Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 23

СКАЧАТЬ 15 décembre (1673), elle écrit: «Je dînai hier avec M. le Duc, M. de la Rochefoucauld, madame de Thianges, madame de la Fayette, madame de Coulanges, l'abbé Têtu, M. de Marsillac et Guilleragues, chez Gourville. Vous y fûtes célébrée et souhaitée; et puis on écouta la Poétique de Despréaux, qui est un chef-d'œuvre275

      Elle n'entendit cette fois qu'une portion du poëme; car, un mois après, elle écrit encore: «De Pomponne m'a priée de dîner demain avec lui et Despréaux, qui doit lire sa Poétique.» Le surlendemain, elle commence ainsi une autre lettre: «J'allai donc dîner samedi chez M. de Pomponne, comme je vous avais dit; et puis (on dînait alors à midi), jusqu'à cinq heures, il fut enchanté, enlevé, transporté de la perfection des vers de la Poétique de Despréaux. D'Hacqueville y était. Nous parlâmes deux ou trois fois du plaisir que j'aurais de vous la voir entendre276

      J'ai dit que madame de Sévigné entendit la lecture de l'Art poétique en entier. En effet, ce poëme était achevé, puisque Boileau l'inséra dans la première édition de ses œuvres, dont il devait bientôt faire commencer l'impression et qui parut six mois après la date de la lettre de madame de Sévigné. Il y a cependant des vers, dans ce poëme, que l'auteur ne composa qu'après la lecture qu'il en avait faite chez M. de Pomponne: ce sont ceux où la conquête de la Franche-Comté est célébrée. Cette conquête ne fut commencée que six semaines après cette lecture et terminée seulement cinq jours après l'impression des Œuvres diverses du sieur D***. (Despréaux).

      Condé, qui, lorsqu'il s'était révolté, avait servi et commandé chez les Espagnols, connaissait leurs hommes d'État et leurs guerriers; il lui fut donc facile de préparer la seconde conquête de la comté de Bourgogne277. Rentrée, par le traité d'Aix-la-Chapelle, sous la domination espagnole, cette province était mécontente des dons gratuits et des subsides que l'Espagne avait exigés d'elle pour le rétablissement des fortifications détruites par la France et pour l'entretien des garnisons que la guerre forçait d'y placer. Mais cette fois aussi, mieux fortifiée, plus garnie de troupes et préparée depuis longtemps pour l'état de guerre, on ne pouvait plus la surprendre; et la conquérir était devenu plus difficile. Louis XIV empêcha très-habilement les Suisses, qui craignaient de devenir les voisins de la France, de se joindre aux Espagnols, en offrant au roi d'Espagne de déclarer la neutralité de la Franche-Comté. Il s'y refusa, quoique sollicité par les Suisses, qui s'étaient joints à Louis pour cette négociation. Dès lors l'état de guerre qui existait entre l'Espagne et la France légitima l'attaque de la Franche-Comté, et les Suisses n'eurent aucune raison valable pour s'y opposer. Gourville, l'homme de Condé, Bouchu, l'intendant de la Bourgogne, le marquis de Vaubrun préparèrent les succès de cette attaque par leurs secrètes négociations avec le prince d'Aremberg, le marquis de Listenay et don Guignones278. Le maréchal de Navailles commença l'invasion; il prit Gray en trois jours, le 1er mars; Vesoul, le 10279. Le siége de Besançon, fait par le roi en personne, fut pénible: cette place ne se rendit qu'après huit jours de tranchée, le 15 mai; et la citadelle, le 22. Dôle ouvrit ses portes le 6 juin, après sept jours de tranchée; et la Feuillade entra dans Salins le 22 juin, après un siége de sept jours. Mais la conquête de la Franche-Comté ne fut complétée que le 5 juillet, lorsque le marquis de Renel (ami et allié de Bussy) eut pris Lure et Fauconier280.

      Comme le volume des œuvres diverses de Despréaux ne fut achevé d'imprimer que le 10 juillet, et qu'après les vers où il célèbre la conquête de la Franche-Comté près des deux tiers de son volume étaient à imprimer, et que le privilége du roi est daté du 12 juin, il en résulte que ce fut après avoir livré son manuscrit à l'imprimeur, c'est-à-dire après le 22 juin, et sur les épreuves mêmes de son ouvrage, que Boileau, sans craindre qu'on lui révoquât son privilége, ajouta les vers suivants, adressés, comme ceux qui les précèdent, aux auteurs qui voudront célébrer les victoires de Louis XIV:

      Mais tandis que je parle une gloire nouvelle

      Vers ce vainqueur rapide aux Alpes vous appelle.

      Déjà Dôle et Salins sous le joug ont ployé;

      Besançon fume encor sur son roc foudroyé.

      Remarquons que ce fut au détriment du poëme que ces quatre vers furent intercalés. Les vers qui les suivent étaient, avant cette intercalation, à la suite de ceux sur le passage du Rhin et de la conquête de la Hollande, et s'appliquaient mieux à ce passage et à cette conquête qu'au siége de Besançon et de Salins. Quel auteur, dit le poëte,

      Chantera le Batave, éperdu dans l'orage,

      Soi-même se noyant pour sortir du naufrage;

      Dira les bataillons sous Mastricht enterrés,

      Dans ces affreux assauts du soleil éclairés?

