Histoire d'Henriette d'Angleterre. La Fayette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne
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СКАЧАТЬ inflammation du péritoine. Il est acquis, par cela seul, que Madame mourut d'une péritonite.

      Recherchons maintenant la cause et la nature de cette atroce douleur au côté qui suivit immédiatement l'ingestion du verre d'eau de chicorée et qui se renouvela (il est utile de le rappeler) quand Madame prit de l'huile et du bouillon; et voyons quelle peut être la lésion qui, après quelques malaises indéterminés, se signale par une douleur d'estomac foudroyante, suivie d'une péritonite suraiguë.

      M. Vallot ne peut nous répondre, mais Littré, fort des observations de la médecine moderne, n'hésite pas à diagnostiquer l'ulcère simple de l'estomac86, que le professeur Cruveilhier fut le premier à décrire et que les médecins de Madame ne purent reconnaître, puisqu'ils ne le connaissaient pas. Il est certain que depuis quelque temps Madame, après ses repas, souffrait de l'estomac. Le liquide qu'elle prit le 29 juin détermina la perforation de la paroi ulcérée. De là cette cruelle douleur au côté, puis la péritonite que nous avons constatée.

      Les médecins qui ouvrirent le corps trouvèrent en effet que l'estomac était percé d'un petit trou; mais comme ils ne pouvaient s'expliquer l'origine pathologique de ce trou, ils s'imaginèrent qu'il avait été fait par mégarde pendant l'autopsie, «sur quoi, dit l'un d'eux, je fus le seul qui fis instance87». Cette illusion s'explique d'autant mieux que, dans cette lésion maintenant connue, le pertuis, ne présentant aucune induration sur ses bords parfaitement réguliers, semble artificiel. Jaccoud signale «la délimitation très nette de l'ulcère, l'absence d'inflammation et de suppuration périphérique88».

      Ce n'est pas tout: les médecins trouvèrent dans le bas-ventre une matière «grasse comme de l'huile». C'en était en effet. C'était l'huile que Madame avait bue comme contre-poison, et qui s'était épanchée hors de l'estomac perforé.

      En résumé: Avant le 29 juin, douleurs gastriques causées par l'ulcération. Le 29, déchirure de l'ulcération et péritonite suraiguë.

      Tel est, fort abrégé, le système de M. Littré. Nous en avons reproduit les principales dispositions en y ajoutant quelques faits qui y entraient parfaitement. Mais ce système a été attaqué dans plusieurs de ses parties. Un érudit que la sagacité de son esprit a voué particulièrement à l'étude des points obscurs de l'histoire moderne, M. Jules Loiseleur, bibliothécaire de la ville d'Orléans, a inséré en 1872, dans le journal le Temps, trois articles consacrés à l'examen des mêmes faits89, et sa conclusion, comme celle du savant positiviste, est que Madame, succombant à des influences naturelles, est morte d'une péritonite. Mais M. Loiseleur n'admet pas avec M. Littré que cette affection ait été déterminée par une perforation intestinale. Il relève, tout d'abord, dans le récit de madame de La Fayette deux particularités que Littré a négligées, bien qu'elles aient pu avoir quelque effet sur la santé de la Princesse. Il s'agit d'un bain froid et d'une promenade de nuit.

      En effet, le 27 juin, Madame, étant à Saint-Cloud, se baigna dans la rivière, malgré la défense du médecin; et elle se trouva fort mal de ce bain. Le lendemain, elle se promena au clair de lune jusqu'à minuit. C'est à ce bain et à cette promenade que M. Loiseleur est tenté de rapporter l'origine de la péritonite. Il est vrai que le froid peut déterminer cette affection. Mais Jaccoud nous enseigne que le cas est rare et que l'inflammation du péritoine procède presque toujours d'une lésion interne, telle que rupture ou perforation. En admettant même, avec M. Loiseleur, l'influence décisive d'un froid humide, on ne s'explique pas l'action foudroyante du verre de chicorée, et c'est pourtant là le point culminant de ce drame pathologique. La perforation, au contraire, rend de cette action un compte terriblement exact.

      Consultons Jaccoud et il nous dira: «La péritonite par perforation éclate par une douleur extrêmement violente qui, localisée d'abord sur un point, s'étend bientôt à tout l'abdomen90.» Peut-on décrire plus précisément l'état de Madame?

