Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 3 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ au lieu de modérer la hâte que chacun avait de rentrer chez soi. L'abbé Dupanloup, qui, chaque jour, baptise, confesse, enterre ou marie quelqu'un de notre quartier, a fait un discours un peu long, mais touchant pour ceux qui l'écoutaient; presque personne ne songeait à autre chose qu'à ce qui occupe dans un salon: la toilette et la coquetterie. Il est bien rare qu'à Paris et dans notre monde un mariage soit grave et recueilli, et les paroles dites par le prêtre sont les seules qui tombent sérieusement au milieu de cette extrême frivolité, qui ne permet pas même de les laisser écouter. C'est un spectacle qui fait faire plus d'une triste réflexion, surtout pour ceux qui se rappelaient que la veille on avait dit, dans cette même église, les dernières prières sur le cercueil de cette jeune et belle duchesse de Vallombrose.

      Paris, 17 avril 1841.– J'ai profité hier de l'obligeance du comte de Rambuteau, qui m'avait offert sa loge pour la dernière représentation de Mlle Mars. La foule était grande, la salle remplie de tout ce qu'on connaît; toute la Famille Royale s'y trouvait. Mlle Mars avait épuisé tous les artifices de la toilette, et avec un succès étonnant. Elle a épuisé aussi toutes les ressources de son talent, et avec un succès plus complet encore. Son son de voix n'avait besoin d'aucun art, d'aucune étude; il était toujours jeune et modulé; si elle avait voulu renoncer aux rôles trop jeunes et modifier son emploi, elle aurait pu rester longtemps encore au théâtre. On lui a fait de brillants adieux: elle succombait sous les fleurs et les applaudissements. Le Misanthrope a été honteusement massacré par toute cette pauvre troupe, et Mlle Mars seule respectait Molière. Dans les Fausses Confidences, il y a eu plus d'ensemble et de mouvement, et Mlle Mars a triomphé.

       Paris, 25 avril 1841.– M. Royer-Collard m'ayant dit, à son avant-dernière visite, qu'il avait une vingtaine de lettres de M. de Talleyrand, et qu'il me les donnerait, si cela me faisait plaisir, j'ai accepté, étant bien aise de réunir le plus possible d'autographes de lui. Il me les a apportées avant-hier. Je les ai relues hier, il y en a quelques-unes d'agréables par le cachet de simplicité gracieuse et fine qui lui était propre. J'y ai retrouvé quelque chose que je cherchais depuis longtemps, sans avoir pu remettre la main dessus: c'est la copie de la lettre que M. de Talleyrand écrivit à Louis XVIII, lorsque parurent les Mémoires du duc de Rovigo au sujet du duc d'Enghien19. Je savais qu'il avait écrit, mais j'avais confondu les dates; il m'était resté l'idée que cette lettre avait été adressée à lord Castlereagh, tandis que ce fut au Roi; M. de Talleyrand en envoya une copie à M. Royer-Collard, et c'est celle-là que j'ai retrouvée à ma grande satisfaction.

      M. de Villèle, qui n'était pas venu à Paris depuis 1830, y est en ce moment. C'est un événement pour les légitimistes; ils désirent vivement qu'il se réconcilie avec M. de Chateaubriand, et cependant, ces deux messieurs ne se sont pas revus encore… Pourquoi? Parce qu'aucun des deux ne veut faire la première visite, tout en déclarant qu'ils seraient ravis de se revoir et d'oublier le passé.

      Paris, 26 avril 1841.– Hier, avant le salut, j'ai fait mes adieux à toutes mes bonnes amies du Sacré-Cœur. Toutes ces dames sont très comme il faut, et Mme de Gramont est vraiment une personne rare par l'esprit, la bonté, la grâce et la fermeté réunis; elle est bonne pour moi, et je me trouve mieux avec elle qu'avec toutes les personnes du monde. C'est que je n'y suis plus propre du tout, au monde, j'en fais journellement l'expérience: outre qu'il me dégoûte, m'irrite et me déplaît, il me trouble, me blesse, m'agite, et j'y vais chaque jour moins; tout l'équilibre, toute la paix, difficilement reconquis dans ma retraite, se perdent ici; j'y suis mécontente de moi-même, et peu satisfaite de ceux mêmes dont je n'ai pas à me plaindre.

