Jean-Jacques Rousseau. Jules Lemaître
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Читать онлайн книгу Jean-Jacques Rousseau - Jules Lemaître страница 10

Название: Jean-Jacques Rousseau

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066085513

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СКАЧАТЬ en avait parlé.»—Et Corancez, l'un des fondateurs du Journal de Paris, Corancez, qui avait épousé la fille d'un Genevois ami de Jean-Jacques, Corancez qui a connu intimement Jean-Jacques dans ses dernières années, nous dit expressément: «Il n'avait de confiance qu'en elle.»

      D'autre part, Thérèse, sans doute, bien des fois lui nuisit malgré elle. D'abord elle avait sa mère, qui jouait à la dame, et qui était fort rapace. Rousseau nous dit:

      Sitôt qu'elle se vit un peu remontée par mes soins, elle fit venir toute sa famille pour en partager le fruit. Sœurs, fils, filles, petites-filles, tout vint, hors sa fille aînée mariée au directeur des carrosses d'Angers. Tout ce que je faisais pour Thérèse était détourné par sa mère en faveur de ses affamés.

      Et plus loin:

      Il était singulier que la cadette des enfants de madame Levasseur (Thérèse), la seule qui n'eût point été dotée, était la seule qui nourrissait son père et sa mère, et qu'après avoir été longtemps battue par ses frères, par ses sœurs, même par ses nièces, cette pauvre fille en était maintenant pillée, sans qu'elle pût mieux se défendre de leurs vols que de leurs coups.

      Il en faut conclure que Thérèse était une assez bonne bête. Seulement, stylée par sa mère, elle acceptait, sans le dire à Jean-Jacques, des cadeaux de ses riches amies.—Plus tard, à l'Ermitage, il paraît bien que, jalouse de madame d'Houdetot, elle fut maladroite, bavarde, indiscrète.—Ce n'est pas tout. Jean-Jacques, dans l'endroit même où il vante le bon sens de Thérèse, nous dit:

      Souvent, en Suisse, en Angleterre, en France, dans les catastrophes où je me trouvais, elle a vu ce que je ne voyais pas moi-même; elle m'a donné les avis les meilleurs à suivre; elle m'a tiré des dangers où je me précipitais aveuglément.

      Aïe! Cela signifie sans doute qu'elle lui a dit un jour, je suppose: «Tu ne vois donc pas que madame d'Épinay te traite comme un valet?» ou: «Tu ne vois donc pas que ce monsieur Grimm est jaloux de toi?» un autre jour, à Motiers: «Tu ne vois pas donc pas que ce Montmollin s'entend avec ceux de Genève?» un autre jour, s'ennuyant à Wootton: «Est-ce que tu crois que ce monsieur Hume est tant que cela ton ami?» enfin, qu'elle entretenait volontiers sa défiance, par bêtise, pour le garder, pour se faire valoir, ou parce que la tête de tel ou tel ne lui revenait pas, ou parce que tel ou tel l'avait traitée avec trop peu d'égards.—Et, parce que Jean-Jacques avait absolument besoin d'elle, il la croyait.

      Oui, tout cela est possible; mais, avec tout cela, il me paraît certain que Thérèse lui a été réellement dévouée. Et, si cela lui fut facile dans les premières années, quand elle était son obligée, quand elle le voyait devenir célèbre, quand les belles dames s'amusaient à causer avec elle, je crois qu'elle y eut ensuite quelque mérite. A dater de sa retraite en Suisse, il me semble bien que Rousseau fut à son tour l'obligé de Thérèse. A partir de 1755, il ne la traite plus que comme sa sœur. Elle pourrait le quitter; les amis de Rousseau ne la laisseraient pas mourir de faim, et du reste elle a un métier et pourrait vivre de son travail. Elle reste. Elle le suit à travers tous ses exils. Elle le rejoint en Suisse; elle le rejoint en Angleterre; elle le rejoint à Trye, à Bourgoin, à Monquin; elle le suit à Paris, à Ermenonville; elle recueille son dernier soupir.—Un seul moment de refroidissement, au bout de vingt-quatre ans d'union, en 1769. C'est à Monquin. Jean-Jacques lui propose de se séparer, et lui promet d'assurer sa vie, dans une lettre admirable. Thérèse refuse, Thérèse reste.

      Ils demeurent en somme presque parfaitement unis, mieux unis que la plupart des ménages réguliers, pendant trente-trois ans. La mort seule de Rousseau délie Thérèse.

