Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 22

СКАЧАТЬ Cambert257 devait être agréablement surprise de cette variété d'instruments, de ces timbales, de ces trompettes qui produisaient, par leur éclatante harmonie, des effets inconnus à la musique française. Les récitatifs du musicien florentin, admirés encore de nos artistes modernes par la vérité de la déclamation et la justesse de la prosodie, ne devaient pas médiocrement toucher des femmes d'un goût aussi exercé que madame de la Fayette et madame de Sévigné. Le beau chœur des suivants de Pluton, qui se réjouissent de la venue d'Alceste dans les enfers, rehaussé par la musique de Lulli, était surtout propre à alarmer la constitution maladive et vaporeuse de madame de la Fayette:

      Tout mortel doit ici paraître:

      On ne peut naître

      Que pour mourir.

      De cent maux le trépas délivre:

      Qui cherche à vivre

      Cherche à souffrir.

      Chacun vient ici-bas prendre place;

      Sans cesse on y passe,

      Jamais on n'en sort.

      Est-on sage

      De fuir ce passage?

      C'est un orage

      Qui mène au port.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      Plaintes, cris, larmes,

      Tout est sans armes

      Contre la mort.

      Chacun vient ici-bas prendre place;

      Sans cesse on y passe,

      Jamais on n'en sort258.

      Cependant l'impulsion donnée par la faveur de Louis XIV au théâtre de l'Opéra, décoré du nom d'Académie, ne profita bien qu'à la musique et à la danse. La France resta toujours inférieure à l'Italie sous le rapport des machines et des décorations comme sous celui du chant et de la poésie. Les plus belles pièces de Quinault ne sont pas comparables aux plus médiocres de Métastase; et néanmoins aucun de nos poëtes, depuis Louis XIV, n'a réussi mieux que Quinault dans ce genre de composition. Mais l'Opéra français devint, dès son début au Palais-Royal, supérieur dans la musique instrumentale. Le poëme, les danses, les ballets n'excitaient qu'un plaisir secondaire en comparaison des belles symphonies que Lulli composait; ses opéras ressemblaient à des concerts. C'est ce dont se plaint amèrement la Bruyère, ce grand peintre de la société française dans le grand siècle259. Les imitateurs du Florentin profitèrent du goût régnant pour composer des opéras courts, presque sans récitatifs, tout en symphonies et qui pouvaient se passer des prestiges du théâtre. Un musicien nommé Molière (qui n'avait rien de commun que le nom avec le grand comique) paraît avoir particulièrement réussi dans ces opéras-concerts, dont l'abbé Tallemant composait les paroles et qu'il faisait chanter chez lui et dans des fêtes particulières260. Le 5 février (jour anniversaire de sa naissance), madame de Sévigné écrit à sa fille: «Je m'en vais à un petit opéra de Molière, beau-père d'Itier261, qui se chante chez Pelissari; c'est une musique très-parfaite. M. le Prince, M. le Duc et madame la Duchesse y seront.»

      Pelissari était un riche financier, ami de Gourville et de d'Hervart262. Madame de Sévigné l'avait connu chez Fouquet au temps de la Fronde, et avec lui, comme avec Jeannin de Castille, elle était restée liée. Déjà les plus grands personnages de ce temps aimaient à se réunir chez ces riches roturiers, qui acquirent dans le siècle suivant une influence toujours croissante. Le jeu, la bonne chère faisaient éprouver à tous ces hommes de la cour des plaisirs plus vifs que ceux qu'ils devaient à la magnificence du monarque, parce que les plus élevés parvenaient, par la familiarité même de leur excessive politesse, à faire régner dans ces cercles, honorés par leur présence, tout le charme d'une parfaite égalité sans rien perdre des avantages que leur donnait la supériorité de leur rang et de leur naissance; et depuis lors ce fut là le triomphe du savoir-vivre et du suprême bon ton. Ainsi nous voyons madame de Sévigné, vivement pressée de se rendre à une invitation de la duchesse de Chaulnes avec les cardinaux de Retz et de Bouillon, préférer un souper chez Gourville263, où elle devait se réunir avec toute sa société, M. de la Rochefoucauld, madame de la Fayette, M. le Duc, le comte de Briord264, son aide de camp, madame de Thianges, madame de Coulanges, Corbinelli. Madame de Sévigné ne pouvait être attirée chez Pelissari que les jours de concerts et de grandes réunions. La société de madame Pelissari était toute différente de la sienne. Celle-ci recevait beaucoup d'hommes de lettres, mais c'étaient précisément ceux qui régnaient alors à l'Académie et qui n'avaient aucun succès à l'hôtel de la Rochefoucauld. Pavillon était le Voiture de ce pastiche de l'hôtel de Rambouillet265. Le jour que madame de Sévigné se rendit chez madame Pelissari pour entendre l'opéra de Molière, elle dut y trouver Cotin, qui récita peu après, en séance publique, des vers à la louange du roi; Gilles Boileau266, l'ami de Cotin et l'ennemi de Despréaux, son frère; puis Furetière, Charpentier, l'abbé Tallemant, Perrault, le vieux Bois-Robert, Quinault, Regnier, Desmarais, Benserade et d'autres moins connus. C'étaient alors les coryphées de l'Académie française, peuplée en majeure partie de grands seigneurs, loués par leurs confrères en vers et en prose. Ceux-ci formaient une ligue en faveur des médiocrités intrigantes; ils exaltaient le siècle présent, et dépréciaient tous les siècles qui l'avaient précédé. Leur règne allait cesser. A la vérité Despréaux et la Fontaine devaient attendre dix ans encore leur admission à l'Académie; mais déjà depuis deux ou trois ans l'ennemi avait commencé à pénétrer dans la place. Bossuet avait été reçu de l'Académie en 1671, Racine et Fléchier en 1673, le savant Huet, qui écrivait des poëmes charmants dans la langue de Virgile, en 1674. Benserade, sans beaucoup d'avantages pour l'illustre compagnie, allait y remplacer Chapelain. Madame de Sévigné ne manque pas de donner à madame de Grignan des nouvelles de ce dernier, si connu d'elle et de toute sa famille: «M. Chapelain se meurt; il a une manière d'apoplexie qui l'empêche de parler; il se confesse en serrant la main; il est dans sa chaise comme une statue: ainsi Dieu confond l'orgueil des philosophes. Adieu, ma bonne267