       Paris, 29 avril 1841.– J'ai eu hier à la fin de la matinée une infinité de visites qui venaient me faire des adieux et qui m'ont toutes paru ennuyeuses; je n'en excepte que celle de ce bon et excellent ambassadeur20 de Russie, qui va aller passer une partie de l'été à Carlsbad. Décidément, sa souveraine ne va point à Ems. Il paraît que les Cours de Saint-Pétersbourg et de Berlin sont très mal ensemble, et que ce n'est que pour éviter une brouillerie complète que le Roi de Prusse a envoyé son frère Guillaume assister aux noces du Grand-Duc héritier. La froideur des deux Cours tient à des intérêts de commerce très opposés, à l'impopularité des Russes en Allemagne, dont les gouvernements sont obligés de tenir compte, mais surtout à la tenue des États dans le grand-duché de Posen et à la liberté qui y est accordée de se servir de la langue polonaise. L'Empereur Nicolas est entré en rage et a dit qu'autant vaudrait être voisin de la Chambre des Députés français. Ces détails sont très officiels, je les tiens du Roi lui-même, que j'ai vu longtemps hier, chez sa sœur à laquelle j'avais été faire mes adieux. J'ai trouvé, lui et elle, très émus du jugement d'acquittement prononcé, il y a quelques jours, dans la fameuse affaire des fausses lettres attribuées au Roi21. Ce jugement est, en effet, bien inique et bien injuste, car personne ne peut, mieux que moi, connaître la fausseté de ces lettres. A cette occasion, il a été question dans notre entretien de bien des choses qui prouvent qu'on ne saurait trop peu écrire, qu'il ne faudrait presque rien confier au papier, et qu'il faudrait surtout tout détruire. Je suis rentrée chez moi avec une vraie terreur à cet égard.

      Paris, 1er mai 1841.– Hier, j'ai été prendre les commissions de Mme la Duchesse d'Orléans pour Berlin; elle m'a montré ses deux enfants. Le Comte de Paris, l'aîné, est tout le portrait du Roi, son grand-père, timide du reste, et délicat; le second ressemble à sa mère et paraît avoir plus de vivacité que son frère.

       Paris, 3 mai 1841.– Le temps s'est un peu rafraîchi par un orage dans la nuit, qui a eu le mérite de n'éclater qu'après tous les feux d'artifice et les illuminations faits à l'occasion du baptême du jeune Prince22. Tout s'est bien passé à Notre-Dame, noblement, dignement; le petit Prince a été charmant. On a remarqué l'extrême bonne grâce de Mme la Duchesse d'Orléans, ses belles révérences, et le soin avec lequel elle a fait faire les signes de croix, dès l'entrée à l'église. J'avais voulu y aller, et j'avais toutes les facilités pour le faire grâce aux bontés de Madame Adélaïde, mais inquiète de ma fille, et ne voulant pas manquer la visite de son médecin, je n'y ai pas été23.

      Paris, 5 mai 1841.– M. Bresson, qui est venu me faire ses adieux hier, me paraît destiné à retourner tout simplement à Berlin, ce qui lui plaît médiocrement; il s'était évidemment flatté d'aller à Vienne. Le Roi veut y envoyer Montebello, mais M. Guizot, poussé par Mme de Lieven, veut que Vienne soit donné à M. de Flahaut. Il circule beaucoup que Mme de Lieven fait et défait les ambassadeurs, et les cris, contre elle, dans le Corps diplomatique français, sont violents.

      Pauline est mieux, mais pas assez bien pour m'accompagner à Berlin; j'ai le cœur gros de la quitter; ce long voyage à faire seule me pèse lourdement. C'est du véritable isolement. Enfin je serai ravie quand je me retrouverai en Touraine; je sens que c'est là que sont mes vraies racines; j'y ai des intérêts, des devoirs, un bon centre d'activité. Partout ailleurs je vivote, mais je ne m'enracine pas.

      Metz, 6 mai 1841.– Me voici donc hors de Paris, n'y regrettant rien que ma fille, mais n'espérant pas grand'chose de mon voyage comme agrément; je redoute les déplacements et cette vie fatigante, vide et bête, des grandes routes et des auberges.

      Mannheim, 8 mai 1841.– Je suis repartie de Metz hier à midi, après m'être bien reposée. De là, je suis venue ici sans m'arrêter et j'y suis arrivée à 10 heures du matin. Je n'ai point été fouillée à la frontière, mais dans la nuit un orage flamboyant a failli me faire perdre courage; cependant, j'ai fait (c'est le cas de le dire) tête à l'orage, et me voici à Mannheim. L'invariable Schreckenstein me guettait et a voulu me mener au Château où on m'avait préparé un appartement; j'ai résisté, et je crois que j'ai aussi bien fait pour les autres que pour moi-même. Après СКАЧАТЬ



<p>19</p>

Cette lettre de M. de Talleyrand au Roi Louis XVIII, et la réponse que M. de Villèle lui adressa au nom du Roi, se trouvent dans l'Appendice du troisième volume des Mémoires du prince de Talleyrand.

<p>20</p>

Le comte Pahlen.

<p>21</p>

Voir à la page 19 (12 février 1841). Une instruction judiciaire avait été ouverte contre M. de Montour, gérant du journal la France qui avait publié les fausses lettres. L'affaire, longtemps retardée par la défense, ne vint devant le jury que le 24 avril. Me Berryer plaida habilement la bonne foi de M. de Montour, qui avait cru les lettres authentiques (sans s'en assurer). A la suite de cette plaidoirie, le gérant de la France fut acquitté par 6 voix contre 6.

<p>22</p>

Le Comte de Paris, né le 24 août 1838, avait été ondoyé aux Tuileries, le jour de sa naissance. Il ne fut baptisé à Notre-Dame que près de trois ans plus tard, le 2 mai 1841, en grande pompe.

<p>23</p>

La marquise de Castellane fut alors très malade d'une violente esquinancie dont les suites la firent longtemps souffrir.