Midi à quatorze heures. Alphonse Karr
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Читать онлайн книгу Midi à quatorze heures - Alphonse Karr страница 3

Название: Midi à quatorze heures

Автор: Alphonse Karr

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066080822

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СКАЧАТЬ me mettre à jamais à l’abri d’une semblable émotion; vingt fois j’ai voulu entrer dans la salle, les provoquer, les insulter à mon tour, pour tâcher d’en trouver un seul qui voulût prendre la responsabilité de l’insulte de tous.

      «Que dis-je, un seul!... Je me serais précipité sur eux tous, un couteau à la main; et toutes ces femmes qui riaient, et les acteurs eux-mêmes, si humbles la veille, et, ce soir-là, si insolents!

      «Oh! maintenant, je ne suis plus leur esclave; je ne leur donne plus le droit, en mendiant leurs applaudissements, de huer mon nom.

      «Il y a assez d’autres fous qui usent leur vie pour ce public, pour cette réunion de quinze cents imbéciles qui, rassemblés, s’érigent en juges infaillibles de l’esprit, du talent, du génie, dont aucun n’a la moindre parcelle, et sont acceptés comme tels par des aveugles qui se vantent de l’indépendance et de la dignité de l’homme de lettres.

      «J’ai repris mon nom, celui de mon père, un nom qu’on n’a jamais applaudi, mais qu’on n’a jamais sifflé; un nom qui n’a pas été prostitué aux caprices de la foule, un nom sous lequel j’ai joui des vrais plaisirs, des seuls bonheurs qui n’ont pas laissé après eux une longue amertume.

      «Il n’y a rien de changé dans mes rapports avec ma femme; jamais elle ne me donne le moindre sujet de me plaindre; elle est douce, calme, s’occupe de sa maison avec la sollicitude d’une excellente ménagère. Je suis également pour elle le plus attentionné qu’il est possible, et je ne lui refuse rien de ce qui peut lui plaire.

      «Notre union est paisible, et, quand je vois d’autres ménages discors, haineux, tracassiers, je me réjouis des maux que nous n’avons pas. Mais, quand je regarde au dedans de moi, quand je me laisse aller à écouter la douce et harmonieuse voix de cette poésie toujours vivante en moi et plus puissante peut-être depuis qu’elle ne s’évapore plus sous ma plume, je comprends alors combien il y a de bonheurs qui me manquent.

      «Je n’aime pas Marthe et elle ne m’aime pas. Sa présence me plaît, mais je ne redoute pas son absence; je puis rester plusieurs heures à la chasse au delà du temps que j’ai fixé pour mon retour, sans qu’elle en soit ni inquiète ni troublée. Nos existences ne sont pas liées intimement: elles semblent deux fleuves renfermés entre les mêmes rives sans mêler ni confondre leurs eaux; il y a dans ma vie une partie rêveuse dans laquelle Marthe n’est pour rien, et, sans aucun doute, il en est de même pour elle. Une espèce d’instinct m’avertit qu’il y a entre nous sous certains rapports, un tel espace, que je ne songe jamais à le franchir. Souvent nous nous ennuyons tous les deux, nous tombons dans une langueur morne et silencieuse, et aucun ne cherche auprès de l’autre le remède à son mal.

      «Tous deux nous avons dans l’âme un amour sans objet, un besoin plutôt qu’un sentiment. Chez Marthe, ces accès sont plus rares et surtout de plus courte durée; elle ignore la cause et secoue par tous les moyens possibles ces songes qui l’inquiètent et la fatiguent. Moi, je m’y laisse entraîner sans opposer de résistance; souvent même je me complais dans cette mélancolie qui m’enveloppe d’une atmosphère qui me sépare du reste de la vie.

      «Rien de ce qui m’entoure ne peut me distraire; je ne vois de femmes que des paysannes ou des pêcheuses qui me font penser que la nature, pour l’homme comme pour les autres animaux, n’a créé que des femelles, et que c’est l’homme qui a créé la femme. Je chasse, je marche, je me fatigue, car c’est le seul moyen de me distraire de la rêverie et d’échapper à ce grand délabrement de cœur.

