Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 16

СКАЧАТЬ fûmes ensuite chez madame Colbert, qui est extrêmement civile et sait très-bien vivre. Mademoiselle de Blois dansait; c'est un prodige d'agrément et de bonne grâce. Desairs dit qu'il n'y a qu'elle qui le fasse souvenir de vous; il me prenait pour juge de sa danse, et c'était proprement mon admiration que l'on voulait: elle l'eut, en vérité, tout entière. La duchesse de la Vallière y était; elle appelle sa fille mademoiselle, et la princesse l'appelle belle maman. M. de Vermandois y était aussi. On ne voit point encore d'autres enfants. Nous allâmes voir MONSIEUR et MADAME; vous n'êtes point oubliée de MONSIEUR, et je lui fais toujours mes très-humbles remercîments. Je trouvai Vivonne, qui me dit: Maman mignonne, embrassez, je vous prie, le gouverneur de Champagne.—Et qui est-ce? lui dis-je.—C'est moi, reprit-il.—Et qui vous l'a dit?—C'est le roi, qui vient de me l'apprendre tout à l'heure. Je lui en fis mes compliments tout chauds. Madame la comtesse (de Soissons) l'espérait pour son fils190

      Presque tous les grands intérêts de cour, au moment où ces lignes furent écrites, y sont touchés.

      Le gouvernement de Champagne était devenu vacant par la mort d'Eugène-Maurice de Savoie, comte de Soissons, arrivée le 7 juin 1673. Il était naturel que ce gouvernement fût donné à son fils aîné, Louis-Thomas. Sa mère était Olympe Mancini, surintendante et chef du conseil de la maison de la reine191, qui avait conservé un grand crédit à la cour; mais madame de Montespan l'emporta sur elle, et fit donner ce gouvernement à son frère, le duc de Vivonne. Alors dans toute la force et l'éclat de sa puissance, madame de Montespan triomphait par la certitude d'être aimée sans redouter sa rivale. Lorsque, par un retour de tendresse, Louis XIV avait impérieusement redemandé la Vallière aux saintes filles du couvent de Chaillot192, celle-ci, pressentant son malheur, dit: «Hélas! mes sœurs, vous me reverrez bientôt.» Bientôt, en effet, l'abandon et la froideur toujours croissants de celui qui l'avait accoutumée à tant d'adoration et d'hommages rouvrirent plus saignantes et plus déchirantes les blessures faites à son cœur. Elle vit enfin arriver ces jours de douleur et de larmes, où la mélancolique expression de ses beaux yeux, qui tant de fois avaient fait repentir Louis XIV de ses infidélités et rallumé l'ardeur d'une flamme languissante, ne trouvait plus en lui aucune sympathie. Une nouvelle séparation était devenue indispensable; elle dut enfin s'y résigner; mais, incertaine, timide et tremblante au moindre signe de la volonté d'un maître qui avait cessé d'être amant, elle n'osait pas lui résister; elle ne savait ni comment rester avec lui ni comment le quitter. Il fuyait la présence, il évitait les regards de celle qui aurait voulu lui sacrifier sa vie. Sa vie! elle ne lui appartenait plus; elle était au père de ses enfants, enfants du sang royal, reconnus légitimes. Dans les commencements, le jeune monarque avait consenti à ce que la Vallière couvrît ses faiblesses des ombres du mystère. Deux enfants nés de ce commerce amoureux furent mis au monde et baptisés comme nés de père et de mère supposés; ces enfants moururent peu après leur naissance193, et le secret de ces passagères existences ne fut pas alors révélé. Louis XIV se lassa de ces feintes, qui le gênaient et qui lui paraissaient peu d'accord avec la dignité royale; il voulut se montrer généreux jusque dans le désordre de ses mœurs, il voulut imposer à l'opinion et se mettre au-dessus d'elle. Il rendit ses sujets confidents de ses plaisirs, et les admit à contempler la beauté de celle qui l'avait subjugué. Toute sa cour devait participer à l'enivrement de sa joie et de son bonheur. Il donna des fêtes splendides dont la Vallière fut l'objet. Au lieu de désavouer les enfants qu'il en obtint, il les reconnut et les légitima. La sincérité de ses sentiments et de son admiration pour sa belle maîtresse éclate dans les lettres patentes données après la naissance de mademoiselle de Blois, lorsqu'il érigea, pour elle et pour sa mère, la terre de Vaujour et la baronnie de Saint-Christophe en duché-pairie, sous le nom de la Vallière.

