Jean-Jacques Rousseau. Jules Lemaître
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Читать онлайн книгу Jean-Jacques Rousseau - Jules Lemaître страница 8

Название: Jean-Jacques Rousseau

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066085513

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СКАЧАТЬ il énumère ses services. Le ton, le sérieux, l'air de satisfaction profonde, rappellent Chateaubriand racontant son ambassade à Londres. (Combien Chateaubriand, ce fils aristocrate de Jean-Jacques, lui ressemble, c'est ce qui apparaît à mesure qu'on lit davantage l'un et l'autre.)

      Mais, si nous en croyons Jean-Jacques, son patron M. de Montaigu était un homme grossier, avare, ignorant et un peu fou[1]. Il dut se séparer de lui, sans pouvoir, dit-il, se faire payer ses appointements. De retour à Paris, il demande inutilement justice de son ambassadeur. Les refus qu'il éprouva (il faut dire que, tout en faisant fonction de secrétaire d'ambassade, il n'était que secrétaire de l'ambassadeur) laissèrent dans son âme, dit-il, «un germe d'indignation contre nos sottes institutions civiles, où le vrai bien public et la véritable justice sont toujours sacrifiés à je ne sais quel ordre apparent, destructif en effet de tout ordre, et qui ne fait qu'ajouter la sanction de l'autorité publique à l'oppression du faible et à l'iniquité du fort».

      C'est dommage. S'il avait pu s'entendre avec M. de Montaigu, si Rousseau, content d'être quelqu'un de classé et d'officiel avait pu poursuivre sa carrière diplomatique (et il est probable que ses puissantes amies de Paris l'eussent fait avancer rapidement), il eût pris goût de plus en plus à sa profession, il eût envoyé à son ministre des rapports d'un style admirable; il se fût adonné à l'économie politique pour laquelle il avait du penchant, mais il n'y eût pas cassé les vitres; il n'eût pas écrit l'Inégalité, l'Émile ni le Contrat, et nous y aurions perdu au point de vue littéraire, mais nous y aurions gagné à quelques autres égards, et il n'eût pas épousé Thérèse Levasseur.

      Mais achevons les souvenirs vénitiens de Jean-Jacques.

      Dans cette ville d'amours et de plaisirs, dans cette Venise de Casanova (qui s'y trouvait en même temps que Rousseau), la vie amoureuse de Jean-Jacques se réduit à peu. Le malheureux nous dit lui-même qu'il n'avait pas renoncé à ses habitudes honteuses. Sa seule rencontre effective, pendant ces dix-huit mois, est avec une personne qu'on appelait la Padoana. Une rencontre plus célèbre est avec Zulietta. Je vous renvoie au texte du récit; mais je dois vous en citer du moins le commencement:

      J'entrai dans la chambre d'une courtisane comme dans le sanctuaire de l'amour et de la beauté... A peine eus-je connu, dans les premières familiarités, le prix de ses charmes et de ses caresses, que, de peur d'en perdre le fruit d'avance, je voulus me hâter de le cueillir. (Nous retrouvons ici la névrose que j'ai signalée l'autre jour.) Tout à coup, au lieu des flammes qui me dévoraient, je sens un froid mortel couler dans mes veines, et, prêt à me trouver mal, je m'assieds, et je pleure comme un enfant.

      Ne nous y trompons pas: bonnes ou mauvaises, c'est peut-être la première fois qu'on ait écrit des paroles de ce sentiment, de cet accent, de cette couleur. Et, si je ne m'abuse, pour obtenir ce ton, il a fallu (Rousseau écrit cela à cinquante-cinq ans) toute une vie de timidité douloureuse dans les choses de l'amour, et de sauvagerie, et de sensibilité et d'imagination d'autant plus excitées; il a fallu un demi-siècle de maladie, et de désir non contenté—et du génie par là-dessus.

      Rousseau continue:

      Qui pourrait deviner la cause de mes larmes et ce qui me passait dans la tête en ce moment? Je me disais: Cet objet dont je dispose est le chef-d'œuvre de la nature et de l'amour; l'esprit, le corps, tout est parfait; elle est aussi bonne et généreuse qu'elle est aimable et belle; les grands, les princes devraient être ses esclaves; les sceptres devraient être à ses pieds. Cependant la voilà, misérable coureuse, livrée au public; un capitaine de vaisseau marchand dispose d'elle, etc.

