Histoire d'Henriette d'Angleterre. La Fayette Marie-Madeleine Pioche de La Vergne
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СКАЧАТЬ artistes, mettaient dans la satisfaction de l'amour-propre leur plus haute récompense, et, faisant œuvre d'esprit, ne gâtaient leur ouvrage par rien de grossier. Je ne dis point qu'en fait il en était toujours ni même souvent ainsi. Ce serait méconnaître la nature dont les pièges sont vieux comme le monde et sans cesse tendus. Je parle de la galanterie telle que la concevaient les «honnêtes gens» et telle qu'on devait la pratiquer pour mériter l'estime des connaisseurs. Aujourd'hui c'est quelque chose de moins et quelque chose de plus.

      Vaugelas, qui avait vécu à la cour de Gaston d'Orléans et fréquenté l'hôtel de Rambouillet, plaça dans son livre «utile à ceux qui veulent bien lire» une remarque sur les mots galant et galamment qui est tout un chapitre de l'histoire des mœurs monarchiques.

      Parlant de cette sorte de galants qui donnaient le ton à la Cour, il se demande ce qui les fait tels et à quoi l'on peut les reconnaître. «J'ai vu autrefois, dit-il, agiter cette question parmi des gens de la Cour et des plus galants de l'un et de l'autre sexe, qui avoient bien de la peine à le définir. Les uns soutenoient que c'est je ne sais quoi, qui diffère peu de la bonne grâce; les autres que ce n'étoit pas assez du je ne sais quoi, ni de la bonne grâce, qui sont des choses purement naturelles, mais qu'il falloit que l'un et l'autre fût accompagné d'un certain air, qu'on prend à la Cour et qui ne s'acquiert qu'à force de hanter les grands et les dames. D'autres disoient que ces choses extérieures ne suffisoient pas, et que ce mot de galant avoit bien une plus grande étendue, dans laquelle il embrassoit plusieurs qualités ensemble; qu'en un mot, c'étoit un composé où il entroit du je ne sais quoi, ou de la bonne grâce, de l'air de la Cour, de l'esprit, du jugement, de la civilité, de la courtoisie et de la gaieté, le tout sans contrainte, sans affectation et sans vice. Avec cela, il y a de quoi faire un honnête homme à la mode de la Cour. Ce sentiment fut suivi comme le plus approchant de la vérité, mais on ne laissoit pas de dire que cette définition étoit encore imparfaite et qu'il y avoit quelque chose de plus dans la signification de ce mot, qu'on ne pouvoit exprimer; car pour ce qui est, par exemple, de s'habiller galamment, de danser galamment; faire toutes ces autres choses qui consistent plus aux dons du corps qu'en ceux de l'esprit, il est aisé d'en donner une définition; mais quand on passe du corps à l'esprit et que, dans la conversation des grands et des dames et dans la manière de traiter et de vivre à la Cour, on s'y est acquis le nom de galant, il n'est pas si aisé à définir; car cela présuppose beaucoup d'excellentes qualités qu'on auroit bien de la peine à nommer toutes, et dont une seule venant à manquer suffiroit à faire qu'il ne seroit plus galant45

      Le bon Vaugelas s'attarde; pour faire vite, disons avec Saint-Evremond que l'air galant «est ce qui achève les honnêtes gens et les rend aimables46

      Madame était née «avec des dispositions galantes», dit la comtesse de La Fayette; Madame était «naturellement galante», dit l'abbé de Choisy. Cela veut dire que Madame était polie, enjouée, agréable et qu'elle aimait à se montrer telle, en toute rencontre, à ses risques et périls, bien entendu. Les galants et les galantes avaient leurs modèles, leurs parangons, dans les princes et les princesses des tragédies et des romans; c'était leur affaire d'accorder des sentiments délicats et quasi héroïques avec les brutalités de la vie et les fragilités de la nature.

      Madame aurait aimé à entretenir avec le Roi un commerce de ce genre, mais il lui échappa vite, par l'effet de sa complexion amoureuse et faute de s'en tenir aux plaisirs de l'esprit. Elle trouva, par contre, en M. de Guiche un homme entêté de galanterie. M. de Guiche, fils du maréchal de Gramont, était un compagnon de jeunesse de Monsieur qu'il traitait avec un sans-façon dont on peut juger par ce que la grande Mademoiselle rapporte d'un bal donné à Lyon, en 1658, par le maréchal de Villeroi.

      «Le comte de Guiche, dit-elle, y étoit, lequel, faisant semblant de ne pas nous connoître, tirailla fort Monsieur dans la danse et lui donna des coups de pied au cul. Cette familiarité me parut assez grande; je n'en dis mot, parce que je savois bien que cela n'eût pas plu à Monsieur, qui trouvoit tout bon du comte de Guiche47

      M. de Guiche qui, avec une jolie figure et un esprit cultivé, donnait dans tous les travers à la mode, se faisait devant les dames la mine d'un vrai berger et d'un parfait héros de roman. C'est par là qu'il plut à la jeune princesse qui ne semble pas avoir été attirée vers lui par des influences plus secrètes et plus irrésistibles. Depuis le moment où, répétant dans un ballet avec Madame, il s'écria, à peu près comme Mascarille, «au voleur! au voleur48!» jusqu'au jour où, déguisé en laquais, il fit ses adieux à sa maîtresse et tomba évanoui dans la cour du Louvre, le comte de Guiche se conduisit en parfait amant, plein à la fois d'audace et de respect, imaginant les rencontres les plus singulières, prenant les travestissements les plus étranges, portant sur son cœur le portrait de sa dame, sur lequel, à la guerre, venaient s'aplatir les balles, bravant les disgrâces, parlant peut-être un peu trop, défaut auquel les chevaliers errants eux-mêmes sont sujets, se jetant dans tous les périls, jaloux jusqu'à perdre la raison et surtout, ce qui était le grand point, écrivant des lettres. Il en faisait des volumes et nous devinerons tout à l'heure de quel style elles étaient. Madame les lisait sans trop s'en cacher et trouvait de temps en temps de bonnes raisons pour ne pas jeter dans les dernières extrémités du désespoir un chevalier si terrible et si soumis. Est-ce là tout? Je le crois.

