Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ auxquelles je suis d'autant plus sensible que je sors, comme dit l'Imitation, «de ce commerce tumultueux des hommes, qui engage la vanité même, avec des intentions simples, et qui finit par asservir l'âme».

      J'ai passé ma soirée à faire, avec M. Vestier, mon bon architecte, des plans et devis pour le tombeau de l'Abbé et pour le mien. Cela se fera tout simplement dans le cimetière de la paroisse, en haut de la côte, dans cette belle vue, dans ce bon air, regardant le soleil levant. Des tombes bien simples, entourées d'arbustes, garanties par une grille en fer; les noms et les dates, voilà tout. Sa dernière demeure sera simple, comme était son âme, et comme le deviendra la mienne, je l'espère. Il est si rare que les volontés des hommes soient exécutées après leur mort, qu'il faut, de son vivant, prendre l'initiative le plus qu'on peut. J'ai eu beaucoup de peine à décider Vestier à ce petit travail; il dit que c'est horrible d'exiger qu'il creuse ma tombe, et le pauvre garçon s'est mis à pleurer. Il a fini par céder, car il m'est docile17.

      Rochecotte, 13 mai 1836.– J'ai reçu, hier, une lettre fort longue de mon fils Valençay, écrite de Coblence: les honneurs rendus aux Princes étaient grands; M. le duc d'Orléans invitait, partout, à dîner, les autorités chargées de lui faire accueil; il leur parle l'allemand avec une facilité qui a beaucoup de succès. Dans chaque ville, la musique des régiments joue constamment sous les fenêtres des Princes; enfin toutes les attentions convenables.

      Valençay, 18 mai 1836.– Je suis ici depuis avant-hier. J'y attends M. de Talleyrand et Pauline demain.

      Je lis une relation des principales religieuses de Port-Royal sur leur réforme, conduite par la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine Arnauld et sur leur persécution du temps de leur célèbre Abbesse, la mère Angélique de Saint-Jean Arnauld, nièce de la première et fille de M. d'Andilly. C'étaient de grandes âmes et des esprits bien fermes; et que de détails singuliers! Quelle race que ces Arnauld, et M. Nicole, et l'abbé de Saint-Cyran! On retrouve tous ces noms dans Mme de Sévigné. Son ami M. de Pomponne était Arnauld, fils de M. d'Andilly. Cette famille était tout à part, même dans son propre temps, puisqu'on disait que Pascal était tout petit devant Antoine Arnauld! Cela ne donne-t-il pas l'idée de géants? Géants à leur époque, que paraissent-ils être maintenant?

      Valençay, 22 mai 1836.– J'ai eu, hier, une lettre de mon fils Valençay, de Berlin. Il est enchanté, et il a raison de l'être, car outre la satisfaction générale du voyage, il est traité avec une bonté particulière qui le touche et me pénètre, parce que c'est à mon intention. Le Prince Royal lui a dit qu'il m'avait toujours regardée comme sa sœur, qu'il le traiterait en neveu, que ma lettre était charmante, mais qu'il lui reprochait de ne pas assez sentir die Kinderstube18. La duchesse de Cumberland et ma marraine, la princesse Louise19, ont été maternelles, la Reine des Pays-Bas bien douce aussi; M. Ancillon, M. de Humboldt, la comtesse de Redern, excellents. M. de Valençay m'assure que le Prince Royal de Prusse n'a été ni froid ni répulsif dans son accueil à M. le duc d'Orléans, mais très obligeant et cordial au contraire; la Princesse Royale charmante, ainsi que la princesse Guillaume la jeune; toutes les autres très convenables; les populations, tout le long des routes très bien, mais nos Princes d'une prudence parfaite. On a eu quelque peine à faire quitter aux jeunes Français militaires la décoration belge; Mgr le duc d'Orléans voulait qu'ils ne la portassent pas du tout à Berlin, mais ils ont fait les farouches, et, enfin, on s'est borné à obtenir qu'ils l'ôteraient devant la Reine des Pays-Bas20. Il est arrivé à Berlin un courrier avec une lettre pressante du Roi de Saxe pour inviter les Princes à passer par Dresde. Je ne sais si cela changera l'itinéraire. Les deux Princes voyageurs ont été le dimanche à l'église catholique de Berlin, ce qui est très bien et d'un bon effet.

      Valençay, 23 mai 1836.– Voici comment s'est passée la journée d'hier, qui était la Pentecôte. Elle donnera une idée de notre vie habituelle ici. D'abord, la grand'messe à la paroisse; l'office a duré deux grandes heures, grâce à un sermon de M. le Curé, d'autant plus soigné qu'il m'a vue dans le banc du château. La chaleur était extrême, l'odeur désagréable, l'encombrement presque comme à Saint-Roch. J'y ai pris un grand mal de tête, qui s'est un peu dissipé pendant une longue promenade en calèche, que j'ai faite avec M. de Talleyrand aux étangs de la forêt de Gâtines.