      On est étonné du peu d'affection que manifeste en cette circonstance madame de Sévigné pour l'ancien précepteur des MM. de la Trousse, ses parents; pour celui qui, avec Ménage, lui avait donné à elle-même des leçons dont elle avait si bien profité. Mais Chapelain, qui avait été une des grandes notabilités littéraires chez la marquise de Sablé268, dans les réunions hebdomadaires de mademoiselle de Scudéry et à l'hôtel de Rambouillet, où Arnauld d'Andilly l'avait introduit269, où ses liaisons avec les solitaires de Port-Royal lui donnaient de l'importance; cet auteur tant prôné, si magnifiquement récompensé par les ducs de Longueville et de Montausier; ce juge souverain en matière de goût, selon Balzac270, était devenu ridicule par la publication de son grand poëme et par son avarice271. On convenait que Boileau Despréaux, pour répondre aux reproches que lui adressait le spirituel de Coupeauville272 d'avoir si maltraité le chantre malencontreux de la célèbre Pucelle, avait eu raison de dire: «Mais je n'ai été que le secrétaire du public; je ne suis coupable que d'avoir dit en vers ce que tout le monde dit en prose273.» Madame de Sévigné fut tout étonnée de voir le satirique «s'attendrir pour le pauvre Chapelain,» et elle lui pardonnait de s'être montré si cruel en vers, puisqu'il était si tendre en proseСКАЧАТЬ



<p>257</p>

DE BEAUCHAMPS, Recherches sur les théâtres de France, t. III, p. 202-207.

<p>258</p>

QUINAULT, Alceste, tragédie, acte III, scène 3, t. IV, p. 182 du Théâtre de M. QUINAULT, 1715, in-12.

<p>259</p>

LA BRUYÈRE, Caractères, ch. I, no XLVII, p. 165.

<p>260</p>

B. DE BEAUCHAMPS, Recherches sur les théâtres de France, t. III, p. 178.—PAVILLON (lettre à mademoiselle Itier), Œuvres, édit. 1750, in-12, p. 96.

<p>261</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 février 1674), t. III, p. 335, édit. M.; t. III, p. 233, édit. M.

<p>262</p>

DE GOURVILLE, Mémoires (1657), collect. de Petitot, t. LII, p. 317-341.

<p>263</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (5 février 1674), t. III, p. 335, édit. G.; t. III, p. 233, édit. M.—PAVILLON, Œuvres, édit. 1750, t. I, p. LXXVIII, Remarques sur Briord.

<p>264</p>

Voyez Lettres de LOUIS XIV au comte de Briord, la Haye, 1726, pet. in-12, 209 pag.; pièces justificatives, 50 pag.

<p>265</p>

PAVILLON, Œuvres, édit. 1750, t. I, p. 154. Conférez t. I, p. 146, 148, 152, 157, 165, et t. II, p. 202, 205, 284.

<p>266</p>

D'OLIVET, Histoire de l'Académie françoise, édit. in-4o, 1729, t. II, p. 158.

<p>267</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (13 novembre 1673), t. III, p. 223, édit. G.; t. III, p. 139, édit. M.—Chapelain ne mourut que plusieurs mois après cette lettre, le 22 février 1674.

<p>268</p>

TALLEMANT DES RÉAUX, Historiettes, t. II, p. 399, 416, édit. in-8o; t. IV, p. 152, 170, édit. in-12.—D'OLIVET, Histoire de l'Académie françoise, édit. 1729, in-4o, t. II, p. 124.

<p>269</p>

SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. III, p. 470.

<p>270</p>

Vie de Costar, t. VI, p. 263 des Historiettes de TALLEMANT DES RÉAUX, et ibid., p. 264 et 265. Lettres autographes d'Arnauld d'Andilly et de Chapelain.

<p>271</p>

D'OLIVET, Histoire de l'Académie françoise, édit. in-4o, t. II, p. 128.

<p>272</p>

CLAUDE DUVAL DE COUPEAUVILLE, abbé de la Victoire, mort en 1676. Conférez sur ce personnage SÉVIGNÉ, Lettres (27 février 1671), éd. G.; t. I, p. 265, édit. M. (M. M. a corrigé sa note ailleurs.)—TALLEMANT DES RÉAUX, Historiettes, t. II, p. 303-332 (et la note 726 à la page 330), édit. in-8o; t. IV, p. 87, 88, et la note 1.—Ménagiana, t. II, p. 1; t. III, p. 79.

<p>273</p>

Œuvres de BOILEAU DESPRÉAUX, édit. de Saint-Marc, 1747, t. I, p. 154. Note sur le vers 203 de la satire IX.