Название: Jean-Jacques Rousseau
Автор: Jules Lemaître
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066085513
isbn:
Oh! tout cela ne prouve pas que les cinq enfants soient une invention de Rousseau. Mais il semble qu'il ait tenu avec madame de Luxembourg la même conduite que si ç'avait été une invention.
Et là-dessus on pourrait essayer une hypothèse:
—Affligé des infirmités que vous savez, à cause de cela timide avec les femmes, les adorant toutes et ne concluant jamais; sans autre liaison que celle de Thérèse; abstinent dans un monde aux mœurs extrêmement relâchées; devinant ce que sa conduite et le siège même de son infirmité pouvait suggérer à la malignité des gens, le lisant peut-être dans les yeux de ses amis, et surtout de ses amies,—ne se pourrait-il pas qu'une de ses pires terreurs, et la plus obsédante, ait été de passer pour impuissant?—De là, cette réplique qu'on peut appeler triomphante: la fable des cinq enfants, et, parce qu'il n'aurait pas pu les montrer et que, d'autre part, l'horreur d'un tel aveu en impliquait la véracité, l'histoire du quintuple recours aux Enfants-Trouvés. Peut-être Rousseau, imaginatif et «simulateur» comme il était, a-t-il mieux aimé paraître abominable que d'être soupçonné d'une des disgrâces les plus mortifiantes pour l'orgueil masculin.
L'hypothèse est fragile, je le reconnais. Il y en a une autre. D'après madame Macdonald, Thérèse, cinq fois de suite, aurait fait croire à Rousseau qu'elle était enceinte, qu'elle était accouchée chez une sage-femme et qu'elle avait fait porter l'enfant aux Enfants-Trouvés. Le principal argument de madame Macdonald, c'est que Rousseau avoue qu'il n'a vu aucun de ses cinq enfants.—Cette machination se serait faite d'accord avec Grimm et la mère Levasseur. Dans quel dessein? Pour empêcher Jean-Jacques de quitter Thérèse.
Une telle hypothèse souffre d'étranges difficultés, et matérielles et morales. Au reste, si elle supprime le fait de la naissance et de l'abandon des enfants, elle ne supprime pas le consentement de Rousseau à l'abandon de ces enfants qu'il croyait avoir. Donc, elle ne l'absout pas.
Ici, se place naturellement une autre explication,—qui était celle de Victor Cherbuliez:—Oui, Thérèse eut cinq enfants et qui furent tous mis aux Enfants-Trouvés. Mais de ces enfants Rousseau n'était pas et ne pouvait sans doute pas être le père. Et, dans ces conditions, la conduite de Rousseau est assurément moins abominable.
Je ne repousse pas absolument cette hypothèse; mais elle soulève encore bien des objections.—D'après Tronchin, Rousseau n'était pas impropre à avoir des enfants; il y fallait seulement certaines conditions, qu'il trouvait auprès de Thérèse. Il ne pouvait donc avoir, au plus, que des doutes sur sa paternité.—Et, d'autre part, s'il avait su ou cru Thérèse infidèle, nous aurait-il parlé de sa «fidélité sans tache»?—A moins de supposer encore une fois qu'il aimait mieux paraître criminel que de passer pour impuissant ou que d'être ridicule...
Tout bien examiné, mon hypothèse (qui d'ailleurs n'est pas à moi tout seul) me plairait mieux.—Mais j'ai été aux Enfants-Trouvés. Dans le dossier de l'année 1746, j'ai trouvé un papier[2] portant cette mention: «2795. Marie-Françoise Rousaux» (ce dernier mot rayé et surchargé du mot «Rousseau» correctement écrit). «Un garçon le 19 novembre 1746.» Puis, d'une autre écriture et d'une autre encre: «Joseph Cathne a été baptisé ce 20 novembre 1746. Daguerre, prêtre.»—Ce papier est épinglé à un bulletin de dépôt imprimé. Et, dans le registre où sont inscrits les dépôts de l'année 1746, j'ai lu ceci: «Joseph Catherine Rousseau, donné à Anne Chevalier, femme André Petitpas, à Guitry (Andelys), 1er mois, 6 francs, payés 22 décembre 46; 21 janvier 1747, 5 f. 2e (mois) jusqu'au 14 janvier 1747, jour du décès, 1 mois 23 jours.»
Cela est impressionnant. La marque de reconnaissance a disparu. Mais la date concorde avec l'indication de Rousseau. «Marie-Françoise». prénoms de la déposante, sont aussi ceux de la mère Levasseur.—D'autre part, pourquoi ce nom de «Joseph», et surtout pourquoi ce prénom féminin de Catherine donné à un garçon? Je n'en sais rien. Et l'on doit remarquer aussi que le nom de Rousseau est et était fort commun.—C'est égal: la date, le nom de famille, les prénoms de la déposante, cela fait trois, concordances singulières.
Mais alors, si l'homme de confiance de madame de Luxembourg a vu ce papier et ce registre, comment a-t-il déclaré n'avoir rien trouvé du tout?... Faut-il voir là un mensonge charitable de madame de Luxembourg qui n'a pas voulu dire à Rousseau que l'enfant était mort?
Quant aux autres enfants, s'il n'y en a nulle trace dans les registres, c'est peut-être que la déposante ou l'administration leur avait donné, comme cela se faisait, un faux nom de famille.—Je ne sais rien, vous ne savez rien, nous ne savons rien.
Allons! je vois bien qu'il faut admettre l'histoire,—sur laquelle, au surplus, aucun des plus grands admirateurs de Rousseau, au XVIIIe siècle, excepté Sébastien Mercier, n'a jamais eu de doutes[3]. Voyons maintenant comment il la raconte lui-même, et quelles explications et excuses il nous donne successivement dans ses Confessions, dans ses lettres et dans ses Rêveries. (Car il y revient très souvent, et cela peut montrer également la préoccupation de soutenir l'imposture ou le trouble d'une âme peu à peu envahie par le remords.)
La première fois qu'il en parle dans ses Confessions (un peu plus de vingt ans après l'acte), c'est d'un ton léger et presque avec désinvolture. Il s'excuse sur l'influence de la mauvaise compagnie qu'il rencontrait à la table d'hôte de madame La Selle:
Конец ознакомительного фрагмента.
Текст предоставлен ООО «ЛитРес».
Прочитайте эту книгу целиком, купив полную легальную версию на ЛитРес.
Безопасно оплатить книгу можно банковской картой Visa, MasterCard, Maestro, со счета мобильного телефона, с платежного терминала, в салоне МТС или Связной, через PayPal, WebMoney, Яндекс.Деньги, QIWI Кошелек, бонусными картами или другим удобным Вам способом.