      «Nous avons cru, dit-il, par cet acte194, ne pouvoir mieux exprimer dans le public l'estime toute particulière que nous faisons de notre très-chère, bien-aimée et très-féale Louise-Françoise de la Vallière qu'en lui conférant les plus hauts titres d'honneur… Quoique sa modestie se soit souvent opposée au désir que nous avions de l'élever plus tôt dans un rang proportionné à notre estime et à ses bonnes qualités, néanmoins l'affection que nous avons pour elle et la justice, ne nous permettant plus de différer les témoignages de notre reconnaissance pour un mérite qui nous est connu, ni de refuser plus longtemps à la nature les effets de notre tendresse pour Marie-Anne, notre fille naturelle, en la personne de sa mère…»

      C'est le 2 octobre 1666 que la Vallière accoucha de cette fille, dite mademoiselle de Blois; et son frère, le comte de Vermandois, qui fut aussi légitimé, naquit, jour pour jour, un an après elle. Les trois enfants de Louis XIV et de madame de Montespan, le duc du Maine195, le comte de Vexin196 et mademoiselle de Nantes197, furent aussi légitimés. Ils s'élevaient sous l'admirable tutelle de Françoise d'Aubigné, veuve de Scarron. Les enfants de madame de la Vallière furent confiés aux soins de la femme du ministre Colbert. Les enfants de Montespan étaient trop jeunes à l'époque dont nous traitons pour être montrés à la cour. Il n'en était pas de même de ceux de la Vallière; ils étaient charmants, et Louis XIV se plaisait à les voir développer leurs grâces enfantines.

      Montespan avait intérêt à nourrir dans le cœur de Louis XIV cette prédilection pour son illégitime postérité; et à peine relevée de sa dernière couche, ne pouvant danser, elle imagina de faire danser des enfants dans les bals de la cour. Ainsi on vit MONSIEUR, frère du roi, danser avec mademoiselle de Blois, ayant à peine huit ans, et le Dauphin avec MADEMOISELLE, sa cousine, âgée de douze à treize ans198. Ces bals ressemblaient peu à ceux qui se donnaient dans la jeunesse de Louis XIV, au temps du règne de la Vallière; mais le roi s'y amusait et y dansait. Plusieurs des belles femmes de la cour, craignant l'ennui, sous divers prétextes s'abstenaient d'y paraître; ce qui ne déplaisait nullement à madame de Montespan, qui n'avait aucun désir de les faire briller.

      Dans les lettres de madame de Sévigné à sa fille pendant le mois de janvier 1674 et avant le départ du roi pour le siége de Besançon, nous lisons: «Il y a des comédies à la cour et un bal toutes les semaines. On manque de danseuses…»

      Et huit jours après:

      «Le bal fut fort triste, et finit à onze heures et demie. Le roi menait la reine; le Dauphin, MADAME; le comte de la Roche-sur-Yon, mademoiselle de Blois, habillée de velours noir avec des diamants, et un tablier et une bavette de point de France199

      Huit jours après elle écrit encore:

      «Ces bals sont pleins de petits enfants; madame de Montespan y est négligée, mais placée en perfection; elle dit que mademoiselle de Rouvroi est déjà trop vieille pour danser au bal: MADEMOISELLE, mademoiselle de Blois, les petites de Piennes, mademoiselle de Roquelaure (un peu trop vieille, elle a quinze ans); mademoiselle de Blois est un chef-d'œuvre: le roi et tout le monde en est ravi; elle vint dire au milieu du bal à madame de Richelieu: Madame, ne sauriez-vous me dire si le roi est content de moi? Elle passe près de madame de Montespan, et lui dit: Madame, vous ne regardez pas aujourd'hui vos amies. Enfin, avec de certaines chosettes sorties de sa belle bouche, elle enchante par son esprit, sans qu'on croie qu'on puisse en avoir davantage200

      On sait que cette délicieuse enfant fut depuis cette princesse de Conti célèbre par la majesté de son port et la beauté de ses traits, celle-là même qui, par la grâce et la légèreté de sa danse, troublait le sommeil du poëte:

      L'herbe l'aurait portée, une СКАЧАТЬ



<p>190</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (12 janvier 1674), t. III, p. 303, édit. G.; t. III, p. 206-207, édit. M.

<p>191</p>

État de la France, 1678, in-12, p. 375.

<p>192</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, ch. XII et XIII, p. 212 et 240.

<p>193</p>

TASCHEREAU, Revue rétrospective, numéro XI, août 1834, p. 251 à 255.

<p>194</p>

Lettres patentes données à Saint-Germain en Laye au mois de mai 1667, et registrées au parlement le 13.—Ces lettres patentes sont rapportées dans l'ouvrage de Dreux du Radier intitulé Mémoires et anecdotes des reines et régentes de France, t. VI, p. 415 du même ouvrage, édit. 1782.

<p>195</p>

Né le 31 mars 1670, mort à Sceaux le 14 mai 1736.

<p>196</p>

Né le 20 juin 1672, mort le 10 janvier 1683.

<p>197</p>

Née en juin 1673 à Tournay (MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 381), morte le 16 juin 1743.

<p>198</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (lundi, 8 janvier 1674), t. III, p. 299, édit. G; t. III, p. 203, édit. M.

<p>199</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (12 janvier 1674), t. III, p. 306, édit. G.; t. III, p. 209, édit. M.—Sur mademoiselle de Rouvroi, voyez SÉVIGNÉ, Lettres (7 juin 1675), t. III, p. 414; et Lettre de LE CAMUS, évêque de Grenoble (5 juin 1675), dans les Œuvres de Louis XIV, t. V, p. 534.

<p>200</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (19 janvier 1674), t. III, p. 317-318, édit. G.; t. III, p. 218-219.