Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 17

СКАЧАТЬ de divertissement à sa rivale; et Louis, sans en être ému, trouvait bon qu'une autre que celle qui les avait mis au monde s'en emparât pour lui procurer de la distraction et le rendre sensible aux sentiments de la paternité. Montespan, par ses couches fréquentes, fut conduite à ce calcul; mais elle eut la douleur de voir qu'une autre en recueillît les fruits. Le duc du Maine, prince si faible et si médiocre, mais enfant précoce, fut le préféré de Louis: loin que sa mère en profitât, il prépara le règne de l'habile institutrice que Montespan avait appelée près d'elle pour élever sa royale famille.

      Quant à la Vallière, son cœur était encore trop opprimé par sa passion pour trouver des consolations dans les joies maternelles. La vue de ses enfants lui rappelait au contraire tout ce qu'avaient de cruel l'indifférence et l'abandon de celui qui les honorait de ses paternelles tendresses. Elle eut la pensée de se retirer près de son amie, mademoiselle de la Mothe d'Argencourt202, dans le couvent de Chaillot, qui eût ainsi réuni deux victimes d'un même amour. Sa mère l'engageait à prendre ce parti. Celle-ci calculait que sa fille avait à peine trente ans, et que sa beauté, ses grandes richesses, son titre de duchesse qu'elle tenait du roi détermineraient quelque grand et puissant personnage à demander sa main. Le bruit courait que le duc de Longueville et Lauzun en étaient amoureux et désiraient l'épouser. Elle pourrait donc reparaître dans le monde avec un double avantage, briller encore à la cour, et éclipser Montespan, qui, quoique supérieure à elle par la naissance, lui était inférieure par le rang. Nul doute qu'un mariage honorable n'eût été pour la Vallière le meilleur parti et le seul qui pût lui assurer une existence calme et heureuse; mais pour que ce mariage pût avoir lieu il fallait qu'elle le voulût et que le roi y donnât son adhésion. La Vallière fut toujours incapable d'aucun calcul d'intérêt personnel. Sa passion avait triomphé de sa pudeur; mais son âme était restée chaste et pure, toujours ouverte aux aspirations de la piété et du repentir, et elle eût considéré comme une honte de s'unir à un autre homme que l'unique auquel son honneur avait été sacrifié. Louis XIV était incapable de faire souffrir à celle qu'il avait tant aimée le moindre des outrages dont on l'a accusé; mais, sans désirer que la Vallière restât à sa cour, il craignait, en la laissant s'éloigner, de lui accorder trop de liberté. Il l'empêchait de voir sa mère, qu'il n'estimait pas et dont il se défiait; et il favorisait indirectement ses longs entretiens avec le maréchal de Bellefonds, bien connu pour sa pieuse ferveur et par son étroite liaison avec Bossuet. Bellefonds soutint la Vallière dans la résolution qu'elle voulait prendre de s'éloigner de Louis XIV, de ne plus le revoir, de diriger vers Dieu toutes ses pensées, toutes ses affections. Il fallait, pour exécuter cette courageuse résolution, le consentement de Louis XIV, auquel elle n'était pas libre de désobéir, auquel elle n'aurait pas voulu refuser de se soumettre lors même qu'elle en eût eu le pouvoir. Elle pensa d'abord à se retirer au couvent des Capucines. Mais le maréchal de Bellefonds avait une sœur qui était prieure des Carmélites de Paris. La Vallière la rendit confidente de ses peines, et celle-ci parvint à lui persuader que plus grande serait son expiation, plus grandes seraient la grâce de Dieu et ses espérances de salut. Fortement préoccupée de cette pensée, la Vallière eut l'idée de se faire carmélite. C'était là une rude et difficile détermination à prendre. L'austérité des règles prescrites par sainte Thérèse faisait pâlir d'effroi la piété la plus fervente; et pour celle dont la vie s'était écoulée dans les délices du luxe et de la mollesse, au milieu des pompes et des orgueilleuses jouissances de la grandeur, se faire carmélite, c'était s'immoler vivante dans un tombeau, comme une vestale criminelle des temps antiques, sans espérance de trouver comme elle, par la mort, une prompte fin à son supplice.

      Aussi la Vallière hésitait-elle beaucoup. A mesure que la religion s'emparait de sa pensée, le repentir même de ses fautes ravivait dans son cœur ses souvenirs d'amour, et sa tendresse pour ses enfants renaissait avec plus de force. Elle regrettait surtout de se séparer de sa charmante fille, mademoiselle de Blois203. Cependant de nombreuses conférences avec Bossuet, avec le P. Bourdaloue, le P. Cazan et avec de Rancé, abbé de la Trappe204, achevèrent de l'affermir dans sa résolution. Mais elle voulait que cette résolution fût inébranlable, et la peur qu'elle avait d'en être détournée par le roi lui faisait craindre de lui en parler.