      Sentez-vous que c'est là la première rédaction parfaite d'un des thèmes sur lesquels les romantiques ont vécu: l'attendrissement, volontiers solennel et mystique, sur la courtisane; le respect de la femme déchue, plus touchante et même plus vénérable d'être déchue;—oh! mon Dieu, très bon sentiment, si l'on n'avait tout de même un peu trop abusé de cette substitution du sentiment à la raison. Thème romantique, ai-je dit: cela est si vrai, et la page de Jean-Jacques sur Zulietta était si nouvelle et parut si insensée quand les Confessions furent connues, que La Harpe y vit un des signes les plus probants de la folie de Rousseau.—Thème romantique,—qui dévie dans le récit de, Jean-Jacques, car il s'avise ensuite d'attribuer à quelque défaut physique secret la vile condition où Zulietta est réduite,—mais thème essentiellement romantique dans les lignes que j'ai citées. Jean-Jacques près de Zulietta, n'est-ce pas déjà Rolla près du lit de Marion? et ne saisissez-vous pas une ressemblance de sentiment et de ton entre la méditation, encore tempérée, de Jean-Jacques, et les effusions miséricordieuses et effrénées de Rolla:

      Ô Chaos éternel, prostituer l'enfance!...

       Pauvreté! Pauvreté! c'est toi la courtisane,

       C'est toi qui dans ce lit as poussé cet enfant

       Que la Grèce eût jeté sur l'autel de Diane!...

      Et plus loin:

      Jacque était immobile et regardait Marie...

       Il se sentait frémir d'un frisson inconnu.

       N'était-ce pas sa sœur, cette prostituée?...

      Oui, il me semble bien que l'emphase, la déraison et ce que j'appellerai la disproportion romantique entre les sentiments et les choses est déjà dans cet épisode de la Zulietta.

      Nous arrivons à Thérèse.

      De retour à Paris, Jean-Jacques, tombé de ses ambitions, était fort triste et fort désemparé. Il s'installe de nouveau à l'hôtel Saint-Quentin, rue des Cordiers, près de la Sorbonne. Les pensionnaires mangeaient avec l'hôtesse et une jeune lingère de vingt-deux à vingt-trois ans, Thérèse. La mère, madame Levasseur, avait tenu boutique à Orléans, où son mari était «officier de monnaie.» Ayant mal fait ses affaires, elle avait quitté le commerce et était venue à Paris avec son mari et ses enfants. (Jean-Jacques nous dit qu'elle avait «beaucoup d'enfants», sans préciser.) Et maintenant écoutons Jean-Jacques:

      La première fois que je vis paraître cette fille à table, je fus frappé de son maintien modeste, et plus encore de son regard vif et doux, qui pour moi n'eut jamais son semblable. La table était composée de plusieurs abbés irlandais, gascons, et autre gens de pareille étoffe. Notre hôtesse elle-même avait rôti le balai: il n'y avait là que moi seul qui parlât et se comportât décemment. On agaça la petite, je pris sa défense. Aussitôt les lardons tombèrent sur moi. Quand je n'aurais eu naturellement aucun goût pour cette pauvre fille, la compassion, la contradiction m'en auraient donné. J'ai toujours aimé l'honnêteté dans les manières et dans les propos, surtout avec le sexe. Je devins hautement son champion, je la vis sensible à mes soins, et ses regards, animés par la reconnaissance qu'elle n'osait exprimer de bouche, n'en devinrent que plus pénétrants.

      Bref, il lui fait la cour... Il lui déclare d'avance que «jamais il ne l'abandonnera et que jamais il ne l'épousera». Elle hésite. Un jour enfin, «elle lui fit en pleurant l'aveu d'une faute unique au sortir de l'enfance, fruit de son ignorance et de l'adresse d'un séducteur». Il s'écrie joyeusement: «Ce n'est que cela»? Ils «se mettent» ensemble. Mais, jusqu'en 1749, il garde sa chambre à l'hôtel, et va passer ses journées chez Thérèse et sa mère. «Sa demeure devint presque la mienne.» En 1749 seulement, il s'installe avec elle dans un petit appartement à l'hôtel de Languedoc, rue de Grenelle-Saint-Honoré, et y demeure pendant sept ans, «jusqu'à son délogement pour l'Ermitage».

      Arrêtons-nous sur Thérèse.

      Je СКАЧАТЬ