Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ y a encore ici des points d'appui solides.

      Berlin, 28 mai 1841.– Ma matinée d'hier s'est passée en affaires avec M. de Wolff. Notre entretien a été interrompu par le Grand Maréchal de la Cour, qui m'a apporté, de la part du Roi, un cadeau auquel je suis fort sensible. C'est la copie en fer d'une statue que j'ai trouvée jolie, l'année dernière, à Charlottenhof: un jeune faune, qui, du haut d'une colonne placée au milieu d'un bassin, jette de l'eau par une urne sur laquelle il s'est accroupi. Le tout a six pieds. C'est fort joli. Le Roi m'a fait dire qu'il me demanderait de le placer sur une des terrasses de Rochecotte, ce qui sera certainement exécuté.

      J'ai dîné chez la Princesse Albert. Son père va mieux; elle part ces jours-ci avec lui pour la Silésie. Son mari m'a impatientée; quant à elle, c'est un petit cheval échappé. Le tout n'était pas fort à mon gré. M. et Mme de Redern, qui y dînaient aussi, m'ont menée dans leur loge à la Comédie allemande, pour entendre Seidelmann dans le rôle du Juif27. C'est l'acteur à la mode; mes souvenirs d'Iffland me l'ont fait paraître inférieur.

       Berlin, 30 mai 1841.– Les Radziwill ont très obligeamment arrangé une matinée musicale chez eux, dans une jolie salle voûtée, ouvrant sur leur superbe jardin. On a exécuté le Faust de Gœthe, mis en musique par le feu prince Radziwill, père de la génération actuelle. Devrient, le premier tragique du théâtre de Berlin, déclamait certains passages, accompagné par les instruments; puis un nombreux détachement du Conservatoire exécutait les chœurs. C'était d'un très bel effet, et cela m'a fait réellement plaisir28.

      Berlin, 31 mai 1841.– Je veux partir demain d'ici, pour Dresde, et de là, pour Vienne.

      Hier, j'ai été à la grand'messe de la Pentecôte, qui a été très bien exécutée et chantée à l'église catholique, mais cette église était si encombrée de monde, et la chaleur si étouffante, que j'ai cru m'y trouver mal. Cependant, il a fallu, en sortant de la messe, aller aux audiences de congé de la Princesse de Prusse et de la Princesse Charles, puis à un dîner chez une ancienne amie. Pendant que nous étions à table, m'est arrivée l'invitation de me rendre pour le thé à Schœnhausen, maison de plaisance du Roi, à deux lieues de Berlin. Je suis heureusement arrivée à temps à Schœnhausen; on y a pris le thé, et plus tard on a soupé à l'italienne sous une vérandah éclairée par des lampes. Outre la Famille Royale et le service, il y avait le Duc et la Duchesse de Leuchtenberg, M. d'Arenberg, moi, Rauch, Thorwaldsen, et le directeur général du Musée, M. d'Olfers. C'était agréable et intéressant. Thorwaldsen a une belle tête, dans le genre de celle de Cuvier, mais avec une coiffure étrange, de longs cheveux blancs qui tombent sur ses épaules. Je préfère le visage de Rauch, mieux proportionné et, à mon sens, plus noble et plus simple. La Duchesse Marie de Leuchtenberg ressemble extrêmement à son père, l'Empereur Nicolas, avec une expression toute différente; c'est une tête classique, mais trop longue pour le corps, qui est petit. Elle est blanche comme un lis: des façons sautillantes et évaporées ne m'ont pas charmée. La Reine m'a nommée à elle, et le Roi m'a amené le Duc de Leuchtenberg qui ressemble, à frapper, à sa sœur la Duchesse de Bragance, mais dont l'ensemble est commun, et ne justifie en aucune façon la mésalliance. J'ai fait à Schœnhausen mes derniers adieux.

      Dresde, 2 juin 1841.– Avant-hier, je suis partie de Berlin, comblée, gracieusée, gâtée, mais fatiguée par une chaleur effroyable. Le baron de Werther, que j'ai vu le dernier jour à Berlin, m'a dit qu'il craignait que M. Bresson ne s'y trouvât plus aussi bien que pendant les dernières années; que, décidément, son discours avait fort déplu et inspiré une grande méfiance; qu'il était mal instruit s'il croyait le contraire, et que toutes ses bonnes voies d'information et d'action étaient fermées depuis la mort du feu Roi. La Princesse de Prusse et Mme de Perponcher m'ont parlé dans le même sens. J'ai su aussi que, lorsque le traité du 15 juillet avait été connu ici, M. Bresson avait eu un mouvement de violence inconcevable, au point de se promener sous les Tilleuls et d'y vociférer la guerre, de la façon la plus étrange. Je suis vraiment peinée pour lui qu'il reprenne ce poste qu'il s'est gâté.

      Dresde, 3 juin 1841.– J'ai été hier soir au Théâtre, pour voir la nouvelle salle qu'on vient de construire et qui a une grande réputation en Allemagne. Elle est, en effet, assez grande, d'une fort jolie forme, très bien décorée. Les loges sont commodes, on est bien assis; le tout a un air de grandeur. Les décorations sont très fraîches, les costumes brillants; l'orchestre bon, mais les chanteurs si mauvais que je n'ai pu y rester plus d'une demi-heure.

