Histoire d'Henriette d'Angleterre. La Fayette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne
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СКАЧАТЬ marquis de Vardes était beaucoup plus dangereux que son ami le comte de Guiche. Vardes, fils de cette belle comtesse de Moret qu'aima Henri IV, n'était plus de la première jeunesse aux environs de 1663, ayant été nommé mestre de camp en 1646, mais il était encore et pour longtemps «l'homme de France le mieux fait et le plus aimable»: Cosnac le dit en propres termes. Puis il avait l'esprit naturellement agréable. La «merveille aux cheveux blonds», la mystique princesse de Conti l'écouta presque, elle qui n'avait pas écouté le Roi. La belle et sage duchesse de Roquelaure «lui accorda tout, mais seulement pour lui plaire», à ce qu'assure Conrart. La comtesse de Soissons devint folle de lui et ne put s'en lasser. Quand il se déclara à Madame, elle l'écouta avec trop d'indulgence. Elle en fit elle-même l'aveu. Elle avait, dit la comtesse de La Fayette, «une inclination plus naturelle pour lui que pour le comte de Guiche». Je le crois, certes, bien! C'était un merveilleux séducteur que ce Vardes et le grand sorcier des ruelles.

      Pourtant elle ne lui permit pas de rompre avec la comtesse de Soissons et bientôt elle rompit avec lui, indignée de ses trahisons. Il lui en avait fait, et des plus noires. Cet homme était doué pour le mensonge d'une aptitude vraiment merveilleuse. L'Euphorbe de Corneille est la droiture même auprès de Vardes qui trahit son ami, ses maîtresses, son Roi, Madame et soi-même. Car il finit par être sa propre dupe et se fit chasser.

      Pendant son exil de dix-neuf ans dans son petit gouvernement d'Aigues-Mortes, il fit les délices de la noblesse de Provence. A cinquante ans, il se fit aimer d'une jeune fille de vingt ans, mademoiselle de Toiras, qu'il désespéra par son inconstance. Madame de Sévigné l'admirait malgré elle. Quand Louvois, le sombre Louvois, passa en Provence, Vardes l'ensorcela comme les autres et par lui obtint son rappel. «Il arriva (à la Cour) avec une tête unique en son espèce et un vieux justaucorps à brevet69 comme on en portait en l'an 1663. Oui, il y a de cela vingt ans (c'est madame de Sévigné qui parle); cette mode ne se voyoit plus que dans les portraits de famille. Le roi lui-même ne put garder son sérieux, et se prit à rire en le voyant. «Ah! Sire, s'écria de Vardes, dont l'esprit étoit toujours de mode, quand on est assez misérable pour être éloigné de vous, on n'est pas seulement malheureux, on est ridicule.» Le roi fit appeler le Dauphin et le présenta à Vardes comme un jeune courtisan. Vardes le reconnut et le salua. Le roi lui dit en riant: «Vardes, voilà une sottise: vous savez bien qu'on ne salue personne devant moi.» M. de Vardes du même ton: «Sire, je ne sais plus rien, j'ai tout oublié; il faut que Votre Majesté me pardonne jusqu'à trente sottises. – Eh bien! je le veux, dit le Roi; reste à vingt-neuf.»… De Vardes, toujours de Vardes, c'est l'évangile du jour70

      Il reprit rang, donna le ton, fit la mode, et mourut à soixante-dix ans, charmant. Ce n'est pas avec un homme comme Vardes qu'une femme peut sans danger «avoir l'air de demander le cœur».

      VI. DE LA VIE DE MADAME A PARTIR DU PRINTEMPS DE MIL SIX CENT SOIXANTE CINQ, ÉPOQUE A LAQUELLE S'ARRÊTE LE RÉCIT DE MADAME DE LA FAYETTE

      Le récit de la comtesse de La Fayette s'arrête court (nous l'avons dit) au printemps de 1665 sur la dernière entrevue du comte de Guiche et de la Princesse. On pourrait le regretter pour la gloire de Madame dont la pensée prenait dès lors plus de gravité, de sagesse et d'étendue; mais le cahier abandonné était si bien destiné à recevoir des récits de galanteries, qu'on conçoit qu'il ait été laissé précisément dans le temps où la vie de Madame ne fournissait plus de sujets de ce genre. Il était complet. Qu'après le départ du comte de Guiche, Monsieur, entré brusquement dans le cabinet de Madame, l'ait trouvée «ayant un petit portrait du duc de Luxembourg dans la main et une lettre de lui devant elle», comme le dit le libelliste71, c'est une aventure qui fit peu de bruit dans une Cour où tout se savait. Pour retourner le proverbe, à voir si peu de fumée, on ne peut croire qu'il y eut grand feu. Et, si Madame dansa en 1668 des contredanses avec son jeune neveu de la main gauche, le duc de Monmouth72, âgé alors de dix-neuf ans, il nous est impossible de voir en cela l'indice d'une intrigue. Monsieur, averti par le chevalier de Lorraine, se plaignit bien haut. Mais on récusera le juge et le témoin.

