Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ que celle qui s'est établie tout de suite entre ces deux hommes, si bien et si différemment doués; mais aussi j'ai cru qu'elle ne finirait plus! Ils ne sont partis qu'après six heures.

      Paris, 7 mars 1836.– M. Royer-Collard m'a fait faire, hier, la connaissance de M. de Tocqueville, l'auteur de la Démocratie en Amérique; il m'a paru être un petit homme doux, simple, modeste, à la mine spirituelle. Nous avons beaucoup causé de l'Angleterre, sur les destinées de laquelle nous sommes parfaitement d'accord.

      Paris, 9 mars 1836.– J'avais, à plusieurs reprises, jeté les yeux sur l'Imitation de Jésus-Christ, mais, soit que je ne connusse encore que superficiellement les autres et moi-même, soit que mon esprit fût mal préparé et ma pensée trop distraite, je ne faisais pas grande différence entre ce bel ouvrage et la Journée du Chrétien ou le Petit Paroissien; je m'étais souvent étonnée de la grande réputation de ce livre et je n'avais trouvé aucun goût à sa lecture. Le hasard me l'a fait ouvrir l'autre jour chez Pauline, les premières lignes m'ont frappée, et, depuis, je le lis avec une admiration toujours croissante. Que d'esprit sous la forme la plus simple! Quelle profonde connaissance du cœur humain dans ses plus profonds replis! Que c'est beau et lumineux! Et c'est l'ouvrage d'un moine inconnu! Rien ne m'humilie davantage que de l'avoir méconnu, et ne me prouve mieux à quel point j'étais dans les ténèbres.

      Paris, 10 mars 1836.– J'ai été, hier, avec la duchesse de Montmorency, au bal de Mme Salomon de Rothschild, la mère. C'est la maison la plus magnifique que l'on puisse imaginer, aussi l'appelle-t-on le temple de Salomon! C'est infiniment supérieur à la maison de sa belle-fille, parce que les proportions sont plus élevées et plus grandes; le luxe y est inouï, mais de bon goût, la Renaissance pure, sans mélange d'autres styles; la galerie surtout est digne de Chenonceaux, et on aurait pu se croire à une fête des Valois. Dans le salon principal, les fauteuils, au lieu d'être en bois doré, sont en bronze doré, et coûtent mille francs pièce! La salle à manger est comme une nef de cathédrale. Le tout bien ordonné, admirablement éclairé, point de cohue et beaucoup de politesse.

      Paris, 11 mars 1836.– J'ai été, hier, entendre, à Saint-Thomas-d'Aquin, l'abbé de Ravignan, jadis procureur du Roi, ami de Berryer qui le vante beaucoup, beau-frère du général Exelmans, et que j'ai connu dans les Pyrénées, où il m'avait frappée par la belle expression de sa figure. Il prêche bien, son débit est excellent, son style pur et élégant; il a plus de logique et d'argumentation que d'onction et de chaleur. Aussi s'attache-t-il plus au dogme qu'à la morale évangélique; il m'a paru être plutôt un homme de talent qu'un grand prédicateur.

      Paris, 18 mars 1836.– Vous faites ma part trop belle13 à l'occasion de mes réflexions sur Bossuet. Parce que j'ai le goût du vrai, parce que le monde et les hideuses misères qu'il couvre me frappent en dégoût; parce que j'en suis arrivée à en craindre la contagion, que j'ai trop longtemps subie; parce que je me recherche avec quelque sérieux, et que je suis effrayée de me sentir plongée dans toutes les mauvaises et tristes conditions qui sont le partage des gens du monde, et au milieu desquelles l'esprit de paix, de charité et de pureté périt; parce que je fais quelques efforts pour rompre tant d'entraves et pour m'élever vers une région plus épurée, il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, mes efforts sont impuissants, mes essais inutiles, mes tentatives vaines, et que je ne sais, habituellement, si l'excès de fatigue morale qui m'accable tient au triste spectacle des déplorables agitations qui m'entourent ou à celles, non moins déplorables, que j'éprouve moi-même. Quand, après de longues années passées dans tous les embarras du siècle, on veut changer de route, quelque détourné que soit le sentier qui conduit de l'une à l'autre, on se trouve un lourd bagage: on ne sait ni avancer avec son poids, ni s'en alléger tout d'un coup; on trébuche, on revient sur ses pas; enfin, on est très mauvais marcheur, et le but s'éloigne, à mesure qu'on a un désir plus sincère de l'atteindre. Voilà où j'en suis…