      Plusieurs personnes de la ville ont dîné chez nous. J'ai un peu marché après dîner, pendant que Pauline faisait la promenade en calèche avec son oncle, puis j'ai écrit jusqu'à neuf heures que part la poste et que M. de Talleyrand est rentré. La lecture des journaux, le thé et le piquet ont fini la journée.

      Je les trouve bonnes quand je n'ai pas eu d'alerte pour la santé de M. de Talleyrand, et, en me couchant, j'en rends grâces à Dieu. Le plus ou moins d'amusement, d'intérêt, d'agrément, je n'en suis plus à y regarder; tout cela reviendra peut-être un jour; maintenant que M. de Talleyrand et mes enfants se portent bien, et que j'ai l'esprit assez libre et l'humeur assez aimable pour rendre la vie douce et facile à ce qui m'entoure, je n'en demande pas davantage. Le jour où on est arrivé à faire très sincèrement abnégation totale de soi, on trouve tout léger, et au lieu de ce vol bas et pesant de l'égoïsme, on s'élève d'un vol rapide, à ailes étendues, et on y trouve du plaisir. Ce n'est que quand je vois la maladie s'abattre et menacer les miens, que je perds le courage et l'équilibre, car je ne suis qu'à ce début de la résignation où on se porte en sacrifice soi-même, en tribut au ciel. Je doute que j'y parvienne jamais! Mais quittons ce sujet, on me croirait dévote comme une dame du faubourg Saint-Germain! Je suis bien loin de là; ce n'est jamais ce que je serai précisément; j'ai une indépendance d'esprit qui ne me permettra guère de suivre la route frayée, et de m'astreindre à de certaines pratiques, allures et observances; mais il serait difficile aussi qu'avec mon goût naturel pour les bons livres, avec la disposition sérieuse de mon esprit, mon expérience de tant de choses, et la sincérité de mes jugements sur moi-même, je ne finisse pas par puiser à la seule source intarissable!

      L'hôtel Carnavalet est à vendre; la mise à prix est de cent quarante mille francs; si j'osais, je l'achèterais; réellement, j'en suis extrêmement tentée.

      Valençay, 26 mai 1836.– La correspondance entre M. de Talleyrand et Madame Adélaïde est toujours animée et très affectueuse, ce qui ne laisse pas de me donner un peu de besogne.

      Voici ce que les lettres d'hier, de Paris, ont fourni:

      Alava est accablé, c'est Miraflorès qui s'annonce comme son successeur; Alava dit que les affaires de son pays le mettent au désespoir. En effet, les journaux mentionnent des choses singulières dans l'Assemblée des Procuradores, et quelle confusion que toute cette affaire du changement des Ministres! Il y a des personnes qui se disent bien informées, et qui assurent qu'Isturitz, pour se tirer d'embarras, ne serait pas éloigné de s'entendre avec don Carlos et de faire le mariage de la Reine Isabelle avec son cousin.

      Lady Jersey a donné ordre qu'on lui envoyât copie de sa correspondance avec lady Pembroke. Il paraît que c'est au delà de tout ce qu'on peut imaginer, en style de servante. Elle veut aussi que M. de Talleyrand lise tous ces factums.

      J'ai une lettre de la princesse Louise de Prusse, ma marraine, extrêmement favorable pour les jeunes Princes français. La princesse Louise est une femme d'esprit, et d'un jugement naturellement ironique et sévère, ce qui donne encore plus de prix à son appréciation. M. de Valençay m'écrit qu'il a été frappé de la beauté des Princesses, de leurs pierreries et de l'élégance de leur toilette. M. de Humboldt avait conduit les Princes et leur suite voir les musées et les ateliers d'artistes. Le Prince Royal de Prusse, qui a le goût des arts, a donné, à cet égard, un grand élan à Berlin. M. le duc d'Orléans a fait une chose qui a plu beaucoup, c'est de commander une statue à Rauch, le premier sculpteur de la СКАЧАТЬ



<p>17</p>

Ce projet n'a pas été exécuté en entier; l'Abbé seul est enterré à Saint-Patrice.

<p>18</p>

La chambre des enfants, la nursery.

<p>19</p>

La princesse Louise était la fille du prince Ferdinand de Prusse (le plus jeune frère de Frédéric le Grand). Elle avait épousé, en 1796, le prince Antoine Radziwill.

<p>20</p>

La Reine Wilhelmine des Pays-Bas était fille du Roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, et sœur du Roi alors régnant, Frédéric-Guillaume III.