Midi à quatorze heures. Alphonse Karr
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Читать онлайн книгу Midi à quatorze heures - Alphonse Karr страница 8

Название: Midi à quatorze heures

Автор: Alphonse Karr

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066080822

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СКАЧАТЬ en aucun cas; il est juste de dire que ces gens, d’ordinaire, ne sont pas plus progressifs sur d’autres sujets. Nous avons vu d’honnêtes Parisiens se sentir pris du mal de mer juste au moment où, en passant la barre de Quille-bœuf, on leur disait que l’on sortait de la Seine pour entrer dans l’Océan. Pour la plus tranquille et la plus courte traversée, on croit devoir avoir le mal de mer, comme on croit devoir manger du pâté à Chartres; préoccupation qui a empêché bien des gens de visiter la magnifique cathédrale et les beaux vitraux que l’on y trouve également.

      Arrivé au Havre, il déjeuna, puis il se dirigea vers la poste pour y mettre lui-même une nouvelle lettre. Il se sentait un invincible besoin de se rapprocher d’elle; chaque femme que, sur son chemin, il vit marcher dans la direction de la poste aux lettres lui fit éprouver un indicible serrement de cœur.

      MMM. semblait parler sérieusement dans les conditions qu’elle mettait à la correspondance; il aurait craint de lui inspirer de la défiance en lui avouant qu’il était beaucoup moins loin d’elle qu’elle ne le supposait. Aussi avait-il eu soin dans sa lettre de lui expliquer qu’elle verrait souvent sur ses lettres le timbre du Havre, parce qu’il les envoyait à une connaissance qui les mettait à la poste. Comme il allait sortir du bureau, une domestique y entra qui demanda au buraliste:

      —Avez-vous une lettre?

      Et elle joignit à cette question un ton et un air d’intelligence qui semblait témoigner qu’elle était connue et qu’on savait ce qu’elle demandait.

      —Une lettre aux trois MMM? reprit le receveur avec un sourire niais. La voici.

      La domestique sortit avec la lettre.

      Roger resta quelques instants stupéfait; puis il se précipita sur ses traces; il ne tarda pas à la rejoindre, et la suivit jusqu’au moment où elle entra, sur la hauteur d’Ingouville, dans une petite maison de laquelle on devait avoir une admirable vue de la mer.

      Il s’arrêta à quelques pas de la porte: son cœur battait violemment. Cette femme, l’objet de tous ses rêves, le sujet de toutes ses pensées, elle était là; il pouvait la voir; l’épaisseur d’une porte les séparait. Un moment il eut envie d’entrer brusquement, de se jeter à ses genoux, etc.

      Entre un semblable plan et l’exécution, il y a quelque peu de chemin.

      —Et si elle n’est pas seule, et si, dans le premier effroi, elle crie, elle appelle, et si elle ne veut plus me voir pour avoir manqué à nos conventions!

      Il s’approcha timidement, et, à travers une grille de bois peinte en vert, il plongea des regards avides dans le jardin qui entourait la maison; quelques plates-bandes avaient des bordures de violettes; il se rappela celles qu’il avait reçues; il se représenta l’inconnue, écartant de ses petites mains effilées, devenues roses par le froid, ces feuilles glacées et d’un vert morne. Le moindre détail extérieur de cette petite maison l’intéressait à un point que nous ne saurions dire. Il cherchait à deviner, par le nombre des fenêtres, où devait être sa chambre; et, quand il croyait voir remuer un des rideaux, il ne pouvait plus respirer.

      Évidemment ces rideaux bleus appartiennent à sa chambre; mais voici une autre pièce avec des rideaux jaunes: il n’est pas probable que ce soit un salon; qui habite cette pièce? Il sentit à cette pensée froid au cœur.

