Midi à quatorze heures. Alphonse Karr
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Читать онлайн книгу Midi à quatorze heures - Alphonse Karr страница 5

Название: Midi à quatorze heures

Автор: Alphonse Karr

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066080822

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СКАЧАТЬ une seule fois, pour me dire que vous avez reçu ma lettre; souvent, en lisant vos livres, j’ai regretté qu’ils ne fussent pas écrits de votre main; les caractères de l’imprimerie me disaient trop qu’ils n’étaient pas pour moi seule, et j’en étais un peu jalouse. J’aurai quelques lignes écrites pour moi, écrites à moi, quelques lignes que personne ne verra, que je cacherai, comme on doit cacher tout bonheur.

      «Voici qu’il faut fermer ma lettre et j’ai encore envie de la brûler. Cependant le sort en est jeté. Si cela vous ennuie, vous la brûlerez vous-même. Mais quelque chose me dit que vous me répondrez.

      «Mon Dieu, si vous pouviez me croire légère, imprudente! Oh! monsieur, ne me jugez pas mal. Je suis une femme sage, modeste et retirée. L’amitié que j’ai pour vous est noble et pure. Je vous aime comme j’aime la verdure des bois, comme j’aime les sombres harmonies du vent. Si je trouvais dans mon cœur la moindre pensée condamnable, je ne vous écrirais pas; j’ai pour vous de la reconnaissance et une sainte amitié; je n’oserais pas vous aimer, si mon affection n’était pas une affection de sœur, et puis il y a longtemps que je vous connais; j’ai tant lu vos ouvrages, où il y a tant de votre âme!

      «Je ne relis pas ma lettre, je ne l’enverrais pas. Si vous me répondez, adressez votre lettre à MMM., poste restante, au Havre.»

       Table des matières

      Après la lecture de cette lettre, Roger se leva; il avait la tête brûlante. Il marcha dans sa chambre, puis dit:

      —Au Havre, c’est tout près de moi, c’est là; on y va en trois quarts d’heure.

      Il s’assit de nouveau et réfléchit à cette bizarre missive.

      —Est-elle réellement ce qu’elle craint tant de paraître? est-ce une coquette à moitié adroite? n’est-ce qu’un lieu commun d’aventure? Cependant il y a dans cette lettre comme un parfum d’innocence et de pudeur.

      Toutes ces pensées remplissaient son cœur d’une indescriptible émotion; il se sentait oppressé, et, d’ailleurs, il était gêné pour penser par le voisinage des gens qui l’entouraient. Il n’aurait voulu pour rien au monde leur laisser deviner le sujet de sa préoccupation; il ne voulait même pas qu’on vît qu’il était préoccupé. Cela lui eût semblé déjà une profanation, tant il prenait involontairement d’intérêt à ce qui lui arrivait.

      Il prit son fusil et son carnier, et sortit, affectant le plus possible l’air d’un chasseur déterminé; il se dirigea vers le bord de la mer et marcha sans s’arrêter jusqu’au moment où il ne vit plus ni hommes ni maisons. Là, il s’assit sur une roche et relut la lettre. Le vent lui rafraîchissait délicieusement la tête; cet homme, qui depuis longtemps renfermait tant de poésie dans son cœur, la laissait s’échapper en pensées d’amour et d’espérance.

      Cette nonchalance de l’âme venait de cesser tout à coup; il sentait renaître en lui le désir de l’énergie. Il eût voulu se jeter aux genoux de cette femme qui venait ainsi réveiller sa vie et lui dire: «Je t’aime.» Il avait envie de partir, d’aller la chercher. Puis il se rappelait ses livres, il tâchait de se souvenir des passages qui avaient pu la frapper.

      —Elle ne me parle pas de mes drames. Peut-être elle ne les connaît pas; il y en a cependant où j’ai parlé de l’amour avec feu et noblesse, un où j’ai jeté mon âme tout entière... Et cependant si, au lieu d’écrire au public, j’avais écrit à elle pour elle, si j’avais su que, dans un point du monde, il y avait une âme qui m’écoutait!