      Au côté d'un mari sot, jaloux et tracassier, la vie d'Henriette fut frivole, sa vie, mais non son âme. Elle avait dans l'esprit plus d'étendue et de solidité que n'en feraient soupçonner les jolis riens et les dangereuses fantaisies de sa première jeunesse. Elle devinait les hommes avec une rare pénétration. Nous avons vu qu'elle reconnut fort bien le vrai fonds égoïste et médiocre de Louis XIV. Elle savait exactement que penser de «la fausse capacité73» de Villeroi. Elle savait placer sûrement sa confiance. Sa discrétion, attestée par Bossuet et par madame de La Fayette, la rendait propre aux affaires. Si elle y faillit une fois, à notre connaissance, en montrant à un homme sans foi, mais si séduisant, des lettres confidentielles du roi d'Angleterre, elle avait du moins alors l'excuse d'une extrême jeunesse et d'une grande inexpérience. Le premier aumônier de Monsieur, Daniel de Cosnac, évêque de Valence, la considère, dans ses Mémoires, comme une personne fidèle et très sûre.

      L'évêque de Valence, ambitieux et honnête, avait le caractère de ces grands serviteurs des princes, de ces fiers domestiques dévoués à leur maître et hautains avec lui, gens qu'on vit à l'œuvre sous Henri IV et Louis XIII, et qui se faisaient rares depuis lors. Il s'obstina longtemps à faire de Monsieur un homme d'État. Par là, il déplut au Roi, qui n'aimait pas à voir son frère si bien conseillé, et il déplut à Monsieur dont il contrariait la paresse et les vices. Mais Henriette entrait dans les projets de ce politique en camail et elle le mettait dans la confidence de ses propres affaires. Elle ne put faire qu'il ne fût chassé par Monsieur et exilé dans son diocèse par le Roi, mais elle continua de correspondre avec lui. Une grande affaire l'occupait, le rétablissement du catholicisme en Angleterre. Elle prenait en main avec les deux rois cette vaste intrigue et elle comptait y employer l'évêque de Valence, pour qui elle avait déjà obtenu, sans le nommer, le chapeau de cardinal. Tout cela resta en projet et en imagination, mais Henriette, par le voyage de Douvres, prit une grande part à la diplomatie de son temps.

      Louis XIV, voulant détacher Charles II de la triple-alliance, choisit pour médiatrice entre les deux rois de France et d'Angleterre la duchesse d'Orléans «lien naturel» de leur union74. Madame passa à Douvres et y rencontra comme par hasard Charles II son frère. Elle rapporta de ce voyage un traité secret qui servit de base à des négociations que l'éditeur du petit livre de madame de La Fayette n'a pas à suivre.

      Au milieu de ces occupations, Madame souffrait beaucoup de l'humeur jalouse et tracassière de son mari. On dit même que le voyage de Douvres avait pour elle un autre intérêt que celui des deux couronnes et qu'elle poursuivait en le faisant un but secret et domestique qui ne fut point atteint, celui d'obtenir de son frère un asile à la cour d'Angleterre pour y vivre séparée de son mari. On trouvera, dans notre texte, entre crochets et en italiques, plusieurs fragments des Mémoires de mademoiselle de Montpensier qui, mis bout à bout, donnent une idée des chagrins qui gâtèrent les dernières années de la vie de Madame.

      Mais on n'y trouvera rien qui se rapporte aux deux Bérénice, écrites, l'une et l'autre, en 1669. Madame de La Fayette, à supposer qu'elle eût terminé son histoire, n'y aurait peut-être pas parlé du tout de cette élégante espièglerie de Madame, qui imagina d'inspirer en même temps au vieux Corneille et à Racine l'idée de la même tragédie et qui s'y prit avec assez d'adresse pour que chacun des poëtes ignorât quel sujet traitait l'autre. Ce sujet était galant; il y fallait représenter Louis XIV sous le nom de Titus et Marie Mancini sous celui de Bérénice. Car c'est bien cela et cela seul qu'on peut voir dans l'invitus invitam dimisit. Et il est impossible au contraire d'y rien trouver qui rappelle les sentiments d'Henriette pour le Roi. On a reproché à Madame d'avoir fait courir au vieux Corneille une fâcheuse aventure et causé une mauvaise pièce. СКАЧАТЬ



<p>69</p>

L'habit de cour qu'on ne pouvait porter sans brevet.

<p>70</p>

Lettre du 26 mai 1683.

<p>71</p>

Voir la Princesse, à la fin de ce volume. – Je cite ici d'après le ms. de la biblioth. nat., f. fr. 13777.

<p>72</p>

Voir p. 116.

<p>73</p>

Lettre à madame de Saint-Chaumont, Cosnac, loc. cit., p. 407.

<p>74</p>

Lettre de Louis XIV, septembre 1669.