Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5 - Charles Athanase Walckenaer страница 21

СКАЧАТЬ monde de sa chambre. Il était dans un petit appartement qu'il a au dehors des Capucines. Quand il fut seul avec ce père, il se jeta à son cou, disant qu'il devinait bien ce qu'il avait à lui dire; que c'était le coup de sa mort; qu'il la recevait de la main de Dieu; qu'il perdait le seul et véritable objet de toute sa tendresse et de toute son inclination naturelle; que jamais il n'avait eu de sensible joie et de violente douleur que par ce fils, qui avait des choses admirables. Il se jeta sur un lit, n'en pouvant plus, mais sans pleurer, car on ne pleure plus dans cet état. Le père pleurait, et n'avait encore rien dit. Enfin il lui parla de Dieu comme vous savez qu'il en parle. Ils furent six heures ensemble; et puis le père, pour lui faire faire son sacrifice entier, le mena à l'église de ces bonnes Capucines, où l'on disait vigiles pour ce cher fils. Le maréchal y entra en tremblant, plutôt traîné et poussé que sur ses jambes; son visage n'était plus connaissable. Monsieur le Duc le vit en cet état, et, en nous le contant chez madame de la Fayette, il pleurait. Le maréchal revint enfin dans sa petite chambre; il est comme un homme condamné. Le roi lui a écrit; personne ne le voit241

      Ce touchant récit fit croire à madame de Grignan que sa mère, ses amis étaient inconsolables de la mort du comte de Guiche. Mais dans cette cour, tout occupée de plaisirs et d'ambition, et de gloire et d'amour, personne ne pouvait paraître triste, surtout lorsque le roi avait daigné vous consoler. Aussi madame de Sévigné écrit à sa fille: «Hors le maréchal de Gramont, on ne songe déjà plus au comte de Guiche: voilà qui est fait242.» Mais elle fut obligée de s'y reprendre à plusieurs fois pour ramener madame de Grignan à son unisson. «Ha! fort bien; nous voici dans les lamentations du comte de Guiche. Hélas! ma pauvre enfant, nous n'y pensons plus ici, pas même le maréchal, qui a repris le soin de faire sa cour.» Quelques jours après, nouvelle réprimande: «Vous vous moquez avec vos longues douleurs! Nous n'aurions jamais fait ici si nous voulions appuyer autant sur chaque nouvelle: il faut expédier; expédiez, à notre exemple243

      Elle expédie en effet; et il est impossible de trouver dans aucune correspondance autant de faits intéressants sur les événements publics, les personnages du temps, les spectacles, la littérature et la vie de toute une époque, touchés avec tant de concision, d'esprit, de finesse et de gaieté.

      Un grand changement eut lieu dans les spectacles à la cour et à la ville, car alors Paris se conformait à la cour; c'était le roi qui réglait l'un et l'autre.

      Louis XIV a dit, dans ses Instructions au Dauphin, qu'il est du devoir d'un monarque de donner des amusements à sa cour, à son peuple, à lui-même244. Les spectacles publics furent donc par lui mis au nombre des affaires d'État. La mort de Molière les avait désorganisés. Cependant la comédie n'était pas le genre de spectacle que préférait Louis XIV: il aimait par-dessus tout la danse, la musique, les belles décorations; il n'oubliait pas qu'il avait autrefois brillé dans les ballets composés pour lui. Il avait été, dans sa jeunesse, un très-bon joueur de guitare245; ce qui n'étonne pas quand on sait qu'on lui donna un maître de cet instrument lorsqu'il était à peine âgé de huit ans246. C'est cette préférence du roi pour la musique qui avait fait le succès de l'opéra, introduit en France par Mazarin. Mais Molière, aussi habile directeur de spectacles qu'auteur illustre et bon acteur, pour donner au roi le goût de la comédie, imagina de joindre à ses pièces des danses, des chants, des ballets-mascarades, bien ou mal motivés247. Il chargeait Lulli d'en faire la musique; et même, dans la composition de la tragi-comédie-ballet de Psyché, il fit concorder heureusement, pour aller plus vite, Lulli, Quinault et Corneille. Le grand tragique fut lui-même étonné qu'en remplissant le cadre qui lui était donné sa muse, affaiblie par l'âge, eût retrouvé, pour une déclaration d'amour, tout le feu de la jeunesse. C'est ainsi que Molière soutint son théâtre florissant contre les dangereuses rivalités du théâtre de la rue Guénégaud, où se jouait l'opéra; du théâtre de l'hôtel de Bourgogne et de celui du Marais, où l'on représentait les pièces de Racine et celles de Corneille248.

