Jean-Jacques Rousseau. Jules Lemaître
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Читать онлайн книгу Jean-Jacques Rousseau - Jules Lemaître страница 9

Название: Jean-Jacques Rousseau

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066085513

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СКАЧАТЬ de Thérèse a causé à Rousseau de grands ennuis, sans doute. D'autre part, la fécondité de Thérèse a été pour lui l'occasion de l'acte le plus coupable qu'il ait commis. Mais Thérèse elle-même, malgré ses défauts, me paraît bien lui avoir été, pour le moins, aussi douce, aussi consolante et utile que funeste. Et enfin, qu'il ait formé cette liaison, cela s'explique aisément; et il aurait pu tomber plus mal.

      Jeune, Thérèse, dut être assez jolie fille. (Au reste, elle n'est pas laide sur le seul portrait qu'on ait d'elle, et qui la représente à cinquante ans environ.) Nous parlant une fois de Diderot, Jean-Jacques nous dit, dans un esprit de rivalité assez divertissant:

      Il avait une Nanette ainsi que j'avais une Thérèse; c'était entre nous une conformité de plus. Mais la différence était que ma Thérèse, aussi bien de figure que sa Nanette, avait une humeur douce et un caractère aimable..., au lieu que la sienne, pie-grièche et harengère, etc..

      Il fallait bien que Thérèse ne fût pas si désagréable, puisque les belles dames lui faisaient des caresses, que madame de Boufflers à Montmorency allait goûter chez elle, et que la maréchale de Luxembourg l'embrassait comme du pain.—Même plus tard, et quand Thérèse a dépassé la cinquantaine, un jeune Marseillais, M. Eymar, venu à Paris en 1774 pour visiter Rousseau, nous dira: «Madame Rousseau était bien loin de ressembler au portrait hideux qu'un poète célèbre a fait d'elle dans ses satires (sans doute Voltaire dans la Guerre de Genève), je ne la trouvai ni jeune ni belle, bien s'en faut; mais je la trouvai honnête, polie, vêtue proprement dans sa simplicité, et ayant toute l'allure d'une bonne ménagère.»

      Thérèse, à vingt-trois ans, pouvait plaire. Ceci me paraît acquis.

      Que cherchait Rousseau quand il la rencontra? Une infirmière et une servante autant qu'une compagne.

      Thérèse avait eu un malheur? Tant mieux! «Sitôt que je le compris, dit Rousseau, je fis un cri de joie.» Pourquoi? C'est sans doute parce qu'il avait craint une autre chose qu'il nous dit sans ambages. Mais c'est aussi parce que, peu sûr de lui à cause de son infirmité et de sa névrose, il ne tenait pas du tout à être le premier dans un cœur.—Et selon moi, c'est ce qui explique que la jalousie en amour soit absente de sa vie, et à peu près absente de son œuvre.

      Thérèse était une ouvrière en linge,—une grisette,—ignorante et d'esprit fort simple:

      Je voulus, dit-il, d'abord former son esprit; j'y perdis ma peine... Son esprit est ce que l'a fait la nature; la culture et les soins n'y prennent pas. Je ne rougis point d'avouer qu'elle n'a jamais bien su lire, quoiqu'elle écrivît passablement... Elle n'a jamais pu suivre l'ordre des douze mois de l'année, et ne connaît pas un seul chiffre, malgré tous les soins que j'ai pris pour les lui montrer. Elle ne sait ni compter l'argent, ni le prix d'aucune chose. Le mot qui lui vient en parlant est souvent l'opposé de celui qu'elle veut dire. Autrefois, j'avais fait un dictionnaire de ses phrases pour amuser madame de Luxembourg, et ses quiproquos sont devenus célèbres dans les sociétés où j'ai vécu.

      Excellent, tout cela! et c'est bien ce qu'il lui fallait. Il avait alors trente-trois ans. Or il nous dit qu'à partir de trente ans sa maladie s'aggrava. Il lui fallait une infirmière. Il lui fallait une femme qui lui fût inférieure socialement et de toutes façons; une fille du peuple, et qui fût pauvre, et qui lui dût de la reconnaissance, et qui ne fît pas la délicate et la renchérie, et devant qui il n'eût pas honte de ses misères physiques ni de ses défaillances sexuelles, et qui lui donnât les soins les plus intimes. Et voilà pourquoi il choisit Thérèse.