      M. de Guiche, sachons-le bien, professait un grand dégoût pour les réalités de l'amour; cela ne prouverait rien, car ce dégoût-là est de ceux qu'on surmonte à l'occasion. Mais on disait que M. de Guiche avait de bonnes raisons pour s'y tenir. C'étaient des dames de la Cour qui parlaient ainsi, mesdames de Motteville et de Sévigné. Et que ne disaient pas les libellistes et les chansonniers!49. «Guiche, disaient-ils, ne fait que patrouiller.» Patrouiller, vous entendez bien, faire quelques reconnaissances dans le pays du Tendre, mais sans pousser loin ni forcer de places50.

On en contait bien d'autres. Si ce sont là des choses qu'on dit sans savoir, on ne les dit pourtant pas de tout le monde. On n'avait pas dit cela de Henri IV, enfin! Et il fallait que M. de Guiche eût la figure d'un amoureux transi.

      C'était le bel air d'ailleurs, quand on savait le relever par la bonne mine et les grandes façons. Alors l'amour-propre y trouvait son compte et c'est cette passion que M. de Guiche était porté à satisfaire de préférence à toute autre. Il vécut d'amour-propre, il mourut d'amour-propre. La vanité le jetait dans toutes les affectations à la mode. A une époque peu éloignée de celle où il aimait Madame, la marquise de Sévigné nous le dessine d'un trait dans un petit tableau joliment crayonné sur nature pendant une représentation de Bajazet:

      «Tout le bel air étoit sur le théâtre. M. le marquis de Villeroi avoit un habit de bal, le comte de Guiche ceinturé comme son esprit, tout le reste en bandits51

      Mademoiselle de Scudéry et le comte de Bussy-Rabutin, excellents juges, nous apprennent qu'il poussait l'affectation en écrivant jusqu'à se rendre incompréhensible: «Comme il est fort obscur dans ses lettres, je n'ose assurer ce qu'il veut dire. – C'est proprement un entortillement d'esprit que ses expressions, et surtout dans ses lettres; il n'est presque pas possible d'entendre ce qu'il écrit.»

      Il s'agit de lettres d'amitié. On peut croire que ses lettres d'amour étaient plus inconcevables encore et que l'ithos et le pathos n'y manquaient pas. Madame, jeune comme elle était, dut les trouver fort belles, car la jeunesse est portée à admirer ce qu'elle ne comprend pas; et il est croyable qu'elle put les lire sans rougir, tant elles étaient hors de la nature. Si ces miraculeuses épîtres sont perdues52, il reste, pour nous en donner une idée, la lettre СКАЧАТЬ



<p>45</p>

Remarques sur la langue françoise, utiles à ceux qui veulent bien lire et bien écrire. 1647, in-4o.

<p>46</p>

Dans le Trévoux, au mot galant. Voir aussi La Bruyère: «Une femme galante veut qu'on l'aime, etc., etc.»

<p>47</p>

Mémoires de mademoiselle de Montpensier, coll. Petitot, t. III, p. 389.

<p>48</p>

Remarquons en passant que Molière fait parler Mascarille et Jodelet, non comme des valets qui singent leurs maîtres, mais comme des marquis véritables. Ce qu'ils disent est ridicule, mais n'est nullement de mauvais ton. Il n'est pas extraordinaire qu'en les écoutant Cathos et Madelon crussent entendre des personnes de qualité. Mademoiselle de Scudéry ou quelque autre «illustre» de l'hôtel de Rambouillet s'y fût trompée comme elles.

<p>49</p>

«Il avoit épousé la fille du duc de Sully, petite-fille, par sa mère, du chancelier de France [Séguier], bien faite, sage et riche; mais jusqu'alors (1665), elle avoit été mariée sans l'être.» (Mémoires de madame de Motteville, collect. Petitot, t. XL, p. 227.) Si l'on était sous Louis XV, cela ne voudrait rien dire, puisqu'il s'agit d'une femme, non d'une maîtresse. Mais nous sommes en 1665, et le mot est significatif. D'ailleurs madame de Sévigné est plus nette encore, à propos d'une maîtresse. (Voir plus bas, p. XLIV.)

<p>50</p>

Un sottisier lui fait dire aux dames:

… je n'ai point d'armes

Pour vous servir, comme le grand Saucourt.

<p>51</p>

Lettre du 15 janvier 1672. – Elle écrivait trois mois auparavant: «Le comte de Guiche est à la Cour tout seul de son air et de sa manière, un héros de roman, qui ne ressemble point au reste des hommes (Lettre du 7 octobre 1671).»

<p>52</p>

Les deux lettres qu'on trouve pour la première fois dans l'édition de 1754 de l'Histoire amoureuse des Gaules (t. II, pp. 120 et 148) sont apocryphes. Voir Appendice I, à la fin de ce volume.