      La musique est un art qui ne parle au cœur et à l'imagination que par les sons. Par cela même elle convient mieux que les compositions dramatiques à ceux que l'âge ou la multiplicité des affaires ont rendus, dans leurs moments de distraction, peu capables d'une attention soutenue. Tel commençait à être Louis XIV. Lulli s'aperçut du déclin de son goût pour la comédie. Il s'associa avec Quinault, dont il espérait avec raison obtenir des opéras meilleurs que ceux de l'abbé Perrin249; et, pour empêcher que Molière ne pût réunir dans ses compositions la comédie et l'opéra, il obtint une ordonnance (22 avril 1672) qui portait défense aux comédiens d'avoir, pour leurs représentations, plus de deux voix et plus de six violons. Dès lors Molière, brouillé avec Lulli ne put se servir de lui pour les ballets du Malade imaginaire, et il en fit composer la musique par Charpentier, musicien aussi habile, mais non aussi goûté que Lulli, qui le persécuta par jalousie250. Le Malade imaginaire fut cependant représenté sur le théâtre du Palais-Royal, le 10 février 1673, avec toute sa musique, et imprimé la même année251; mais il ne fut joué à la cour que l'année suivante252. Débarrassé d'un redoutable rival par la mort de Molière, Lulli resta le directeur favorisé des divertissements du roi. Quatre des principaux acteurs de la troupe de Molière s'en étant séparés pour entrer dans la troupe de l'hôtel de Bourgogne, Colbert fut chargé par Louis XIV de former, des débris de la troupe du grand comique et de celle du Marais, une nouvelle troupe qui fut transportée rue Mazarine; et le théâtre du Palais-Royal fut donné à Lulli pour y établir l'Opéra, décoré du nom d'Académie royale de musique. L'ancien Opéra du marquis de Sourdac disparut, et le nouvel Opéra fut fondé par l'association de Lulli, de Quinault, de Vigaroni; le musicien, le poëte et le décorateur formèrent un spectacle tout nouveau, d'une grandeur et d'une magnificence fort au-dessus de tout ce qu'on avait vu jusqu'alors. Il devint célèbre dans toute l'Europe, et n'a cessé de contribuer aux progrès de la chorégraphie, de la musique vocale et instrumentale. Quoique toujours onéreux pour l'État, il a survécu à tous les désastres de nos révolutions. Malgré la réunion des talents qui contribuaient à sa réussite, il causa, dans la nouveauté, plus d'admiration que de plaisir253, et il ne se soutint que par la volonté et la munificence de Louis XIV, qui le mit à la mode. Jamais, depuis, l'empressement du public ne suffit pour entretenir ce spectacle dans la splendeur et le luxe qui est de son essence; pour qu'il pût subsister il a fallu que tous les gouvernements qui se sont succédé en France fussent pour lui plus prodigues encore que n'avait été Louis XIV.

      Ce fut madame de Montespan qui eut la principale part à cette rénovation de l'Opéra. Pour faire cette révolution théâtrale, elle s'appuya sur l'opinion de la Rochefoucauld, alors, à la cour, le grand arbitre du goût. «M. de la Rochefoucauld, dit madame de Sévigné à sa fille, ne bouge de Versailles; le roi le fait entrer chez madame de Montespan pour entendre les répétitions d'un opéra qui passera tous les autres: il faut que vous le voyiez254.» Cet opéra était celui d'Alceste ou le Triomphe d'Alcide, qui fut le premier que composa Quinault depuis qu'il avait fait alliance avec Lulli et que la salle du Palais-Royal avait été accordée à ce dernier pour son spectacle255. Le succès de ce nouvel ouvrage fut grand, et fit oublier à ce public ému et flatté que Molière, dans cette même salle, en le bafouant le faisait rire. Madame de Sévigné écrit le 8 janvier 1674: «On joue jeudi l'opéra qui est un prodige de beauté; il y a des endroits de la musique qui m'ont fait pleurer; je ne suis pas seule à ne le pouvoir soutenir; l'âme de madame de la Fayette en est tout СКАЧАТЬ