      Prague, 5 juin 1841.– Prague n'est pas sans intérêt pour moi: j'y ai passé, avec ma mère et mes sœurs, l'année du deuil de mon père; j'y suis revenue deux fois depuis, peu après le Congrès de Vienne. J'y ai passé la journée d'aujourd'hui, y ai pris une voiture et crois avoir vu tout ce qu'il y avait de curieux, ou à peu près. Les trois principales églises, le tombeau de Tycho-Brahé, son observatoire; tous les ex-voto en l'honneur de saint Jean Népomucène, ses reliques, le vieux Château, le Calvaire d'où l'on plonge sur Prague en panorama; le cheval de bataille empaillé de Wallenstein; toutes les diverses traces de la guerre des Hussites, de celle de Trente ans; enfin les bombes lancées par Frédéric II; la chapelle, qui recevait deux fois par jour les prières de Charles X et qui a été restaurée par lui, porte les armes de France et de Navarre. Prague, comme Nuremberg, est une des plus anciennes villes d'Allemagne: si cette dernière est plus intéressante pour les artistes, la première l'est davantage pour l'archéologue; je me range parmi ceux-là. Prague renferme seize couvents; on y rencontre des moines de toute espèce; en bien plus grand, cela rappelle Fribourg, en Suisse. Mais ce qui lui donne un aspect tout particulier, ce sont ces grands hôtels, presque tous inhabités par les grands seigneurs bohèmes, leurs possesseurs, qui, pour la plupart, désertent Prague pour aller à Vienne. J'ai eu la curiosité d'aller un moment au spectacle voir jouer une farce locale du théâtre de la Leopoldstadt, de Vienne. La salle, assez laide, était comble et l'hilarité du public inextinguible; je n'y suis pas restée longtemps, il faisait trop chaud, et les lazzi viennois ne sont pas à mon goût: je ne les comprends pas!

      Vienne, 8 juin 1841.– J'ai fait, de Prague ici, le plus maussade voyage; le temps s'est gâté, il a fait froid, orageux, humide. J'ai passé la première nuit en voiture, et la seconde dans une humble auberge. Je suis enfin arrivée cette après-dînée à trois heures, et je suis descendue dans un appartement que mes sœurs avaient retenu pour moi. J'ai déjà vu mon ci-devant beau-frère, le comte de Schulenbourg, dont je vais faire mon majordome; c'est essentiellement sa vocation!

      Il me semble bien étrange de me retrouver à Vienne29. Vienne!.. Toute ma destinée est dans ce mot! C'est ici que ma vie dévouée à M. de Talleyrand a commencé, que s'est formée cette association singulière, unique, qui n'a pu se rompre que par la mort, et quand je dis se rompre, j'ai tort; je devrais dire se suspendre, car je sens mille fois dans l'année que nous nous retrouverons ailleurs. C'est à Vienne que j'ai débuté dans cette célébrité fâcheuse, quoique enivrante, qui me persécute bien plus qu'elle ne me flatte. Je me suis prodigieusement amusée ici, j'y ai abondamment pleuré; ma vie s'y est compliquée, j'y suis entrée dans les orages qui ont si longtemps grondé autour de moi. De tout ce qui m'a tourné la tête, égarée, exaltée, il ne reste plus personne; les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, tout a disparu. Eh! mon Dieu! Le monde n'a-t-il pas changé tout à fait deux fois depuis? Et ma pauvre sœur, chez laquelle je devais demeurer? morte aussi! Reste le prince de Metternich. Il m'a fait dire des paroles fort aimables; je le verrai probablement demain…

      Je ne suis pas bien sûre de dormir cette nuit; je suis fort troublée de tous ces fantômes que les lieux évoquent, et qui me parlent tous le même langage, celui de la profonde vanité des choses de ce monde.

      Vienne, 10 juin 1841.– Le choix de M. de Flahaut comme ambassadeur de France ici, qui semble de plus en plus probable, СКАЧАТЬ



<p>27</p>

Dans le Marchand de Venise, de Shakespeare.

<p>28</p>

Le prince Antoine Radziwill avait été envoyé à Gœttingen pour y terminer ses études, et pendant ce séjour en Allemagne, en 1794, il connut Gœthe, qui travaillait déjà à la première partie de Faust. Le prince Radziwill, très enthousiasmé par la beauté de cette œuvre, et, lui-même, parfait mélomane, entreprit de mettre en musique quelques scènes de la création du grand poète allemand, puis il compléta petit à petit cette composition. Le Prince était en relations personnelles avec Gœthe, qui, à sa demande, modifia un peu la scène du jardin entre Faust et Marguerite. La première représentation de Faust avec la musique du prince Radziwill fut donnée à Berlin, en 1819, sur le théâtre du palais de Monbijou, en présence de toute la Cour de Prusse. L'Académie de musique de Berlin, à laquelle le Prince fit don de son œuvre, l'exécute presque tous les ans depuis cette époque.

<p>29</p>

L'auteur avait accompagné le prince de Talleyrand à Vienne, à l'époque du Congrès de 1815, et le Prince en parla en ces termes dans ses Mémoires: «Il me parut aussi qu'il fallait faire revenir la haute et influente société de Vienne des préventions hostiles que la France impériale lui avait inspirées. Il était nécessaire, pour cela, de lui rendre l'ambassade française agréable; je demandai donc à ma nièce, Mme la comtesse Edmond de Périgord, de vouloir bien m'accompagner et faire les honneurs de ma maison. Par son esprit supérieur et par son tact, elle sut plaire et me fut fort utile.» (Tome II, p. 208.)