Midi à quatorze heures. Alphonse Karr
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Читать онлайн книгу Midi à quatorze heures - Alphonse Karr страница 4

Название: Midi à quatorze heures

Автор: Alphonse Karr

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066080822

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СКАЧАТЬ Les paysans des côtes de la Normandie se parent assez volontiers des noms les plus distingués qu’ils peuvent trouver sur le calendrier, semblables en cela aux peuples sauvages, qui mettent dans leurs cheveux des plumes rouges, des boutons de cuivre, du verre cassé et tout ce qu’ils peuvent trouver de luisant, leur fallût-il donner en échange leurs enfants, leurs femmes et même leur tomahawk.

      Notre ami Léon Gatayes, qui est encore, par le temps qu’il fait, au milieu de nos autres amis les pêcheurs d’Étretat, dans les repas de fête appelés caaudraies, a autour de lui, si nous avons bonne mémoire, deux ou trois Onésime, un Césaire, deux Bérénice, une Cléopâtre.

      Si notredit ami Léon Gatayes lit par hasard ces lignes, nous n’avons pas besoin de lui recommander de porter notre santé avec nos amis d’Étretat; nous lui rappelons seulement qu’il doit nous rapporter des ajoncs que nous voulons naturaliser dans notre jardin, et que, s’il avait oublié la commission, il s’est engagé d’avance à retourner s’en acquitter.

       Table des matières

      Tout à coup le temps redevint beau, le ciel reprit ces teintes d’un bleu sombre qui appartiennent à la fin de l’automne; de gros flocons de nuages entourèrent l’horizon comme d’une ceinture d’argent. On se serait cru dans l’été, sans l’odeur du safran qu’exhalaient les bois, sans l’aspect triste des arbres presque entièrement dépouillés, sans le calme de l’air qui fait de chaque journée d’automne une soirée d’été de douze heures. Il n’y avait plus dans les arbres que des pinsons et des mésanges à tête bleue; les quelques fleurs qui avaient résisté aux premières gelées étaient petites, décolorées, et aucun insecte ne venait bourdonner autour d’elles, ni s’enfoncer et se rouler dans leur calice.

      L’espérance et le souvenir ont le même prisme: l’éloignement. Devant ou derrière nous, nous appelons le bonheur ce qui est hors de notre portée, ce que nous n’avons pas encore ou ce que nous n’avons plus. C’est ce qui donne tant de prix aux choses que l’on craint de perdre. Le coucher du soleil, les derniers beaux jours de l’automne inspirent une mélancolie heureuse et inquiète à la fois, semblable à celle que l’on éprouve près d’un ami qui va partir pour un long voyage. Marthe et Roger sentaient tous deux cette irrésistible influence; mais, ne trouvant pas l’un dans l’autre de quoi calmer cette turbulence et cette agitation de l’âme, ils se gênaient mutuellement et s’évitaient autant qu’il était possible.

      Il n’y a que les imbéciles qui ont de l’esprit pour leur domestique ou pour leur coiffeur. Il n’y a que les sots, les gens qui ne se sentent pas, qui peuvent se consoler de laisser voir les secrets mouvements de leur cœur à des gens indifférents ou incapables de les comprendre.

      Les deux époux étaient bien persuadés, chacun pour sa part, que l’autre ne comprendrait pas ce qui se passait en lui, et jamais leur conversation n’avait été si décousue ni portant aussi exclusivement sur des futilités.

      Roger alors jeta les yeux autour de lui et se trouva misérablement isolé: Marthe, qui tenait la place de tant de bonheur qu’elle ne donnait pas; Léon Moreau, qui, au milieu des habitudes et des plaisirs de Paris, oubliait l’exilé et ne prenait pas le temps de lui répondre; tous ces étrangers avec lesquels il n’avait rien de commun. Il ne tarda pas à se trouver dans cette situation d’esprit où l’on ne désire rien, où la terre ni le ciel ne peuvent plus rien pour nous: la cervelle devient de plomb, on ne peut plus ni désirer ni se souvenir; les idées sont vagues, inertes, à demi effacées.

