Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ dans les intervalles de repos que les grossesses ou les infirmités imposaient à la maîtresse dont il était épris; mais alors il fallait encore que celles qui le rendaient infidèle, en affrontant les lois de la pudeur, parussent entraînées par la passion qu'il leur inspirait; et comme il était un des plus beaux hommes de son royaume, il suffisait aux beautés dont il était assiégé d'assortir leurs regards aux illusions de son amour-propre. De là cette politesse attentive envers les femmes de tous rangs, dont il fut le plus parfait modèle; cette élégance des manières, si fort en honneur à la cour d'Anne d'Autriche et à l'hôtel de Rambouillet, qui, par l'empire que Louis XIV avait acquis sur sa cour, a régi la société française pendant tout le cours de son règne et qui, malgré les mœurs crapuleuses du règne suivant, malgré nos hideuses révolutions, n'ont pu, après un siècle et demi, disparaître entièrement du caractère national.

      Cependant tant d'entraînements opposés et d'inclinations contraires créaient à Louis XIV des obstacles pour le gouvernement de sa cour. Sa renommée remplissait le monde, et le monde s'occupait de lui. On cherchait à pénétrer dans les secrets de l'existence intérieure de celui dont l'influence était si forte sur la fortune des États et des individus. Voilà pourquoi ce qui concerne ses maîtresses et les anecdotes de sa vie privée sont des faits qui ont une grande importance historique; mais ils ont besoin qu'on leur applique ce même esprit critique sans lequel l'histoire ne peut nous retracer qu'une image incomplète et fantastique du passé.

      Le 1er janvier 1674, Louis XIV opéra un changement considérable dans la maison de la reine. Il supprima les filles d'honneur, qui, pour la plupart, avaient une réputation équivoque, à laquelle le roi avait beaucoup contribué181. Elles furent remplacées par des femmes mariées à de hauts personnages et portant de grands noms. Ce furent d'abord cinq dames d'honneur ou dames du palais, ajoutées aux sept qui existaient déjà. Elles furent toutes assujetties auprès de la reine au même service que les filles d'honneur, sans qu'aucune d'elles pût s'en exempter, même lorsqu'elles étaient enceintes182. Madame de Sévigné nous apprend que les uns attribuaient cette mesure à l'inquiète jalousie de Montespan, et d'autres à ce que, pour écarter une seule de ces filles d'honneur, on les renvoya toutes. Ces conjectures sont démenties, selon nous, par les faits que madame de Sévigné elle-même nous apprend. «Le roi, dit-elle, veut de la soumission. Il est très-sûr qu'en certain lieu on ne veut séparer aucune femme de son mari ou de ses devoirs; on n'aime pas le bruit, à moins qu'on ne le fasse183

      Louis XIV se dégageait peu à peu, par les années, de la tyrannie de sa constitution chaleureuse, et il cédait de plus en plus au sentiment de dignité morale qui ne l'abandonna jamais entièrement. Il voulait racheter par son respect pour la religion et par les services qu'il croyait lui rendre les graves infractions faites à ses saintes lois. Il ne lui suffisait pas que les dames du palais eussent un bon renom de fidélité conjugale, il aurait désiré auprès de sa pieuse épouse des femmes qui lui ressemblassent. Alors prévalut, parmi celles qui voulaient parvenir aux dignités et aux honneurs (le nombre en était grand), une pruderie et une affectation de piété dont madame de Sévigné, dans l'intime secret de sa correspondance avec sa fille, se moque en toute occasion. «La princesse d'Harcourt, dit-elle, danse au bal, et même toutes les petites danses; vous pouvez penser combien on trouve qu'elle a jeté le froc aux orties et qu'elle a fait la dévote pour être dame du palais! Elle disait il y a deux jours: Je suis une païenne auprès de ma sœur d'Aumont. On trouve qu'elle dit bien présentement: La sœur d'Aumont n'a pris goût à rien; elle est toujours de méchante humeur, et ne cherche qu'à ensevelir les morts. La princesse d'Harcourt n'a point encore mis de rouge; elle dit à tout moment: J'en mettrai si la reine ou M. le prince d'Harcourt me le commandent. La reine ne lui commande pas, ni le prince d'Harcourt; de sorte qu'elle se pince les joues, et l'on croit que M. de Sainte-Beuve (savant casuiste et théologien de la Sorbonne) entre dans ce tempérament184

