Название: Le dernier vivant
Автор: Paul Feval
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066085827
isbn:
C'est là quelle m'avait dit: «Lucien», et que je lui avais répondu: «Jeanne».
Aucun autre aveu ne s'était échangé entre nous jamais, parce que nous aimions comme le cœur bat, tout naturellement. C'était notre existence. Nos âmes s'entendaient sans parler. Nous n'avions qu'une âme.
Ce matin, je me suis trouvé seul sous le grand châtaignier. Hier, elle m'avait dit: «On est bien qu'ici...»
J'ai attendu. Les branches parfumaient le vent, qui les balançait doucement. C'est bon d'attendre quand on sait que la bien aimée va venir.
Mais Jeanne ne venait pas et j'avais longtemps attendu. L'inquiétude m'a pris. Notre chère malade était si faible hier au soir!
J'ai franchi la haie.
De là on voit toute la route.
La route était déserte.
Oh! Jeanne! Jeanne! Mon anxiété, à peine née, allait déjà grandissant. Je me suis dirigé vers la petite maison. Les volets étaient fermés, la porte aussi. Que voulait dire cela?
Le souffle a manqué à ma poitrine.
J'ai frappé, pas de réponse.
Un paysan était à vanner du froment à cinquante pas de là, devant la porte de la métairie. Comme j'allais frapper encore, il m'a crié:
—Ce n'est pas la peine de cogner, il n'y a plus personne.
Je restai là tout étourdi.
C'était comme si j'eusse reçu un grand coup au-dedans de la poitrine.
La métayère, cependant, était sortie sur le pas de sa porte à la voix du vanneur. Elle m'appela, disant:
—La pauvre dame a laissé quelque chose pour vous en partant.
—Elles sont donc parties! m'écriai-je.
—Oui, comme ça, de grand matin, dans une carriole.
Et la dame était fièrement pâle.
—Parties pour quel endroit?
—Je ne sais pas. Voilà le paquet. Vous donnerez bien quelque chose pour la peine.
Je m'éloignai avant de rompre l'enveloppe. Je n'osais pas. J'attendis plusieurs minutes. Le hasard avait dirigé mes pas vers notre haie, dont le soleil chauffait maintenant les feuilles odorantes. Je m'assis ou plutôt je tombai en gémissant à la place même où j'avais vu ma petite Jeanne cueillir des primevères par ce beau soir de printemps....
Pièce numéro 18
(Lettre de M. Ferrand, président du tribunal de première instance d'Yvetot, écrite par un secrétaire, mais signée.)
Yvetot. 6 mai 1865.
À Mme Veuve Péry de Marannes.
Madame.
Je vous aurais évité un dérangement sans la multiplicité de mes occupations. Vous voudrez donc bien m'excuser si, dans l'impossibilité où je suis de vous rendre visite, je vous prie de passer à mon cabinet pour recevoir de moi une communication importante.
Cette communication aura un caractère tout officieux. Elle n'entraînera pour vous aucun désagrément. Il est, en effet, à espérer que vous céderez à des conseils que mon âge et l'intérêt que je porte à mon jeune collègue L. Thibaut m'autorisent à vous offrir.
Veuillez agréer, Madame, mes hommages empressés.
Pièce numéro 18 bis
(Écrite et signée par Mme veuve Thibaut.)
Dieppe, 5 mai 1865 (par la poste).
À Mme veuve Péry de Marannes.
Madame.
Quoique n'ayant en aucune façon l'honneur de vous connaître personnellement, je prends la liberté de m'adresser à vous pour vous prier de mettre fin à une situation très pénible, et qui menace de devenir dangereuse.
Mon fils, M. L. Thibaut, juge au tribunal de première instance, n'a pas de fortune patrimoniale, mais sa position lui permet de viser à un mariage avantageux.
J'ajoute que, jusqu'à présent, sa conduite exemplaire doublait les chances qu'il peut avoir de s'établir honorablement.
Il m'est revenu que des relations se sont nouées, depuis assez longtemps déjà, entre mon fils et Mademoiselle votre fille, dont je ne veux dire ici aucun mal, mais que je ne consentirai jamais, je vous le déclare formellement, à accepter pour ma bru.
Veuillez bien croire, Madame, que je n'ai pas la plus légère intention de vous blesser; c'est pourquoi je me prive de toute espèce d'explication.
Notre respectable ami, M. le président Ferrand, dans un esprit de dévouement pour nous et de conciliation à votre égard, se charge d'éclaircir près de vous les points qui pourraient vous faire hésiter à suivre la ligne de conduite que vous devez adopter désormais vis-à-vis de mon fils.
Je suis mère, Madame, j'accomplis mon devoir de mère.
Indépendamment de ce fait, qu'une union entre deux jeunes gens également dépourvus d'aisance est une immoralité, je prétends choisir celle qui sera la sœur de mes filles.
À cet égard, mon parti est irrévocablement pris. Je ne reculerai devant rien pour sauvegarder l'avenir de mon fils, et s'il n'y avait pas d'autre moyen, tenez-vous certaine de ceci: c'est que je n'hésiterai pas à mettre ma malédiction entre lui et la folie qu'on le pousse à faire.
Veuillez agréer, Madame, mes salutations empressées.
Pièce numéro 19
(Écrite et signée par Mme veuve Péry. Aux soins de la fermière du Bois-Biot, pour remettre à M. L. Thibaut. Sans date. Ce devait être le 7 ou le 8 mai.)
Adieu, mon cher enfant, les deux lettres ci-jointes vous donneront les raisons de notre départ ou plutôt de notre fuite.
On aurait pu, je le crois, user de moyens moins cruels envers nous, mais n'oubliez pas ceci: la dureté apparente de Madame votre mère n'a d'autre origine que son affection pour vous. N'essayez pas de nous retrouver. Ce serait mal, et notre peine en serait aggravée. Entre vous et Jeanne ce n'était qu'une tendresse d'enfants. Vous oublierez. Adieu. Soyez bien heureux.
Note de Geoffroy.—Au-dessous de la signature qui suivait cette dernière ligne, il y avait encore une fois le mot: Adieu. Mais ce n'était pas la même écriture, et la pauvre petite main de Jeanne avait bien tremblé en le traçant.
СКАЧАТЬ