Jean-Jacques Rousseau. Jules Lemaître
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Название: Jean-Jacques Rousseau

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066085513

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СКАЧАТЬ et quelles confessions! Les plus sincères, je ne sais, mais à coup sûr les plus détaillées, les plus complaisantes, les plus impudentes sans doute, mais aussi les plus candides apparemment et peut-être les plus courageuses, et en tout cas les plus singulières et les plus passionnantes qui aient jamais été écrites.

      Je crois donc qu'une étude sur Jean-Jacques pourrait être une biographie morale continue, où l'histoire de ses livres se mêlerait intimement à l'analyse de ses Confessions. Et c'est ce que j'essayerai de faire.

      Je voudrais aujourd'hui suivre les Confessions de Jean-Jacques jusqu'à son dernier départ des Charmettes. Il avait alors vingt-neuf ans. Ce sont donc, proprement, ses «années d'apprentissage».

      Que le plus beau livre de Rousseau ait été sa confession, c'est-à-dire le récit de sa vie la plus intime et la description de son «moi» le plus secret, c'est déjà très curieux. Si le romantisme est, comme on l'affirme, l'étalage de l'individu dans la littérature, les Confessions de Jean-Jacques fondaient donc, du premier coup, le romantisme et en donnaient un modèle qui n'a pu être dépassé. Et, en outre, que Jean-Jacques ait eu l'idée d'écrire ce livre, et qu'il l'ait écrit comme il l'a fait, et qu'il se soit jugé lui-même intéressant à ce point pour les autres hommes, cela seul est une grande lueur sur son caractère, puisque c'est le plus fort témoignage de l'orgueil maladif et délirant qui en formait presque tout le fond. Les Confessions sont, dans leur essence même, un livre d'impudeur: ce livre est donc bien le père de la moitié de la littérature du siècle dernier.

      Il commence ainsi: «Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura jamais d'imitateur.» Et notez qu'il a raison. Rien de tel avant ni après lui. Je ne vous rappellerai pas le caractère religieux et même théologique des pudiques confessions de Saint-Augustin. Montaigne dans ses Essais, Retz dans ses Mémoires ne confessent que des faiblesses ou des fautes qui ont un certain air et qui ne déshonorent point. Mais Rousseau confesse, et sans les atténuer, des choses honteuses, des péchés, des péchés mortels. Et, comme il le prédisait, son entreprise n'a pas eu d'imitateurs. Car sans doute, après lui, la bonde est ouverte à ce genre immodeste des «confessions»: mais ni Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe, ni Lamartine dans les Confidences, ni George Sand dans l'Histoire de ma vie, ni Renan dans les Souvenirs d'enfance et de jeunesse n'auront le courage de nous confesser des secrets honteux ou simplement ridicules, (et si vous en concluez que la matière leur en a fait défaut, c'est donc que vous avez de très bonnes âmes).

      C'est pourquoi je comprends l'exaltation de cette première page, et cette invocation à Dieu qui se termine ainsi:

      Être éternel, rassemble autour de moi l'innombrable foule de mes semblables; qu'ils écoutent mes confessions, qu'ils gémissent de mes indignités, qu'ils rougissent de mes misères. Que chacun d'eux découvre à son tour son cœur au pied de ton trône avec la même sincérité: et puis qu'un seul te dise s'il l'ose: je fus meilleur que cet homme-là.

      Qu'est-ce à dire? Ce cri veut nous étonner et sent son charlatan. Mais songez d'où venait Rousseau, où il avait vécu, à qui il se comparait: et vous verrez que ce qu'il exprime là, c'est, en somme,—retournée dans l'expression,—la pensée de Joseph de Maistre: «Je ne sais pas ce qu'est le cœur d'un coquin; je sais ce qu'est le cœur d'un honnête homme: c'est affreux.»

      Et d'ailleurs, je le dis parce que cela est vrai, Jean-Jacques, quand il commença d'écrire les Confessions, à Motiers, en 1762, était devenu un fort honnête homme. Les maladies, la persécution avaient développé ses sentiments religieux. Il était déjà dans cette disposition d'esprit presque mystique qui sera si sensible dans ses Dialogues. Il me semble que les Confessions, œuvre d'un pénitent superbe qui s'oppose à tous les autres hommes et en appelle aux siècles futurs, ont tout de même aussi, dans bien des pages, quelque chose d'une confession religieuse.