      Mais M. Loiseleur, qui sait s'informer en toutes choses, n'ignore pas que l'ulcère simple de l'estomac va rarement jusqu'à la perforation. Je trouve dans le maître qui me guide91 qu'elle n'a guère lieu qu'une fois sur sept ou huit cas, et qu'assez souvent des adhérences en empêchent l'effet foudroyant. Et c'est là pour M. Loiseleur une raison de douter, car, en bonne critique, plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin de preuves pour être croyable. Mais cette perforation est d'une rareté relative: elle est rare par rapport à la lésion qui la produit et qui, par contre, est très fréquente. «Brinton, réunissant un très grand nombre de relevés, démontre qu'elle est rencontrée cinq fois sur cent autopsies. Elle est plus commune chez la femme que chez l'homme92

      Il n'est donc bien extraordinaire ni qu'Henriette d'Angleterre en ait été atteinte, ni même qu'elle en ait été atteinte sous la forme la moins commune. Jusqu'ici la démonstration de Littré n'est pas beaucoup contrariée, ce nous semble. Mais M. Loiseleur va l'atteindre sur un point important et qui semblait décisif. En effet, vous avez vu tout à l'heure que, quand les médecins ouvrirent le corps, ils trouvèrent l'estomac percé d'un petit trou que Littré reconnaît pour être la lésion mortelle, mais qu'ils crurent avoir fait par mégarde pendant l'autopsie. «Sur quoi, dit l'un d'eux, je fus le seul qui fis instance.» Celui qui parla ainsi est un médecin anglais. Son témoignage sur ce point n'est pas unique. L'abbé Bourdelot, présent à l'autopsie, rapporte l'incident d'une tout autre manière:

      «Il arriva, par mégarde, dit-il, lors de la dissection, que la pointe du ciseau fit une ouverture à la partie supérieure du ventricule, sur laquelle ouverture beaucoup de gens se récrièrent, demandant d'où elle venoit. Le chirurgien dit qu'il l'avoit faite par mégarde et M. Vallot dit avoir vu quand le coup avoit été donné93

      S'il en est ainsi, si cette version dont Littré n'a pas tenu compte et que M. Loiseleur oppose à celle du chirurgien anglais, est des deux la véridique, il faut renoncer à voir et à toucher du doigt, comme nous faisions tout à l'heure, le pertuis, la perforation de l'ulcère, le petit passage que la mort s'est frayé dans le corps de la jeune femme.

      Le chirurgien anglais est d'accord avec Bourdelot pour attribuer l'ouverture à un coup de ciseau donné par l'opérateur. Mais tandis que le chirurgien anglais dit qu'il fut seul à remarquer cette ouverture, Bourdelot déclare que «beaucoup de gens» demandèrent d'où elle venait. En cela, les deux témoins se contredisent étrangement; on ne peut admettre la version de l'un sans repousser celle de l'autre. Or, ce qui nous intéresse le plus c'est ce que Bourdelot seul nous apporte: je veux dire l'aveu de l'opérateur qui offensa le ventricule et le témoignage de M. Vallot qui le vit faire. Ce sont là, ce semble, deux dépositions irrécusables. Mais je me défie, pour ma part, de l'opérateur, de l'abbé Bourdelot et de M. Vallot lui-même, qu'on sait avoir été fort embarrassé dans toute cette affaire. Les médecins français tremblaient de trouver dans les entrailles de la Princesse les indices d'un crime dont le soupçon eût atteint la famille du roi. Ils craignaient même tout ce qui prêtait au doute, et, par cela seul, à la malveillance. Sachant que la moindre incertitude sur la cause de la mort ou l'état de cadavre serait interprétée par le public dans un sens qui les perdrait, ils avaient pour tout expliquer la raison de l'intérêt et le zèle de la peur. Or, dans l'impossibilité où ils étaient de rapporter à un type pathologique normal une lésion inconnue à tous et suspecte, peut-être, à quelques-uns, ils avaient grand avantage à expliquer par un accident d'autopsie cette plaie énigmatique. Et l'on comprend qu'ils crurent naturellement ce qu'ils désiraient croire. Les chirurgiens anglais, aussi ignorants qu'eux, acceptèrent leurs raisons faute d'en trouver de meilleures.

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<p>86</p>

Ulcère simple de l'estomac (Cruveilhier), ulcère perforant de l'estomac (Rokitansky).

<p>87</p>

Mémoire d'un chirurgien du roi d'Angleterre, voir plus haut, page XV, note 9

<p>88</p>

Pathologie, 1877, t. II, p. 159.

<p>89</p>

Les 2, 3 et 4 novembre.

<p>90</p>

Loc. cit. p. 309.

<p>91</p>

Jaccoud, loc. cit., p. 162.

<p>92</p>

Jaccoud, loc. cit., p. 160.

<p>93</p>

Voir p. 123, note 1.