      Elle pria Bossuet de traiter d'abord de cette affaire avec madame de Montespan; celle-ci, effrayée d'un si étrange projet, le combattit, et tâcha même de le rendre impossible en le tournant en ridicule. Montespan voyait sa rivale, par cette immolation, devenir un objet d'admiration et de pitié; et, ce qui la touchait plus fortement, elle pressentait que le blâme d'avoir permis un si cruel sacrifice rejaillirait sur elle, et ferait ressortir plus fortement le scandale qu'elle donnait au monde. L'austère prélat insista; et tel était alors l'empire de la religion, même sur les rois les plus absolus, que Louis XIV, quoiqu'il en eût le désir, n'osa pas s'opposer à Bossuet et l'empêcher de continuer son œuvre205. Madame de la Vallière, pour transporter à Dieu cette sensibilité qui débordait, évita tout ce qui pouvait rappeler en elle le désir de plaire au roi; elle eut soin de se vêtir avec plus de simplicité et de modestie; elle rechercha les occasions d'humiliation que faisait naître le triomphe de sa rivale. Celle-ci, aigrie par la jalousie, les saisissait avec un empressement qu'elle croyait cruel; mais elle se trompait, la Vallière lui savait gré de ses rigueurs. Elle s'exerçait à souffrir. Elle répondait à Montespan avec douceur; elle la parait de ses propres mains. Quand la Vallière reconnut que Montespan ne lui inspirait plus aucun mouvement de jalousie, quand elle sentit qu'elle lui faisait éprouver un sentiment de bienveillance et de compassion, elle cessa de désespérer de sa force. Elle se sentit suffisamment transformée pour exécuter son effrayante résolution. Elle aimait encore Louis plus qu'elle-même; mais cet amour était bien faible en comparaison de celui dont elle se sentait embrasée pour Jésus-Christ. Ce fut alors que, pour effacer les vains fantômes de sa vie passée et pour s'affermir dans cet état de volupté divine dont elle était redevable à la grâce, elle écrivit ces Réflexions sur la miséricorde de Dieu dont on lui a dérobé longtemps après le manuscrit pour le publier206. Cet ouvrage n'est qu'une continuelle prière pour demander à Dieu le don de la prière. Elle trouva dans ses aspirations religieuses un calme si grand, un tel désir d'une autre existence qu'il devint évident pour ceux qui la voyaient que Louis XIV lui-même n'aurait pu, par les plus tendres protestations, la ramener à lui. Sa tranquille joie augmentait à mesure que le temps approchait où elle devait se renfermer. Bossuet, accoutumé à ces retours de l'âme, dont il était un si grand et si heureux artisan, en fut cependant étonné; et il écrivit au maréchal de Bellefonds: «C'est la force et l'humilité qui accompagnent toutes ses pensées. Elle ne respire plus que la pénitence; et, sans être effrayée de l'austérité de la vie qu'elle est prête à embrasser, elle en regarde la fin avec une consolation qui ne lui permet pas d'en craindre la peine. Cela me ravit et me confond: je parle, et elle fait; j'ai les discours, elle a les œuvres. Quand je considère ces choses, j'entre dans le désir de me taire et de me cacher; et je ne prononce pas un seul mot où je ne croie prononcer ma condamnation207.» Dans la chambre même de la duchesse de la Vallière, Bossuet écrit encore: «C'est s'abîmer dans la mort que de se chercher soi-même. Sortir de soi-même pour aller à Dieu, c'est la vie.» Cette seule phrase peut nous faire juger avec quelle énergique éloquence le prélat encourageait la Vallière à persister dans sa pieuse résolution.

      «J'étais curieuse de savoir (écrivait madame la duchesse d'Orléans) pourquoi elle était restée si longtemps comme une suivante chez la Montespan. Elle me dit que Dieu avait touché son cœur; qu'il lui avait fait connaître son péché, et qu'elle avait pensé qu'il fallait en faire pénitence et souffrir, par conséquent, ce qui lui serait le plus douloureux… Et puisque son péché avait été public, il fallait que sa pénitence le fût aussi… Elle avait offert à Dieu toutes ses douleurs, et Dieu lui avait inspiré la résolution de ne servir que lui; mais qu'elle se regardait comme indigne de vivre auprès d'âmes aussi pures que l'étaient les autres carmélites. СКАЧАТЬ



<p>202</p>

Sur mademoiselle la Mothe d'Argencourt, voyez les Mémoires sur SÉVIGNÉ, 2e partie, chap. IX, p. 109, 114.

<p>203</p>

Lettre de madame DE LA VALLIÈRE au maréchal de Bellefonds (3 février 1674), citée dans BAUSSET, Hist. de Bossuet, livre V, t. II, p. 35, édit. in-12.—MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 382.—Madame DE LA VALLIÈRE, Lettres, 1747, in-12, p. 27.

<p>204</p>

L'abbé LEQUEUX, Histoire de madame de la Vallière, p. 27, dans les Lettres de madame la duchesse de la Vallière, 1767, in-12.—Madame la duchesse D'ORLÉANS, Fragments de lettres, 1788, in-12, t. I, p. 112.—Idem, Mémoires, Paris, 1832, in-8o, p. 58.

<p>205</p>

BOSSUET, Œuvres, édit. 1818, in-8o, t. XXXVII, p. 55-66 (lettres au maréchal de Bellefonds, datées de Saint-Germain, le 25 décembre 1673, 27 janvier 1674; de Versailles, le 8 février et 6 avril 1674).

<p>206</p>

LA VALLIÈRE, Réflexions sur la miséricorde de Dieu, par une dame pénitente; Paris, Antoine Dezallier, 1680, in-12. C'est la première édition; elle fut achevée d'imprimer le 20 juin 1680. Une nouvelle édition parut, augmentée de prières tirées de l'Écriture sainte et du récit abrégé de la vie pénitente et de la sainte mort de madame la duchesse de la Vallière; Paris, Christophe David, 1726, in-12.—Conférez l'abbé LEQUEUX, Histoire de la Vallière, dans les Lettres, 1768, in-12, p. 25.—Une nouvelle édition des Réflexions et des Lettres a été donnée par Maradan en 1807; elle est précédée d'une Vie pénitente de madame de la Vallière, par madame DE GENLIS.

<p>207</p>

BOSSUET, Œuvres, édit. 1818, in-8o, t. XXXVII, p. 66 (lettre au maréchal de Bellefonds, Versailles, ce 6 avril 1674).—Ibid. (lettres du 27 janvier 1674), t. XXXVII, p. 58.