      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Où sont ces grands guerriers dont les fatales ligues

      Devaient à ce torrent apporter tant de digues?

      Est-ce encore en fuyant qu'ils pensent l'arrêter

      Fiers du honteux honneur d'avoir su l'éviter281.

      Quand Despréaux écrivit ces vers, on était à la fin de l'année 1673. Le Rhin avait été passé le 12 juin 1672, et Maestricht s'était rendu au roi le 29 juin 1673. Ces exploits, quoique récents, étaient déjà anciens; ils avaient fatigué les muses adulatrices, et ces vers, au moment de leur publication, formaient un anachronisme. Louis XIV, dès la fin d'octobre de l'année précédente, pour mieux attaquer l'Espagne, avait commencé à retirer ses troupes de la Hollande: le Batave éperdu, au lieu de fuir, rentrait dans ses foyers. Les forces qui avaient envahi la république étaient postées sur le haut Rhin; et Bonne, mal fortifiée, avait capitulé le 12 novembre 1673, après huit jours de siége. La conquête de la Franche-Comté, célébrée par le poëte avant même d'être achevée, avait pour les lecteurs le mérite si grand de la nouveauté; mais les vers qui suivaient, depuis l'évacuation des places conquises sur la Hollande, n'étaient plus d'accord avec l'histoire. Le Batave, ligué avec toute l'Europe, après avoir fait rebrousser le torrent dévastateur, espérait l'anéantir ou lui imposer des digues qu'il ne pourrait franchir: il ne parvint alors qu'à en détourner le cours. Condé, à la tête d'une poignée de troupes, soutint, dans les plaines des Pays-Bas, le choc des puissances armées; Luxembourg, son disciple, leur ferma les passages de la Suisse; Turenne, ceux de l'Alsace, et il les rejeta au delà du Rhin282. Louis XIV, couvert par l'habileté de ses grands capitaines, put, en achevant la conquête de la Franche-Comté, compléter ainsi le sol de la France, depuis maintenu par la Providence dans son intégrité, malgré soixante ans de délire révolutionnaire et d'usurpations insensées283.

      CHAPITRE VII.

      1674-1675

      M. et madame de Grignan viennent à Paris.—M. de Grignan retourne en Provence.—Madame de Grignan reste avec madame de Sévigné pendant quinze mois.—Correspondance de madame de Sévigné avec Guitaud et avec Bussy.—Bussy obtient la permission de venir à Paris, et vit pendant six mois dans la société de madame de Sévigné et de madame de Grignan.—Ouverture de l'assemblée des communautés de la Provence le 3 novembre.—L'évêque de Toulouse forme opposition à M. de Grignan.—Grignan est soutenu par Guitaud, gouverneur des îles Sainte-Marguerite.—Correspondance de Bussy et de madame de Sévigné.—Détails sur la femme et les enfants de Bussy.—Sur l'aîné de ses fils, Nicolas, marquis de Bussy.—Sur СКАЧАТЬ



<p>275</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 décembre 1673), t. III, p. 262, édit. G.; t. III, p. 171, édit. M.

<p>276</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 et 15 janvier 1674), t. III, p. 307, édit. G.; t. III, p. 209, édit. M.

<p>277</p>

Voyez la 3e partie de ces Mémoires, p. 82, ch. V.

<p>278</p>

GRIFFET, Recueil de lettres pour servir d'éclaircissements à l'histoire militaire de Louis XIV, 1760, in-12, t. II, p. 262 et 270. Depuis le 7 janvier 1674 jusqu'au 11 mars, toutes ces lettres sont à tort datées de 1673; c'est 1674 qu'il faut lire. Ces fautes ne sont pas corrigées dans la table.

<p>279</p>

Mémoires du duc DE NAVAILLES et DE LA VALETTE, 1702, in-12, p. 285.—DU LONDEL, Fastes des rois, 1697, in-8o, p. 213, 214.

<p>280</p>

GRIFFET, Recueil de lettres pour servir à l'éclaircissement de l'histoire militaire de Louis XIV, t. II, p. 320.

<p>281</p>

Œuvres diverses du sieur D***, avec le Traité du sublime de Longin; Paris, chez Denis Thierry, 1674, in-4o, p. 140 et 141. (Au dernier feuillet: «Achevé d'imprimer pour la première fois le 10 juillet 1674).»

<p>282</p>

DESORMEAUX, Histoire de Louis, prince de Condé, 1769, in-12, p. 380.—RAMSAY, Histoire du vicomte de Turenne, 1773, in-12, t. II, p. 240 à 304.—DESCHAMPS, Dernières campagnes de M. de Turenne, dans l'Histoire du vicomte de Turenne, t. III, p. 306-406—PELLISSON, Histoire de Louis XIV, Paris, 1749, in-12, t. III, p. 227-228.

<p>283</p>

LOUIS XIV, Œuvres, fragment sur la conquête de la Franche-Comté.—Et le général GRIMOARD, Précis sur la conquête de la Franche-Comté, dans les Œuvres de LOUIS XIV, t. III, p. 453 et 473.—Recueil de lettres pour servir d'éclaircissement à l'histoire militaire de Louis XIV, 1760, in-12, t. II, p. 273, 286.