      La nuit le surprit dans cette fièvre poétique, il regagna sa demeure à pas lents; quand il entendit le peu de bruit de la ville, quand il vit les premières maisons, tout son enthousiasme tomba; il sourit amèrement et se dit:

      —Je suis fou.

      Bérénice lui demanda d’un rire goguenard s’il avait fait bonne chasse. Il se crut deviné, et, pour la cacher davantage, il renfonça sa préoccupation dans son cœur, où elle se cramponna. Il répondit que non, qu’il avait été maladroit.

      —Et de plus, dit Bérénice, monsieur, n’avait ni poudre ni plomb.

      Et elle lui montra la poire à poudre et le sac à plomb oubliés sur la table.

      A dîner, il trouva Marthe maussade et ennuyeuse. La pauvre Marthe était tout simplement comme à son ordinaire. Mais il n’était pas fâché d’avoir un prétexte de ne pas dire un mot. Il prit une plume, du papier, puis il fut longtemps sans écrire. Il se leva et arrangea ses cheveux devant un miroir, involontairement; il sentait le besoin d’être beau, même loin d’elle. Puis il se remit à sa place.

      —Que vais-je lui dire? Si je me laisse aller à l’influence sous laquelle je suis en ce moment, elle me prendra pour un fou, ou elle s’alarmera de cette amitié subite et passionnée. L’affection qu’elle me témoigne est fondée; elle me connaît, elle. Mais, moi, ne pourra-t-elle pas croire, avec raison, que je serais pour tout autre ce que je suis pour elle? Et, d’ailleurs, sais-je ce qu’elle est? Il faut pourtant répondre. J’aimerais mieux ne pas avoir reçu cette lettre; je n’ai plus dans la tête que confusion et incertitude.

      Cependant, après s’être tenu quelque temps à la fenêtre et à l’air, il revint à sa place et écrivit. D’abord il imagina de lui raconter toute sa vie, puis il déchira la page.

      —Il faut garder l’auréole poétique qui me couronne à ses yeux. Elle ne comprendrait pas comment je me suis résigné à tout le prosaïsme de la vie que je mène.

      Vilhem à MMM.

      «Votre lettre, madame, m’arrive dans un moment de découragement et d’abattement profond. Fatigué des amitiés qui m’entourent et qui ont surtout ce défaut de n’être pas des amitiés, je saisis avec empressement l’occasion de dépayser mon cœur. Je vous aimerai de loin, cela me réussira peut-être.

      «Je ne sais comment vous écrire. Dans une correspondance ordinaire, vous me parleriez de moi, et je vous parlerais de vous. Mais vous me connaissez, et je ne vous connais pas. Vous me parlez de moi, et il faut répondre de moi. J’aimerais cependant bien pouvoir vous parler de vous.

      «Souvent, quand j’écrivais, je m’isolais de la foule, du public, et je me figurais que je racontais mes livres à une femme pour laquelle seule je rêvais de la gloire, pour laquelle seule je voulais mettre en dehors ce qu’il y avait de beau et de noble en moi.

      «Cette femme, je ne l’ai pas trouvée; voulez-vous l’être? Je n’écris plus; du moins, je n’écris plus pour le public. J’écrirai pour vous.

      «Peut-être vais-je vous paraître me donner beaucoup au hasard; peut-être ne méritez-vous pas ce qu’il y a de bonne affection pour vous dans mon cœur. Mais un instinct secret me pousse vers vous. Je joue mes dernières chances de bonheur avec d’autant plus de confiance que je les croyais perdues, et que, si je me trompe, je serai comme j’étais hier. Aimons-nous donc de loin. Je vous donnerai de ma vie tout ce que j’en pourrai dérober aux ennuis qui m’entourent. Je regarderai comme une précieuse conquête tout ce que j’en pourrai réserver pour vous.

      »Répondez-moi, parlez-moi de vous.

      »Toujours СКАЧАТЬ