Jean-Jacques Rousseau. Jules Lemaître
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Название: Jean-Jacques Rousseau

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066085513

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СКАЧАТЬ Ce qui est sûr, c'est qu'un écrivain de ce temps-là, qui voulait arriver, était condamné aux relations aristocratiques.

      Le futur auteur du Discours sur l'inégalité et du Contrat social n'échappe point à cette obligation, et d'ailleurs ne cherche point à y échapper. Et pourtant, nul n'est moins fait que lui pour cette vie de salon, de conversation, et de plaisirs à la fois raffinés et futiles.—Il était plébéien de goûts et d'esprit, réellement ami de la simplicité, d'ailleurs extrêmement timide. Il nous parle des balourdises qu'il fait dans les premiers dîners élégants où il est admis. Il nous répète à satiété, dans cinquante passages de ses Confessions et de ses lettres (ce qui prouve peut-être qu'au fond il en souffrait) qu'il est timide et gauche, qu'il manque de conversation et d'à-propos, et que, pour parler quand même, il dit souvent des sottises...

      Mais, d'autre part, il a une figure intéressante, des yeux d'un éclat extraordinaire; et de temps en temps, quand les choses le touchent, il lui arrive d'être éloquent pendant quelques minutes, avec un effort qui donne alors plus d'accent à sa parole. On le considère avec curiosité. Et lui, qui s'en aperçoit, il s'y prête, et, sentant qu'il ne sera jamais «comme les autres», un causeur étourdissant comme Diderot ou fin et froid comme Grimm ou d'une brusquerie savoureuse comme Duclos, il se résoudra à paraître de plus en plus singulier et «à part», car cela aussi est un succès. Mais avec cela, je le répète, jusqu'en 1749, ses ambitions sont purement musicales et littéraires.

      J'arrivai, dit-il, à Paris dans l'automne de 1741, avec quinze louis d'argent comptant, ma comédie de Narcisse, et mon projet de musique pour toute ressource.

      Ce «projet de musique» est un nouveau système de notation par les chiffres (le même système, je crois, qui a été repris et perfectionné par Galin-Paris-Chevé, et recommandé maintes fois par Francisque Sarcey).—Il lit son projet, le 22 août 1742, à l'Académie des sciences, sans succès. Il semble porter assez bien cette déception; et, comme il manque un peu de ressort, il partage son temps entre la lecture et le jeu d'échecs.

      Mais les personnes auxquelles il était recommandé, et aussi ses visites aux académiciens, lui ont fait faire des connaissances.—Au reste il dit lui-même: «Un jeune homme qui arrive à Paris avec une figure passable et qui s'annonce par des talents est toujours sûr d'être accueilli.» (C'est aujourd'hui un peu changé.) Donc il rencontre et fréquente Fontenelle, Mably, Marivaux, Bernis, l'abbé de Saint-Pierre, Diderot et, un peu plus tard, Grimm.

      Peu après l'échec de son mémoire sur la musique, comme il attendait tranquillement la fin de son argent, un jésuite, le Père Castel lui dit un jour: «Je suis fâché de vous voir vous consumer ainsi sans rien faire. Puisque les musiciens, puisque les savants ne chantent pas à votre unisson, changez de corde et voyez les femmes. Vous réussirez peut-être mieux de ce côté-là.» Ainsi parla ce jésuite. C'est à lui que Jean-Jacques dut la connaissance de madame de Beuzenval, de madame Dupin, de M. de Francueil et, par celui-ci, de madame d'Épinay et de madame d'Houdetot.

      Jean-Jacques suit avec M. de Francueil un cours de chimie. Il tombe dangereusement malade et, dans le transport de sa fièvre, compose des chants et des chœurs. Ces idées lui reviennent dans sa convalescence; il médite un plan et commence l'opéra des Muses galantes. Nous voilà bien loin encore du Discours sur l'inégalité.