      Lorsque Mazarin, d'après les considérations de la politique, décida que le roi de France s'unirait à l'infante d'Espagne, le jeune monarque, alors dans toute la fougue de l'âge, était épris de Marie Mancini. L'infante espagnole, timide, froide et gauche, avec ses grands yeux d'un bleu pâle, sa figure d'un blond argenté, son teint d'un blanc blafard, le vermillon de ses lèvres épaisses qui faisait ressortir le peu de blancheur de ses dents, contrastait désagréablement avec les attraits de cette belle et gracieuse Italienne au teint coloré, à la taille élancée, à la parole chaleureuse, aux regards enflammés185. Le jeune roi fut obligé de résister à ses plus ardents désirs et de refouler dans son cœur ses plus tendres sentiments en recevant dans ses bras Marie-Thérèse. Celle-ci ne put jamais inspirer de l'amour à son époux; mais elle était bonne, douce, pieuse; et de toutes les femmes qui se passionnèrent pour Louis jusqu'à l'idolâtrie aucune ne l'aima plus fortement, plus constamment. Il le savait, et, malgré toutes les séductions qui l'entraînaient, il eut toujours pour elle les procédés d'un honnête homme qui connaît tout le prix d'une épouse fidèle et d'un roi qui n'ignore pas qu'un des plus grands intérêts de sa politique est celui de perpétuer sa race. Il en eut six enfants; tous moururent jeunes, excepté le premier, qui fut dauphin; et comme cet aîné fut un homme d'un esprit médiocre et d'un caractère peu aimable, malgré les soins de Montausier et de Bossuet, ou peut-être en partie à cause de ces soins, Louis XIV préférait à tous ses enfants ceux qu'il eut de ses maîtresses. Mais il environna toujours de respect et d'hommages sa compagne couronnée, la mère du Dauphin et de toute la progéniture légitime et royale. Soumise à toutes ses volontés, elle les devinait dans ses yeux; elle ne pensait, elle n'agissait que par lui; la peur de lui déplaire la glaçait d'effroi, et son amour augmentait sa crainte. Pour qu'aucune femme n'aigrît en elle les sentiments de jalousie qui la tourmentaient, Louis XIV ne se contenta pas de remplacer les filles d'honneur par des dames du palais, il renvoya dans leur pays toutes les femmes de chambre espagnoles que la reine186 avait amenées avec elle, et mit à leur place des femmes de chambre françaises. Ce changement parut dur à Marie-Thérèse; mais elle n'osa pas s'en plaindre, et ce fut par madame de Montespan qu'elle obtint de pouvoir garder la plus jeune et la plus chérie de ses femmes espagnoles187.

      Marie-Thérèse, élevée pour un trône, avait cependant de la grandeur et de la dignité; ce fut elle qui répondit naïvement qu'elle n'avait pu devenir amoureuse d'aucun homme à la cour de son père, parce qu'il n'y avait d'autre roi que lui. Elle savait tenir une cour; mais, élevée dans l'ignorance et sans goût pour la lecture, elle aimait les jeux de cartes; ce qui plaisait d'autant plus aux dames d'honneur et aux femmes admises à l'honneur de faire habituellement sa partie qu'elle ne savait pas bien jouer, et qu'elle perdait presque toujours. Celles qui, par leurs charges, étaient obligées de l'accompagner partout ne sympathisaient pas avec sa dévotion, et trouvaient pénible d'aller tous les jours à vêpres, au sermon, au salut: «Ainsi, disait à ce propos madame de Sévigné, rien n'est pur en ce monde188

      Lorsqu'il allait faire la guerre en personne, Louis XIV transportait la reine et sa cour dans les lieux les moins éloignés des opérations militaires. Quand ses plans de campagne devaient se porter hors du royaume et auraient exposé la reine à quelques dangers, il la laissait à Versailles et la décorait du titre de régente. Si donc Marie-Thérèse ne suffisait pas au bonheur de Louis XIV, elle y contribuait, et ne le troublait en rien. Il n'en était pas de même des maîtresses: leur rivalité, celle de leurs enfants, qui tous issus du même père se croyaient les mêmes droits aux bienfaits et à la faveur, y fomentaient des divisions et des haines189. Le passage suivant d'une des lettres de madame de Sévigné nous dessine trop exactement l'état de la cour sous ce rapport, à l'époque dont nous nous occupons, pour que nous ne le transcrivions pas:

      «…Parlons de Saint-Germain: j'y fus СКАЧАТЬ



<p>181</p>

Requeste des filles d'honneur persécutées à madame D. L. V. (de la Vallière). Recueil des histoires galantes; à Cologne, chez Jean le Blanc, p. 346.—Amours des dames illustres de notre siècle; à Cologne, chez Jean le Blanc, p. 381.

<p>182</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (27 novembre 1673), t. III, p. 242, édit. G.; t. III, p. 153, édit. M.—Ibid. (1er et 5 janvier 1674), t. III, p. 288, 292, 297.—État de la France, 1669, p. 361.—Ibid., 1677, p. 346, et 1678, p. 376.

<p>183</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er décembre 1673), t. III, p. 245, édit. G.; t. III, p. 156, édit. M.—Ibid. (8 janvier 1674), t. III, p. 299, édit. G.; t. III, p. 205, édit. M.—Madame la duchesse D'ORLÉANS, Mémoires et fragments historiques, p. 47, édit. 1832.—Ibid., éd. 1833, p. 46.

<p>184</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (19 janvier 1674), t. III, p. 316, édit. G.; t. III, p. 218, édit. M.—Conférez la 4e partie de ces Mémoires, p. 277, et t. III, p. 374.

<p>185</p>

Voyez la 2e partie de ces Mémoires, 2e édit, p. 151-155.—Madame la duchesse D'ORLÉANS, princesse palatine, Mémoires, édit. de Busoni, 1832, p. 90.—MOTTEVILLE, Mémoires, t. XL, p. 52, 53.

<p>186</p>

Madame la duchesse D'ORLÉANS, Mémoires, 1833, in-8o, p. 90, 91. Lettres originales de madame CHARLOTTE-ÉLISABETH DE BAVIÈRE, veuve de MONSIEUR; 1788, in-12, t. I, p. 84 et 85.

<p>187</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (1er et 5 janvier 1674), t. III, p. 286 et 292, édit. G.; t. III, p. 288 et 292, édit. M.

<p>188</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (10 novembre 1673), t. III, p. 216, édit. G.; t. III, p. 133 et 134, édit. M.—L'État de la France, édit. 1669, p. 361, 362, 363.—Édit. 1677, p. 341, 347.—Édit. 1678, p. 377.

<p>189</p>

MONTPENSIER, Mémoires (1681 et 1668), t. XLIII, p. 20 et 121.—MOTTEVILLE, Mémoires (1661), t. XL, p. 154.—CAYLUS, Souvenirs, t. LXVI, p. 434-35, édit. de Voltaire; Ferney, 1770, p. 93.