<p>241</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (8 décembre 1673), t. III, p. 251, édit. G.; t. III, p. 161, édit. M.—Le comte de Guiche mourut le 29 novembre 1674 à Creutznach dans le palatinat du Rhin, entre les bras de son frère le comte de Louvigny.—Conférez SÉVIGNÉ, Lettres (27 septembre et 4 octobre 1671), t. II, p. 243, 254, 350, édit. G.; et Mémoires et fragments historiques de MADAME, duchesse D'ORLÉANS, princesse Palatine, édit. 1832, p. 207.—Lettres des FEUQUIÈRES, t. VI, p. 321.

<p>242</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (18 décembre 1673), t. III, p. 266, édit. G.; t. III, p. 175, édit. M.

<p>243</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (25 décembre 1673), t. III, p. 276, édit. G.; t. III, p. 183, édit. M.—Ibid. (28 décembre 1673), t. III, p. 283, éd. G.; t. III, p. 189, édit. M.

<p>244</p>

DUC DE NOAILLES, notes sur les Mémoires de Louis XIV; appendice à la Vie de Maintenon, 1848, in-8o, t. I, p. 558.

<p>245</p>

Mémoires de Noailles, dans Petitot, t. LXIV, p. 104. Lettre de la princesse des Ursins (11 juillet 1698).

<p>246</p>

État général des officiers, domestiques et commensaux du Roi, mis en ordre par le sieur DE LA MARTINIÈRE, p. 116. Ce maître de guitare se nommait Bernard Jourdan, sieur de la Salle, et c'est le 29 avril 1651 que de la Salle fut placé près du jeune roi, afin de lui enseigner à jouer de la guitare. Le maître de luth n'avait que le quart des appointements du maître de guitare.

<p>247</p>

Conférez Mémoires sur Sévigné, t. I, p. 513, 525; t. II, ch. XXIII, p. 332, 340; t. III, ch. V, p. 98.

<p>248</p>

Vie de PHILIPPE QUINAULT, dans l'édition de ses Œuvres, 1715, in-12, t. I, p. 33-35.—CHAPUZEAU, le Théâtre français, divisé en trois livres, 1674, in-12, p. 198-211.

<p>249</p>

Les frères PARFAICT, Histoire du Théâtre français, t. XI, p. 293.

<p>250</p>

TITON DU TILLET, Parnasse françois, Paris, 1732, in-folio, p. 490.—ROQUEFORT, dans la Biographie universelle, t. VIII, p. 244, article Charpentier (Marc-Antoine). Ce savant maître de musique de la Sainte-Chapelle naquit à Paris en 1634, et y mourut en 1702, âgé de soixante-huit ans.

<p>251</p>

Avec le Prologue, 36 pages in-4o, Paris, 1663, chez Christophe Ballard.

<p>252</p>

FÉLIBIEN, les Divertissements de Versailles, p. 28.

<p>253</p>

Conférez LA FONTAINE, Épître à M. Nyert sur l'Opéra, et nos notes dans les Œuvres, édit. 1827, t. VI, p. 108 à 119.—RAGUENET, Parallèle des Italiens et des Français en ce qui regarde la musique et l'Opéra, in-12, Paris, 1702, p. 124.—LA BRUYÈRE, Caractères, ch. XLVII, t. I, p. 164, édit. W., 1835, in-8o et in-12.

<p>254</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (20 novembre 1673), t. III, p. 231, édit. G.; t. III, p. 146, édit. M.—Vie de QUINAULT, dans les Œuvres de QUINAULT, édit. 1715, p. 34.

<p>255</p>

Le premier opéra de ces deux auteurs, joué dans cette salle, fut Cadmus et Hermione, représenté le 17 avril 1673; mais cette pièce avait déjà été jouée au jeu de paume du Bel-Air. Conférez Vie de Quinault, dans les Œuvres de QUINAULT, édit. 1715, in-12.