      C'est peut-être qu'ils étaient unis par un crime, par un crime cinq fois répété, et que cela est un lien sérieux.

      Rousseau eut de Thérèse trois enfants de 1746 à 1750: il en eut deux autres entre 1750 et 1755. Il les mit tous les cinq aux Enfants-Trouvés.

      Qui nous l'a dit? Rousseau lui-même, et Rousseau tout seul. Ceux qui en ont parlé ou écrit au XVIIIe siècle ne le savaient que par Rousseau. Aucun témoignage qui ne soit fondé, directement ou indirectement, sur les confidences de Jean-Jacques (aucun, sauf un témoignage anonyme dans le Journal encyclopédique, en 1791. L'anonyme dit que, voisin de Rousseau dans la rue de Grenelle-Saint-Honoré,—donc entre 1749 et 1756,—il avait entendu dire à son barbier que M. Rousseau envoyait ses enfants aux Enfants-Trouvés et que cela était connu dans le quartier. Ce témoignage d'un anonyme, trente-cinq ou quarante ans après les faits, et neuf ans après la publication des Confessions, ne paraît pas très imposant).

      Où je veux en venir? Voici.

      Dans le fond, on sent que, malgré tout, Jean-Jacques fut plutôt meilleur que beaucoup de ses confrères en littérature de ce temps-là. Il y a, dans la vie de Voltaire, des méchancetés noires, des mensonges odieux, des platitudes, même des actes d'improbité. Et il y a bien des hontes dans la vie de quelques autres... Mais voilà! cinq enfants aux Enfants-Trouvés, cela est monstrueux; de quelque côté qu'on le prenne; cela semble pire,—à cause de la représentation précise qu'on s'en fait,—que l'abandon même d'une fille séduite et enceinte. Bref, cela paraît un des crimes par excellence contre la nature,—contre cette nature dont Jean-Jacques est l'apôtre. Et alors les amis de Rousseau voudraient bien que ce ne fût pas vrai.

      Moi-même, jadis, je raisonnais ainsi:

      —Nulle autre preuve que les aveux de Rousseau, aveux faits sans nécessité, «pour que mes amis, dit-il, ne me crussent pas meilleur que je n'étais».—«Je le dis à tous ceux à qui j'avais déclaré nos liaisons, je le dis à Diderot, à Grimm, je l'appris dans la suite à madame d'Épinay, et dans la suite encore à madame de Luxembourg, sans aucune nécessité et pouvant aisément le cacher à tout le monde.»—Cela est un peu étrange: car, qu'il l'ait dit «sans nécessité et pouvant le cacher», cela signifie que, de 1747 à 1755, aucun de ses amis, aucune de ses belles amies qui s'amusaient à visiter Thérèse ne s'étaient aperçus d'aucune des cinq grossesses. En somme, si l'on en croit Rousseau, il le dit tout justement parce que, s'il ne l'avait pas dit, personne ne s'en serait douté.

      (Thérèse l'avait dit, raconte-t-il, à madame Dupin, et cela fait une difficulté: mais on peut croire ici Thérèse stylée par lui, et que, par suite, les aveux de Thérèse ne sont pas plus une preuve que les aveux de Jean-Jacques.)

      En 1761, madame de Luxembourg a l'idée de retrouver les enfants de Rousseau. Elle lui demande quelles sont les dates et les marques de reconnaissance. Il lui écrit à ce sujet:

      Ces cinq enfants ont été mis aux Enfants-Trouvés avec si peu de précautions pour les reconnaître un jour, que je n'ai pas même gardé la date de leur naissance.

      Cela est-il bien possible? et Thérèse aussi l'a-t-elle oubliée?—Il se souvient pourtant que le premier enfant est né «dans l'hiver de 1746 à 1747, ou à peu près». Celui-là avait une marque dans ses langes. (Il dit dans les Confessions que «cette marque était un chiffre qu'il avait fait en double, sur deux cartes, dont une fut mise dans les langes de l'enfant».) Les autres enfants n'avaient aucune marque.

      Laroche, homme de confiance de la maréchale, fait donc des démarches pour retrouver l'aîné, celui qui avait une marque, et qui en 1761 devait, s'il vivait encore, avoir quatorze ans. Les recherches sont infructueuses.

      Rousseau écrit alors à la maréchale: «Le succès même de vos recherches ne pouvait plus me donner une satisfaction pure et sans inquiétude.» (Et cela est vrai: où, dans quel état allait-il retrouver, s'il le retrouvait, ce garçon de quatorze ans? et comment aurait-il été absolument sûr que СКАЧАТЬ