      Naturellement il devient amoureux,—sans nul danger pour elle,—de madame Dupin (l'aïeule de George Sand). Car il ne peut voir une grande dame sans en tomber amoureux et sans bâtir là-dessus des projets. Il y a dans Jean-Jacques comme un Julien Sorel sans volonté (ce qui, à vrai dire fait une différence notable.) Il écrit:

      Elle me permit de la venir voir. J'usai, j'abusai de la permission. J'y allais presque tous les jours, j'y dînais deux ou trois fois la semaine, je mourais d'envie de lui parler, je n'osai jamais. Plusieurs raisons renforçaient ma timidité naturelle. L'entrée d'une maison opulente était une porte ouverte à la fortune; je ne voulais pas risquer de me la fermer... Madame Dupin aimait avoir tous les gens qui jetaient de l'éclat, les grands, les gens de lettres, les belles femmes. On ne voyait chez elle que ducs, ambassadeurs, cordons bleus. Madame la princesse de Rohan, madame la comtesse de Forcalquier, madame de Mirepoix, madame de Brignolé; milady Hervey, pouvaient passer pour ses amies. Monsieur de Fontenelle, l'abbé de Saint-Pierre, l'abbé Sollier, monsieur de Fourmont, monsieur de Bernis, monsieur de Buffon, monsieur de Voltaire étaient de son cercle et de ses dîners...

      Voilà donc Rousseau dans le plus grand monde, et, s'il faut le dire, dans le plus voluptueux et le plus corrompu, et qui s'y trouve fort bien. Oui, nous sommes loin de Jean-Jacques citoyen de Genève et philosophe selon la nature.

      Cependant, ces dames s'occupent de lui, lui cherchent une situation. Vers avril ou mai 1743, il va rejoindre, en qualité de secrétaire, M. de Montaigu, ambassadeur de France à Venise. Il y passe dix-huit mois. Jean-Jacques s'étend avec complaisance sur cette période de sa vie.

      A la vérité, il ne dit pas un mot de la beauté de Venise, tant célébrée depuis un siècle par les écrivains, et avec des mots si pâmés!

      Sébastien Mamerot, prêtre natif de Soissons, écrivait en 1454, dans les Passages d'outre mer faits par les Français, livre publié en 1518:

      Venise est une belle cité grande comme la moitié de Paris, assise sur la mer, tout environnée d'eau qui court la plupart des rues de la ville; et vont les petits galiots et bateaux parmi les dites rues; et il y a des ponts, tant grands que petits, tant de bois que de pierre, environ de douze à quinze cents. Et c'est la ville la plus peuplée qu'on puisse guère voir, car on n'y voit point de jardins ni de places vides... Et il y a les plus belles boutiques de toutes marchandises qu'on puisse guère trouver, et la plupart des métiers sont faiseurs de soie et de velours. Et il y a quantité de belles maisons qu'on appelle palais;... et chaque seigneur a sa barque pour aller où il veut. Et dit-on qu'il y a plus de bateaux à Venise qu'il n'y a de chevaux ni de mulets à Paris. Et il y a au corps de la ville environ cent vingt églises, etc.

      Et Sébastien Mamerot décrit ensuite sèchement et minutieusement les mosaïques de Saint-Marc.

      Or, Jean-Jacques, l'aïeul des romantiques dont Chateaubriand est le père, ne nous en dit pas même autant. Justement parce qu'il est, comme descriptif, un précurseur, il ne s'attache encore qu'aux objets simples: lacs, forêts, montagnes modérées, et n'a pas eu le temps de raffiner et de renchérir. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que Venise, au milieu du XVIIIe siècle était une ville extrêmement vivante, que ses palais étaient neufs ou nettoyés et ne menaçaient pas ruine, et qu'elle n'avait donc pas alors ce charme de l'agonie et de la déliquescence, sur lequel nous avons appris à nous exciter.

      Mais, surtout, au moment où il nous parle de son séjour à Venise, Jean-Jacques est trop rempli du souvenir des fonctions qu'il y exerçait, pour se soucier de Saint-Marc, du pont des Soupirs, des canaux et des gondoles. Visiblement, il est fier d'avoir été secrétaire d'ambassade (car il en faisait les fonctions), d'avoir un jour occupé un poste honorable, officiel, dans la société régulière. Écoutez le ton, l'accent:

      Il était temps que je fusse une fois ce que le ciel, qui m'avait doué d'un heureux naturel, ce que l'éducation que j'avais reçu de la meilleure des femmes (madame de Warens avait peut-être été quelque peu agent diplomatique secret du roi de Sardaigne), ce que celle que je m'étais donné à moi-même m'avait fait être, et je le fus. Livré à moi seul, sans amis, sans conseils, sans expérience, en pays étranger, servant une nation étrangère, au milieu d'une foule de fripons qui, pour leur intérêt et pour écarter le scandale du bon exemple, me tentaient de les imiter: loin d'en rien faire, je servis bien la France, à qui je ne devais rien, et mieux l'ambassadeur, comme il était juste, en tout ce qui dépendait СКАЧАТЬ