      Le temps passait vite au milieu des émotions; il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il était au moins temps de retourner au bateau, s’il voulait profiter de la marée. Il descendit la côte, regardant à chaque instant derrière lui: quand il fut arrivé à un endroit où un pas de plus ne lui permettrait plus de voir la maison, il s’arrêta quelques instants, puis il se hâta de gagner le port; mais le passager était parti. Ce contre-temps était fâcheux; il n’avait pas averti qu’il ne rentrerait pas, et cependant il n’y avait plus moyen de partir avant le milieu de la nuit. Il s’y résigna cependant d’autant mieux que cela lui permettait de retourner à Ingouville; il dîna et retourna à son poste par beaucoup de détours: il n’était pas curieux de rencontrer les parents de sa femme.

      La chambre bleue seule était éclairée. Il suivait avec anxiété la moindre oscillation qu’éprouvait la lumière; une ombre passa sur le rideau, mais cette ombre était immense et difforme, et ne pouvait rien faire discerner. Il y eut un moment où il aperçut deux ombres, puis les cordes d’une harpe se firent entendre; les cordes vibraient délicieusement dans le silence de la nuit et résonnaient au plus profond de son cœur; il resta longtemps plongé dans un ravissant enchantement. Puis les accords cessèrent, il se fit du mouvement dans la chambre; la lumière changea de place et s’éteignit.

      Il frissonna; le mouvement d’aucune lumière n’avait indiqué que la seconde ombre passât dans une autre pièce.

      A moins cependant qu’il n’y eût un passage au fond de la chambre. Il fit le tour de la maison et s’aperçut qu’elle était double en profondeur; cela le tranquillisa à moitié. Il resta encore quelque temps; malgré son manteau, il était roide de froid; il redescendit, en proie à des impressions diverses. Son amour avait changé de nature depuis que son ange était devenu sinon visible, du moins possible à voir; depuis que l’âme aimée avait pris un corps.

      Il rentra chez lui vers trois heures du matin; Bérénice le reçut fort mal; pour Marthe, elle dit fort doucement qu’elle avait été inquiète. Roger fut de mauvaise humeur de cette douceur qu’il fallait bien aimer un peu: tout ce qu’il enlevait à MMM. lui coûtait prodigieusement; et, surtout depuis sa découverte, elle s’était emparée, du moins par la pensée de Roger, de tout ce qu’elle avait laissé à Marthe jusque-là.

       Table des matières

      Depuis ce jour, chaque matin Roger partait de Honfleur, allait passer quelques instants devant la maison d’Ingouville, et revenait le soir, toujours sous le prétexte d’une chasse lointaine. Marthe s’y était habituée et n’y faisait pas la moindre attention; pour Bérénice, elle ne pouvait trouver naturel que monsieur passât à la chasse une centaine d’heures par semaine et ne rapportât jamais rien; un soir, Marthe en fit elle-même l’observation. La correspondance ne s’arrêtait pas néanmoins, et l’inconnue se laissait aller de jour en jour à une tendresse plus expansive.

      Les excursions de Roger duraient depuis plus d’une semaine, lorsqu’il s’avisa de deux choses: la première était qu’il fallait s’informer du nom des propriétaires d’Ingouville, se faire donner pour eux une lettre de recommandation, et s’introduire dans la maison, sans se faire connaître de MMM.; la seconde, qu’il fallait, de temps à autre, rapporter un peu de gibier.

      Il écrivit donc à Léon qu’il eût à lui envoyer, dans le plus bref délai possible, une lettre de n’importe qui pour M. Aimé Deslandes, à Ingouville.

      En attendant la lettre, il va errer autour de la maison, sans jamais voir personne autre que quelques domestiques qui commençaient à remarquer ses assiduités. Il vit avec chagrin que le jardin n’était pas cultivé, que l’herbe poussait dans les allées, et qu’on aurait pu facilement lui appliquer cette naïveté d’une femme qui croyait que l’horticulture n’était autre chose que la culture des orties.

      Il en tira la conséquence que l’ange se parait d’un peu plus d’amour de la nature et des fleurs qu’elle n’en ressentait réellement. Il en fut indisposé contre СКАЧАТЬ