      Cela seul me ferait assez croire à leur vérité, qui du reste a été peu contestée, sauf sur des points de chronologie, et qui s'est vue confirmée presque toutes les fois qu'on a pu contrôler les récits de Jean-Jacques par des lettres de lui et de ses correspondants ou de ses contemporains.

      Il est certain cependant que les Confessions, qui sont surtout psychologiques, sont encore en plus d'un endroit, et par la force des choses, apologétiques (surtout la seconde rédaction). Puis, Rousseau écrit ses confessions de mémoire; il en écrit les premiers livres quarante, trente et vingt ans après les événements. Et nous savons comme il il est difficile de se souvenir, et à quel point la mémoire déforme les choses.

      Mais, d'abord, lorsqu'il nous raconte des actes avilissants, il n'y a pas apparence qu'il les invente (à moins que certains aveux pénibles ne soient là pour faire croire à la vérité du reste); mais il y a apparence, au contraire, qu'il s'en est nettement souvenu, justement à cause de leur caractère humiliant. (Eh! n'avons-nous pas tous, ou presque tous, dans notre passé, de ces choses dont on dit «qu'elles ne s'oublient pas», de ces souvenirs affreusement désagréables, qui nous reviennent presque tous les jours quand nous sommes seuls un peu longtemps, ou bien que nous rappelons exprès pour nous dégriser?...)—Pour l'ensemble, j'estime que, si la véracité de Jean-Jacques peut être en défaut, il faut croire du moins à sa sincérité.

      Joignez qu'il a, au plus haut point, le souvenir des lieux, qui l'aide à garder celui des faits ou des sentiments. En voici un exemple (et où nous trouvons aussi, dans la vision et dans l'accent, un je ne sais quoi qu'on ne connaissait pas trop avant Jean-Jacques, et qui sera, si vous voulez, le commencement de l'impressionnisme).

      Les moindres faits de ce temps-là me plaisent par cela seul qu'ils sont de ce temps-là. Je me rappelle toutes les circonstances des lieux. Je vois une hirondelle entrant par la fenêtre, une mouche se poser sur ma main tandis que je récitais ma leçon; je vois tout l'arrangement de la chambre où nous étions; le cabinet de M. Lambercier à main droite, une estampe représentant tous les papes, un baromètre, un grand calendrier, des framboisiers qui, d'un jardin fort élevé dans lequel la maison s'enfonçait sur le derrière, venaient ombrager la fenêtre et passaient quelquefois jusqu'en dedans. Je sais bien que le lecteur n'a pas grand besoin de savoir tout cela, mais j'ai besoin de le lui dire... (Livre I).

      «J'ai besoin de le lui dire.» Ô individualisme! ô romantisme!

      Et encore (souvenir de la maîtrise d'Annecy, avec le bon M. le Maître (M. Nicoloz)):

      ...Non seulement je me rappelle les temps, les lieux, les personnes, mais tous les objets environnants, la température de l'air, son odeur, sa couleur, une certaine impression locale qui ne s'est fait sentir que là, et dont le souvenir vif m'y transporte de nouveau. Par exemple, tout ce qu'on répétait à la maîtrise, tout ce qu'on chantait au chœur, tout ce qu'on y faisait, le bel et noble habit des chanoines, les chasubles des prêtres, les mitres des chantres, la figure des musiciens, un vieux charpentier boiteux qui jouait de la contrebasse, un petit abbé blondin qui jouait du violon, le lambeau de soutane qu'après avoir posé son épée, M. le Maître endossait par-dessus son habit laïque, et le beau surplis fin dont il en couvrait les loques pour aller au chœur; l'orgueil avec lequel j'allais, tenant une petite flûte à bec, m'établir dans la tribune pour un petit bout de récit que M. le Maître avait fait exprès pour moi; le bon dîner qui nous attendait ensuite; le bon appétit qu'on y portait; ce concours d'objets vivement retracé m'a cent fois charmé dans ma mémoire, autant et plus que dans la réalité. J'ai gardé toujours une affection tendre pour un certain air du Conditor alme siderum qui marche par ïambes, parce qu'un dimanche de l'Avent j'entendis de mon lit chanter cet hymne avant le jour sur le perron de la cathédrale, selon un rite de cette église-là... etc. (Livre III).

      Mais je ne puis vous lire ainsi toutes les Confessions СКАЧАТЬ