Название: Le dernier vivant
Автор: Paul Feval
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066085827
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Il est bien établi que le billet ment: je suis amoureux jusqu'au délire, et par continuation depuis les temps les plus fabuleux, de mon idole, de ma houri, de mon délicieux petit bijou, de ma Fanchette chérie, mon ange, mon diable, ma ruine, mon salut que tout Paris me connaît et m'envie, et qui me fait enrager en dansant avec tout Paris. Je me moque donc de toutes les Jeanne de l'univers et principalement de la tienne.
Mais, et sois assez perspicace pour remarquer que ce mot, prononcé pour la seconde fois, est écrit en lettres capitales, mais, dis-je, cela n'empêche pas du tout le billet anonyme de mériter considération. Quant à moi, il m'a beaucoup frappé.
Que diable! je ne suis pas le seul être au monde qui puisse se damner avec une Jeanne comme la tienne. Il y en a des quantités d'autres, je t'en donne ma parole d'honneur.
Or, mon brave Lucien, mon cher camarade, tu n'es pas du bois dont on fait des maris résignés. Non. L'autre mois nous causions encore de toi, Geoffroy et moi. En voilà un qui fait son chemin! Nous disions que tu étais la meilleure et la plus noble nature d'entre nous tous: capable, selon le sort, d'être heureux à titre larigot ou malheureux comme on ne l'est pas.
Si Geoffroy était à Paris, c'est lui qui filerait son nœud en deux temps pour courir à ton salut; mais la France, sa patrie et la nôtre, a besoin de lui dans les contrées étrangères. Allez! j'écrirais aussi bien qu'un autre, en beau style bête, si je voulais.
Je te dis, moi: réfléchis avant de piquer ta tête. C'est diablement grave. Ma parole, je regrette presque le renseignement fourni ci-dessus, tant j'ai le pressentiment que ton affaire n'est pas bonne.
Encore une fois, il était mon parent; je puis parler de lui la bouche ouverte; il faut avoir tué père et mère pour entrer comme cela volontairement dans la famille de cet imbécile coquin.
N'y entre pas, vieux Lucien, je t'en prie! Il doit y avoir quelque mauvaise histoire là-dedans.
Pour un peu, vois-tu, je te dirais que j'ai menti. Et, tiens, s'il faut cela pour te sauver, ça y est: je connais ta Jeanne, j'ai soupé avec elle plutôt dix fois qu'une; elle boit le Champagne comme un chérubin du ciel et lève l'une et l'autre jambe à hauteur de carabinier.
Parole sacrée. Porte-toi bien.
Post-scriptum.—Si tu connaissais ma Fanchonnette, tu comprendrais la vanité de pareils propos. Voilà une jeune personne! Mais, ventre de biche, je ne l'épouse pas.
Pièce numéro 11
(Lettre écrite et signée par Mme Thibaut.)
M. Lucien Thibaut, à Yvetot.
Dieppe. 20 octobre 1864.
Mon cher enfant.
Nous avons un automne magnifique ici et cette chère Olympe nous traite si bien que nous prolongeons un peu notre séjour. La richesse ne fait pas le bonheur, c'est vrai, ou du moins on le dit, mais il faut pourtant être à son aise pour avoir, comme notre Olympe, un château aux portes de la ville.
Tout ça me fait penser à toi, à ton établissement. Tu sais que mon plus ardent désir est de te voir marié. Tes sœurs et moi, Dieu merci, nous ne pensons pas à autre chose. Nous nous réveillons la nuit pour en parler.
Ce n'est pas que j'ajoute foi à ces bruits ridicules qui sont venus jusqu'à mon oreille, mais enfin, ces bruits-là, tout bêtes qu'ils sont, ne diminuent pas mon envie de voir ton sort assuré.
Notre Olympe est admirable pour nous. Ah! si la chance avait voulu... enfin, n'importe. Ce qui est certain, c'est que ta nomination t'a donné une valeur que tu n'avais pas: j'entends au point de vue matrimonial.
Aussi, tes sœurs et moi nous avons renoncé à la pauvre Ida Moreau que nous aimions de tout notre cœur, mais qui ferait un parti par trop ordinaire. Nous pouvons maintenant choisir.
Et puis son père et sa mère se portent comme des charmes. Ce qui lui reste à avoir, elle l'attendra longtemps.
Moi, les espérances, je ne les compte que pour mémoire. (Le mot espérance était souligné au crayon, sans doute de la main de Lucien.)
Il faut que j'en parle encore: oui j'avais fait un beau rêve autrefois, et je crois qu'il aurait été assez de ton goût, mon coquin! Notre Olympe était orpheline, elle avait dix mille livres de rentes en bon bien venu. Avec ça, jolie comme un cœur! Et des manières! Et une éducation! Et une conduite! Enfin tout, quoi! C'est le gros lot, celle-là.
Mais elle a fait mieux, on ne peut pas dire le contraire. Ce n'est pas que le marquis de Chambray fût un petit mari bien mignon, mais il avait son asthme et ses soixante-sept ans. J'appelle ça un placement en viager. Je suis drôle, pas vrai, mon chéri?
Eh bien! après? est-ce que nous ne sommes pas tous mortels? Notre Olympe a soigné son bonhomme mieux qu'une sœur de charité. Et une conduite! mais je l'ai déjà dit.
Il aurait été le dernier des misérables s'il ne lui avait pas tout donné à son décès, puisqu'il n'avait que des neveux à la bretonne.
Maintenant, elle est veuve. Elle a soixante mille livres de rentes, un château, un hôtel; elle est plus jeune et plus jolie que jamais.
Sais-tu qu'on parle d'éventualités, de succession possible, probable même? Tu n'es pas sans avoir eu vent de la tontine des cinq fournisseurs. Le début de l'histoire n'est pas très propre, mais on calomnie toujours l'argent par jalousie. C'est la fable du raisin qui est trop vert.
Il paraît que le marquis était neveu du dernier vivant de la tontine, le fournisseur, comme on l'appelle, qui se cache à Paris et qui vit comme un rat dans une cave. Il a près de cent ans et personne ne sait le compte absurde des millions qu'il ne pourra emporter dans l'autre monde.
Est-ce vrai? Moi je ne sais pas; Olympe hausse les épaules quand on veut lui toucher un mot de la chose. En tous cas, qu'est-ce que cela nous fait, puisque ce serait folie de songer encore à elle dans la position où elle est pour un morveux de petit magistrat comme toi? On ne se démarquise pas pour devenir Mme Thibaut, substitute. C'est dommage.
Mais sans aller chercher midi à quatorze heures, c'est-à-dire Mme la marquise de Chambray, tes sœurs et moi nous ne sommes pas au dépourvu. Nous avons battu les buissons dans tout le voisinage, et je te promets que nous ne sommes pas revenues sans gibier. On pourrait déjà t'offrir tout un panier de poulettes à choisir.
Mauvais sujet! vois-tu, ça me rend gaie de penser à tes noces. Tu es si tranquille! Tu rendras ta petite si heureuse! Seulement, attention à ne pas te laisser mettre le pied sur la tête. Un homme doit rester le maître chez lui. Ceux qui donnent leur démission ne sont jamais aimés. Nous recauserons de ça en temps et lieu.
Pour en revenir, tes sœurs et moi nous avons commencé par trier dans le bouquet pour ne pas trop t'ennuyer par l'embarras du choix.
Car nous sommes unanimes à ne point nous dissimuler qu'il faudra te marier à la cuiller, comme on donne la bouillie aux petits enfants.
Ah! je suis gaie quand ce sujet me tient. Je l'ai déjà dit, mais tant pis.
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