Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 18

СКАЧАТЬ aux sublimes efforts de la vertu religieuse. Mademoiselle de la Vallière était moins aimée que madame de Montespan, parce que, nulle pour tout autre que pour son amant, préoccupée de la pensée qu'elle avait perdu ses droits à la considération, elle était mal à l'aise avec les autres femmes. Étrangère aux intrigues, à l'ambition, elle n'avait et ne voulait exercer aucun empire sur Louis XIV209; elle ne se rendait utile à personne; bonne, modeste, douce et tendre, sans aucun défaut, mais sans éminentes qualités. Aimer et être aimée, c'était sa vie. Une influence assez grande sur son amant pour verser des bienfaits, pour conférer la puissance ou les richesses pouvait seule relever cette femme de l'abaissement où elle s'était placée par ses faiblesses, même avec un roi.

      La religion, en précipitant la Vallière au pied des autels, la releva de cet abaissement. Mais on ajouta d'abord peu de foi, sinon à la sincérité, du moins à la durée de son repentir. Son prompt retour après sa retraite de Chaillot devait faire croire que cette retraite avait été un stratagème de l'amour; et on eut la même opinion quand le bruit se répandit qu'elle songeait à se retirer de la cour. Ce bruit fut ensuite démenti, et la duchesse de la Vallière fut l'objet des railleries de toutes les femmes, même de madame de Sévigné, qui (le 15 décembre 1673) écrivait à madame de Grignan: «Madame de la Vallière ne parle plus d'aucune retraite; c'est assez de l'avoir dit. Sa femme de chambre s'est jetée à ses pieds pour l'en empêcher. Peut-on résister à cela210

      Madame de Sévigné jugeait en femme vulgaire une femme qui ne l'était plus. La religion l'avait régénérée; elle lui avait donné une élévation, une énergie de caractère, une prévoyance pour l'avenir, une vigueur de pensée étrangère jusqu'alors à cette âme indolente et faible. La Vallière ne restait à la cour que pour régler, par l'entremise de Colbert, ce qui concernait la fortune de ses enfants. Par le canal de madame de Montespan, elle obtint encore du roi, auquel elle ne voulait rien demander, que la marquise de la Vallière, sa belle-sœur211, fût mise dans le nombre des nouvelles dames d'honneur de la reine qu'on avait ajoutées aux anciennes212.

      La veille de son départ de la cour, la Vallière soupa chez madame de Montespan, où mademoiselle de Montpensier alla lui faire ses adieux; et le lendemain, vendredi 20 avril (1674), elle entendit la messe du roi. Louis XIV partit aussitôt après pour se rendre en Franche-Comté assiéger Besançon, et madame de la Vallière monta en carrosse, et alla, vis-à-vis le Val-de-Grâce, se renfermer au couvent des grandes Carmélites du faubourg Saint-Jacques213.

      De quelle admiration durent être saisies toutes ces austères religieuses, tout habituées qu'elles étaient aux prodiges de la grâce divine et aux miracles du repentir, lorsqu'elles virent entrer dans leur cloître cette belle femme, disant à la mère Claire du Saint-Sacrement, leur prieure: «Ma mère, j'ai fait toute ma vie un si mauvais usage de ma volonté que je viens la remettre entre vos mains, pour ne la plus reprendre!» Jusqu'à sa mort et pendant trente-six ans elle n'eut pas un seul instant la pensée de cesser d'être fidèle à cet engagement214.

      Cet acte solennel ne persuada pas encore madame de Sévigné; elle eut de la peine à croire à l'entière conversion de celle qui cependant, au milieu de sa plus grande fortune et de sa plus haute élévation, avait voulu que Mignard la peignît au milieu de ses deux enfants, tenant un chalumeau à la main, où pendait une bulle de savon autour de laquelle on lisait écrit: Sic transit gloria mundi: «Ainsi passe la gloire du monde215

      Madame de Sévigné, huit jours après l'entrée de madame de la Vallière aux Carmélites, écrit au comte de Guitaud, alors gouverneur des îles Sainte-Marguerite:

      «Je veux parler de madame la duchesse de la Vallière. La pauvre personne a tiré la lie de tout; elle n'a pas voulu perdre un adieu ni une larme. Elle est aux Carmélites, où, huit jours durant, elle a vu ses enfants et toute la cour (c'est-à-dire ce qui en reste216). Elle a fait couper ses cheveux, mais elle a gardé deux belles boucles sur le front. Elle caquète et dit merveilles. Elle assure qu'elle est ravie d'être dans une solitude; elle croit être dans un désert, pendue à cette grille. Elle nous fait souvenir de ce que nous disait, il y a bien longtemps madame de la Fayette après avoir été deux jours à Ruel, que, pour elle, elle s'accommoderait bien de la campagne217

      Six semaines après, le troisième dimanche de la Pentecôte (le 3 juin), la Vallière revêtit l'habit des carmélites, et quitta, ayant à peine trente ans, son nom et ses titres pour prendre celui de sœur Louise de la Miséricorde. Cette cérémonie de la vêture attira un auditoire nombreux au discours que prononça dans cette occasion l'évêque d'Aire218. Nous ignorons si madame de Sévigné revint de Livry, où elle était au commencement de juin, pour assister à cette cérémonie; mais nous savons qu'elle n'assista pas à la cérémonie plus auguste qui eut lieu l'année suivante, le mardi (4 juin 1675) de la Pentecôte, lorsque la Vallière, ayant terminé son noviciat, prononça ses vœux, reçut le voile noir des mains de la reine, et dit au monde un éternel adieu. Madame de Sévigné exprima ainsi à sa fille les regrets qu'elle éprouvait de ne s'être point trouvée ce jour-là aux Carmélites avec la reine, MADEMOISELLE, mademoiselle d'Orléans, la duchesse de Longueville, la duchesse de Guise et beaucoup d'autres princesses et dames, dit la Gazette219:

