honneur sont remplacées par les dames du palais.—Effets de cette mesure.—Scrupules religieux de madame de Sévigné.—Sa visite à Port-Royal des Champs.—Son admiration pour le P. Bourdaloue.—Mort du grand Condé.—Bourdaloue console le duc de Gramont après la mort du comte de Guiche.—Madame de Sévigné détrompe sa fille, qui croit que l'on peut être à la cour longtemps triste.—Changement dans les spectacles de la cour.—Pour quelle raison le Malade imaginaire ne fut pas joué à la cour.—Molière et Lulli étaient rivaux.—Après la mort de Molière, Louis XIV charge Colbert de réorganiser les spectacles de Paris.—L'Opéra devient le spectacle dominant.—Alliance de Quinault et de Lulli.—On répète chez madame de Montespan l'opéra d'Alceste.—La Rochefoucauld est appelé à ces représentations.—Éloge que fait de cet ouvrage madame de Sévigné.—Le chœur des suivants de Pluton cité.—L'impulsion donnée à l'Opéra ne profite qu'à la musique instrumentale.—L'Italie reste supérieure à la France pour tout le reste.—Madame de Sévigné va à un opéra.—Des musiciens.—Molière chez Pelissari.—Des sociétés de Paris à cette époque.—Madame Pelissari réunit chez elle les littérateurs médiocres.—Composition de l'Académie française.—Madame de Sévigné annonce à sa fille la mort prochaine de Chapelain.—Cause de son peu de sympathie pour cet ancien maître de son enfance.—Elle devient l'admiratrice de Boileau.—Elle entend la lecture de son Art poétique chez Gourville et chez M. de Pomponne.—Ce poëme est livré à l'impression.—L'auteur y intercale, au moment de la publication, quatre vers pour célébrer la seconde conquête de la Franche-Comté.—Ces quatre vers nuisent à ceux qui les suivent, auparavant composés.

      Il y avait à la cour deux partis qui se disputaient l'influence sur le roi. L'un, composé de tous les courtisans dévoués qui avaient part à ses largesses, de ceux qui désiraient obtenir à tout prix des grades, des commandements militaires, des gouvernements, de grandes charges, des intendances, des ambassades, des emplois lucratifs, des distinctions honorifiques: ceux-là pensaient que Louis XIV devait continuer le cours de ses conquêtes; que ses maîtresses, le faste de ses palais, de ses fêtes, de sa maison étaient des démonstrations obligées de sa grandeur et des manifestations nécessaires de sa puissance. Louvois et Montespan étaient les appuis naturels de ce parti. Le parti contraire aurait voulu que Louis XIV renonçât à ses maîtresses; qu'il épargnât à ses sujets le scandale de ses amours avec une femme mariée; qu'il restreignît ses dépenses et mît un terme à son ambition et qu'il n'excitât pas la haine des souverains et de toute l'Europe contre lui et contre la France. Dans ce parti étaient tous ceux qui voyaient le bien public dans le règne de la religion et des mœurs. Colbert, homme réglé dans sa conduite, pensait ainsi; mais il ne pouvait avoir sur son parti la même influence que Louvois sur le sien230. Chargé de l'administration des finances, il était obligé de mettre sans cesse de nouveaux impôts pour suffire à des dépenses qui s'accroissaient sans cesse; il ne le pouvait qu'en appesantissant de plus en plus le joug du despotisme sur les parlements, les assemblées des états, les magistrats municipaux, les membres de toutes les corporations qui jouissaient de quelque liberté, tous partisans de la paix et d'une sage réforme. La confiance que Louis XIV avait en Colbert comme habile administrateur était encore un obstacle qui СКАЧАТЬ



<p>224</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er septembre 1680), t. VII, p. 190, édit. G.; t. VI, p. 443, édit. M.—Conférez les vers de la Couronne de Julie (la duchesse de Montausier).

<p>225</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (16 octobre 1676), t. V, p. 170, édit. G.; t. V, p. 30, édit. M.

<p>226</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (29 avril 1676), t. IV, p. 412, édit. G.; t. IV, p. 272, édit. M.—Conférez MAGDELEINE DU SAINT-ESPRIT, Lettres, 1710.

<p>227</p>

Conférez MAGDELEINE DU SAINT-ESPRIT, par une dame pénitente, 1710, et l'Annuaire de l'Aube pour 1849, 2e partie, p. 25.—Réflexions sur la miséricorde de Dieu, par une dame pénitente, 1685 et 1686, in-12, p. 170.

<p>228</p>

CAYLUS, Souvenirs, édit. de Renouard, 1806, in-12, p. 89.—Ibid., t. LXVI, p. 384 de la Collect. de Petitot, 1828, in-8o.

<p>229</p>

Les souvenirs de madame DE CAYLUS sur les intrigues amoureuses de la cour, avec des notes de M. DE VOLTAIRE; seconde édition, augmentée de la défense de Louis XIV, pour servir de suite à son Siècle; au château de Ferney, 1770, in-12 (186 pages), p. 31. C'est la meilleure édition; elle a été faite sur le manuscrit donné à Voltaire par M. de Caylus (Souvenirs, 1806, in-12, p. 89, édit. de Renouard).—Idem., Collection Petitot, t. LXVI, p. 384, in-8o, 1828, édit. M. Voyez ces Mémoires sur la Vallière, sur Sévigné, t. II, p. 191, 247, 297, 505, 506; III, 45, 237, 240, 319, 325; IV, 89.

<p>230</p>

DEPPING, Correspondance administrative de Louis XIV. Lettres du roi à Colbert (18 mai et 19 juin 1674), dans les Documents historiques tirés des collections manuscrites de la Bibliothèque royale, 1843, in-4o, t. II, p. 524, 525 et 526.