      «Adieu. «ROGER.»

       Pourquoi Roger n’avait pas d’encre, et pourquoi Bérénice s’appelait Bérénice.

       Table des matières

      La lettre que vous venez de lire, ou peut-être de ne pas lire, a déjà dû vous donner quelques lumières sur la situation réelle de Roger; néanmoins, il me prend fantaisie de raconter en peu de mots son histoire, à peu près de la manière dont se contaient les contes de fées, au temps heureux où il y avait des gens assez spirituels pour ne pas prétendre sans cesse au sublime et écrire parfois des contes de fées.

      Il était une fois un homme qui s’était livré à la littérature avec quelque succès; il avait réussi à entourer de quelque gloire le pseudonyme sous lequel il avait d’abord caché son obscurité. Pendant quelques années, il avait fait deux ou trois romans et cinq ou six pièces de théâtre. Il avait du cœur et de l’esprit; ses ouvrages avaient eu un succès fort honorable. Mais, un jour, le public avait voulu fustiger son enfant gâté; peut-être aussi l’écrivain s’était-il trompé: toujours est-il que la pièce avait été sifflée et n’avait pu aller jusqu’au dénoûment, qui était peut-être magnifique.

      Le poëte, qui, jusque-là, avait appelé la voix du peuple la voix de Dieu, tant que le peuple avait dit bravo, changea subitement d’avis sur le public, et s’écria avec Horace: «Je hais le vulgaire ignoble, et je le repousse loin de moi.» Peut-être n’était-il pas absolument impossible à notre poëte de repousser le public, le vulgaire du théâtre pour lequel il travaillait: il aima mieux s’enfuir; il mit dès lors à rester ignoré et à ne rien faire la même ardeur et la même persévérance qu’il avait mises, jusque-là, à travailler et à se faire connaître. Il y a une chose qui chatouille agréablement l’orgueil, c’est de disparaître en laissant derrière soi une traînée lumineuse comme les étoiles qui filent; on espère briller encore par son absence. Pour Roger, il était de bonne foi; il eut assez de fierté dans le cœur pour se rappeler que Dieu avait été maître d’école; mais il eut en même temps assez d’esprit pour se monter la tête avec ce bel exemple, sans cependant l’imiter jusqu’au bout.

      Il reprit le nom de son père, abandonna à la critique, à l’envie, aux sifflets, son nom d’emprunt, et partit pour l’Amérique.

      Je ne crois pas qu’il y ait quelqu’un qui ne soit pas au moins une fois parti pour l’Amérique. Il se disait, comme on se dit toujours en pareil cas:

      —Je suis fort, je suis jeune, je suis intelligent, je travaillerai.

      Il eut le bonheur de se fouler un pied au Havre, où il voulait s’embarquer.

      Ce n’est pas pour rien qu’on se foule le pied dans un roman, direz-vous. Cela va sans dire, et cela s’explique par cela que, si cet incident n’avait pas amené quelque chose, je ne vous en aurais pas dit un mot.

      Cet accident prolongea son séjour au Havre, et la prolongation de son séjour lui fit connaître une fille qu’il épousa. Les théories des bras forts, de la jeunesse et du travail ne sont séduisantes que jusqu’au moment de l’application. La fille avait un peu de bien. Roger acheta une petite maison à Honfleur, décidé à y renfermer le reste de sa vie. Il se fit chasseur, pêcheur, musicien, peintre, ne lut plus, n’écrivit plus, ne confia à personne sa vie passée; seulement, rien ne pouvait alimenter la partie de l’homme à laquelle ne suffit pas un bonheur matériel. La musique l’intéressa et l’occupa six mois, la chasse quinze jours, la peinture et la pêche six autres mois; puis il retombait dans l’ennui.

      Fidèle à son vœu, il n’avait dans sa chambre ni encre, ni papier, ni livres, et il y avait peut-être six mois qu’il n’avait écrit une lettre quand il se décida à écrire à son ami Moreau.

      Passons à notre seconde explication. СКАЧАТЬ