       Table des matières

      C’est dans ces moments que le moindre incident qui vient tirer de cette torpeur léthargique est reçu avec reconnaissance. Roger se crut sauvé quand on lui apporta une énorme lettre de Paris. Il la pesa dans la main et se réjouit en pensant qu’il y avait pour plus d’un quart d’heure de lecture; il se prépara à jouir en gourmet de cette distraction; il remit du bois au feu et ouvrit le paquet.

      Léon Moreau à Roger.

      «Je t’envoie, mon cher Roger, une lettre que j’ai reçue à l’adresse de ton nom de guerre, de ton nom poétique. Depuis ton départ, j’ai constamment ouvert les autres, qui me semblaient des lettres d’affaires; mais celle-ci, à en juger par l’écriture fine et les lignes serrées, a quelque chose de plus intime qui me détermine à te la faire passer. D’ailleurs, les blessures de ton cœur doivent être aujourd’hui cicatrisées, et tu ne seras peut-être pas fâché de faire une épreuve sur toi-même et de voir quelle impression produira sur toi un regard en arrière. J’espère aller cet hiver avec toi. Vous devez avoir des bécassines. Tu me donneras tes commissions pour Paris, etc.»

      MMM. à Vilhem.

      «Monsieur, je vous écris, et peut-être j’aimerais mieux ne pas vous écrire; peut-être déchirerai-je cette lettre aussitôt qu’elle sera terminée.

      «J’ai lu vos ouvrages, monsieur, et il m’a semblé qu’il m’était donné d’y voir bien des choses que tout le monde n’y voit pas; il m’a semblé que certaines pages, qui exprimaient si bien des idées et des douleurs confuses qui m’ont si souvent traversé le cœur, avaient été écrites exprès pour moi. Il m’a semblé que ces livres, destinés à tous, n’étaient réellement à leur adresse que dans mes mains. Je les sais presque par cœur; je les relis à chaque instant; quand je suis triste, je sais où trouver les passages où il y a une tristesse semblable à la mienne, je les relis, je pleure avec vous, et je me sens consolée; ma tristesse même me devient chère, et j’en aime presque les causes. Quand je suis heureuse, je relis ces descriptions avec tant d’amour, et je place mon bonheur dans les endroits où vivent vos héros. Il y a surtout dans un de vos livres une petite romance d’une simplicité, d’une suavité qui me charme au delà de toute expression; j’ai essayé sur ces paroles, pour les chanter, tous les airs de mon répertoire; eh bien, aucun ne me satisfait entièrement. Sans doute, monsieur, vous avez fait ces paroles sur un air; pourriez-vous m’en donner la musique? J’y attache quelque chose de presque sacré. Je ne les chante que quand je suis seule.

      «Mais que penserez-vous de moi, monsieur, de moi qui vous écris ainsi sans être connue de vous et sans vous connaître autrement que par vos livres? Je ne sais trop comment excuser à vos yeux cette démarche inconsidérée; je ne sais comment l’excuser à mes propres yeux..........

      . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

      «Je viens de passer un quart d’heure tenant ma lettre dans les mains, prête à la déchirer, et je ne l’ai pas fait. Il me semble, monsieur, qu’on peut agir différemment avec vous autres, poëtes, qu’avec le commun des hommes. D’ailleurs, j’ai trouvé pour moi-même les raisons qui justifient ma démarche.

      «Je ne vous ai jamais vu, et probablement je ne vous verrai jamais; tout nous sépare, les positions, les distances. Certes, je n’oserais vous écrire s’il y avait la moindre possibilité que je pusse vous voir quelque jour. Tenez, monsieur, cette idée me donne du courage, je vais être franche. Je désire beaucoup savoir cet air; mais ce qui me fait surtout vous écrire, c’est le désir de vous apprendre que j’existe, de vous faire savoir que, dans un coin du monde que vous ignorez, il y a une âme qui comprend la vôtre, une amie inconnue qui vous aime de l’affection la plus désintéressée. Quand vous écrirez СКАЧАТЬ