      «La duchesse de la Vallière fit hier profession. Madame de Villars m'avait promis de m'y mener, et, par un malentendu, nous crûmes n'avoir point de places. Il n'y avait qu'à se présenter, quoique la reine eût dit qu'elle ne voulait pas que la permission fût étendue. Tant y a que Dieu ne le voulut pas. Madame de Villars en a été affligée. Elle fit donc cette action, cette belle et courageuse personne, comme toutes les autres de sa vie, d'une manière noble et charmante. Elle était d'une beauté qui surprit tout le monde; mais ce qui vous étonnera, c'est que le sermon de M. de Condom (Bossuet) ne fut pas aussi divin qu'on l'espérait220

      Le jugement que porte madame de Sévigné de ce discours paraîtra exact à ceux qui ne le liront pas avec les favorables préventions de l'historien du grand prélat221, qui en a jugé différemment. Cette action de la Vallière était plus sublime que la plus sublime éloquence. «Au moment où on la mit sous le drap mortuaire (dit la duchesse d'Orléans), je versai tant de larmes que je ne pus me laisser voir davantage. Après la cérémonie elle vint me trouver pour me consoler, et elle me dit qu'il fallait plutôt la féliciter que la plaindre, puisque son bonheur commençait dès ce moment222

      Cinq ans après, madame de Sévigné revit encore madame de la Vallière; et sa correspondance nous prouve que toujours elle conserva pour elle les généreux sentiments qu'elle a manifestés dans les dernières lettres que nous avons citées.

      Le 5 janvier 1680 elle écrit à sa fille223:

      «Je fus hier aux grandes Carmélites avec MADEMOISELLE (mademoiselle de Montpensier), qui eut la bonne pensée de mander à madame de Lesdiguières de me mener. Nous entrâmes dans ce saint lieu. Je fus ravie de l'esprit de la mère Agnès (Gigault de Bellefonds, sœur du maréchal); elle me parla de vous comme vous connaissant par sa sœur (la marquise de Villars). Je vis madame Stuart, belle et contente. Je vis mademoiselle d'Épernon (elle s'était faite carmélite par la douleur que lui causa la mort du chevalier de Fiesque en 1648), qui ne me trouva pas défigurée; il y avait plus de trente ans que nous ne nous étions СКАЧАТЬ



<p>209</p>

MONTPENSIER, Mémoires (1674), t. XLIII, p. 382.

<p>210</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 décembre 1673), t. III, p. 263 et 264, édit. G.; t. III, p. 172, édit. M.

<p>211</p>

Sur le frère de la Vallière, conférez SÉVIGNÉ, Lettres (16 octobre 1676), t. V, p. 176, édit. G.; t. V, p. 10, édit. M.—État de la France, 1678, in-12, p. 376.

<p>212</p>

LOUIS XIV, Œuvres, t. V, p. 524 (lettre à la reine de Portugal, en date du 23 mai 1674).—État de la France, 1677, p. 376. La marquise de la Vallière est dans cet État la dernière inscrite de celles de la création du 1er janvier 1674.

<p>213</p>

MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 383 (année 1674).

<p>214</p>

L'abbé LEQUEUX, Lettres de madame de la Vallière, morte religieuse carmélite, avec un abrégé de sa vie pénitente, p. 47.

<p>215</p>

La Vie de Pierre Mignard, Paris, 1730, in-12, p. 100; et dans l'édition d'Amsterdam, 1731, in-12, p. 84.

<p>216</p>

Le roi était devant Besançon et la reine à Dijon.

<p>217</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (28 avril 1674), t. III, p. 340, édit. G.—Lettres inédites de madame DE SÉVIGNÉ, Paris, Klostermann, 1814, in-8o, p. 6.—Id., édit. Bossange, 1819, in-12, p. 5.

<p>218</p>

BOSSUET, Lettres au maréchal de Bellefonds (6 avril 1674), t. XXXVII, p. 65, édit. 1818, in-8o.—Sermon sur la vêture de madame la duchesse de la Vallière, par M. l'abbé DE FROMENTIÈRES, dans les Lettres de madame la duchesse DE LA VALLIÈRE, 1767, in-12, p. 39, 145, 191. L'abbé Jean-Louis de Fromentières fut évêque d'Aire le 14 janvier 1673, et mourut en décembre 1684.

<p>219</p>

Recueil des Gazettes nouvelles pour 1675, Paris, 1676, in-4o, no 57, p. 409.—L'abbé LEQUEUX, Histoire de madame de la Vallière, p. 59, et dans le Recueil des Oraisons funèbres de BOSSUET, 1762, in-12, p. CLI.

<p>220</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 juin 1675), t. III, p. 403, édit. G.; t. III, p. 283, édit. M.

<p>221</p>

DE BAUSSET, Hist. de Bossuet, 4e édit., 1824, in-12, t. II, p. 40 à 42. Il est dit, dans le recueil des Oraisons funèbres de Bossuet, 1762, in-12, p. 424, que Bossuet n'a jamais publié lui-même ce sermon sur la Vallière ni communiqué son manuscrit. Et cependant on ajoute: «Il fut imprimé plusieurs fois depuis 1691, année où il fut inséré dans un recueil de pièces d'éloquence.»

<p>222</p>

Madame la duchesse D'ORLÉANS, Mémoires et Fragments, in-8o, 1832, p. 58.—Id., Mémoires de la cour de Louis XIV, 1827, in-8o, p. 56.

<p>223</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (4 janvier 1680), t. VI, p. 286, édit. G.; t. VI, p. 92, édit. M.