      Et il la choisit aussi parce qu'elle était ignorante et «stupide», comme il le dit lui-même. Il lui fallait une compagne avec qui il n'eût pas de frais à faire; une femme aussi dont la simplicité d'esprit lui fût un repos, et quelquefois un amusement... Au reste son cas, ici, n'est pas extraordinaire: on a souvent vu des artistes rechercher une compagne inculte et un peu bête,—pour être plus tranquilles...

      Rousseau n'épouse pas Thérèse. Il en donne, en 1755, la raison (assez vague) à madame de Francueil: «Que ne me suis-je marié, me direz-vous? Demandez-le à vos injustes lois, madame. Il ne me convenait pas de contracter un engagement éternel, et jamais on ne me prouvera qu'aucun devoir m'y oblige.»—Il en donne, en 1761, une autre raison à madame de Luxembourg: «Un mariage public nous eût été impossible à cause de la différence de religion.» Mais en 1745 Rousseau était encore catholique: cette raison ne vaut donc rien. En somme, il n'épouse pas Thérèse, pour être plus libre, pour qu'elle dépende toujours de lui; peut-être pour n'avoir pas à la mener quelquefois avec lui dans les maisons où il va.

      Il n'épouse pas Thérèse. Mais certainement il l'aime.

      Non d'amour. Il dit au livre IX:

      Que pensera le lecteur quand je lui dirai que, du premier moment que je la vis jusqu'à ce jour (environ 1769) je n'ai jamais senti la moindre étincelle d'amour pour elle, que je n'ai pas plus désiré la posséder que madame de Warens, et que les besoins des sens, que j'ai satisfaits auprès d'elle, ont uniquement été pour moi ceux du sexe, sans avoir rien de propre à l'individu?

      Mais il l'aime, on n'en peut guère douter, d'une grande affection. Avant de rappeler sa première rencontre avec elle, il nous dit: «Là m'attendait la seule consolation réelle que le ciel m'ait fait goûter dans ma misère, et qui seule me la rendit supportable.» Il écrit cela après vingt-quatre ans d'union.—Il dit un peu plus loin: «Le cœur de ma Thérèse était celui d'un ange.»—Dans vingt passages des Confessions, dans cinquante passages peut-être de ses lettres, (et de toutes les époques), il parle de ses bonnes qualités, de ses vertus, notamment de «son bon cœur, de son affection, de son désintéressement sans exemple, de sa fidélité sans tache».—Il dit bien, dans une note écrite après 1768: «Elle est, il est vrai, plus bornée et plus facile à tromper que je ne l'avais cru;» mais il ajoute aussitôt: «Mais pour son caractère, pur, excellent, sans malice, il est digne de toute mon estime et l'aura tant que je vivrai.»—Il s'occupe beaucoup d'elle. Après sa fuite de Montmorency, il la recommande tendrement à madame de Luxembourg et à une supérieure de couvent. Une des raisons qui lui font choisir pour séjour Motiers-Travers, c'est qu'il y a, aux environs, une église catholique où Thérèse pourra aller à la messe. A Motiers même, quand il se croit prêt à mourir, il assure l'avenir de Thérèse; il la recommande à un curé qui avait été bon pour elle dans le voyage qu'elle avait fait pour rejoindre Jean-Jacques en Suisse... Et l'on pourrait citer vingt faits de cet ordre.

      Il la voyait par ses meilleurs côtés. Il disait ce que disent souvent des hommes supérieurs vivant avec une bête: «Elle est simple, mais elle a beaucoup de bon sens, un instinct très sûr.» Jean-Jacques, adorateur de la nature et de l'instinct, devait le dire d'autant plus.—Après avoir parlé des pataquès de Thérèse, il ajoute:

      Mais cette personne si bornée et, si l'on veut, si stupide, est d'un conseil excellent dans les occasions difficiles... Devant les dames du plus haut rang, devant les grands et les princes, ses sentiments, son bon sens, ses réponses et sa conduite lui ont attiré l'estime universelle, et à moi, sur son mérite, des compliments dont je sentais la sincérité.

      Il y a bien ce passage du livre IX:

      On connaîtra la force de mon attachement dans la suite, quand je découvrirai les plaies, les déchirures dont elle a navré mon cœur dans le plus fort de mes misères, sans que jusqu'au moment où j'écris ceci, il m'en soit échappé un mot de plainte à personne.

      Mais ces «plaies» et ces «déchirures», il ne nous en dit plus rien.—Ce qui est sûr, c'est qu'il a conservé jusqu'au bout, jusqu'à la mort, ses sentiments pour Thérèse.—Le prince de Ligne le visite à Paris vers 1770 et cause longtemps СКАЧАТЬ