      J'ai eu, hier, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui me plaît assez; celle du duc de Noailles, qui, sans déplaire jamais, ne plaît jamais trop; et, enfin, celle de Berryer, qui pourrait plaire beaucoup, s'il ne portait, à travers son esprit et son agrément, une certaine empreinte de mauvaise vie dont je suis frappée; du reste, la conversation a très bien marché, entre l'un qui a si bien vu, le second qui est sain dans son jugement, et le troisième qui a, dans l'esprit, le mouvement rapide avec lequel on devine tout. Cette conversation d'hommes distingués a porté uniquement sur les choses, point sur les hommes; pas un nom propre, aucun commérage, ni violences, ni aigreurs; elle a été telle que la conversation devrait toujours être conduite, surtout chez une femme.

      Paris, 20 mars 1836.– Quelle profonde tristesse inspire un premier beau jour de printemps quand il fait contraste avec la disposition dans laquelle on se trouve!.. Depuis quarante-huit heures, le beau temps doux, léger et parfumé s'est emparé de l'atmosphère, tout est clair et riant, tout respire la joie, tout renaît, tout se réchauffe et s'égaye; eh bien! je me sens asphyxiée dans cette ville!.. Des promenades publiques ne sont pas la campagne et rien ne peut me rendre ce doux printemps fleuri de l'année dernière, ce vaste horizon, cet air léger, cette respiration facile! Qui le pourrait deviendrait l'objet de mon culte… Au lieu de cela, aller, en voiture fermée, au bois de Boulogne avec Mme de Lieven, quelle chute! C'est ce que j'ai fait hier, pendant que M. de Talleyrand était à l'Académie des sciences morales et politiques, donnant sa voix à M. de Tocqueville, qui a manqué son élection.

      Paris, 24 mars 1836.– La princesse Belgiojoso a une figure extraordinaire plutôt que belle; sa pâleur est extrême, ses yeux trop écartés, sa tête trop carrée, sa bouche grande, et ses dents ternes; mais elle a un beau nez, et une taille qui serait jolie si elle était plus pleine, des cheveux très noirs, des costumes à effet, de l'esprit, une mauvaise tête, des fantaisies artistes, du décousu, et un assez habile mélange de naturel, qui trompe sur la prétention, et de prétention qui corrige ce que le fond de la nature me paraît avoir de vulgaire, et ce que les flatteurs appellent sauvage. Voilà ce que me semble être cette personne, que je n'ai fait que rencontrer.

      M. Royer-Collard m'ayant trouvé l'autre jour lisant l'Imitation, m'en a apporté hier un joli petit exemplaire, qu'il possède depuis sa jeunesse, et qu'il a presque toujours porté sur lui. Je ne puis dire combien ce don m'a touchée, combien il m'est précieux: je ne trouve qu'un seul tort à ce petit livre, c'est d'être en latin; je n'ai jamais bien su cette langue, et je me trouve l'avoir oubliée… Je crois que je vais la rapprendre.

      M. Royer m'a demandé en échange un livre que j'eusse beaucoup lu. Je lui ai donné cet exemplaire des Oraisons funèbres de Bossuet, qui porte fort mes marques, dont le signet est arraché et qui s'est trouvé, marqué par une épingle à cheveux, à un des passages les plus applicables pour moi de la princesse Palatine. M. Royer a reçu ce petit bouquin de bien bonne grâce.

      J'ai été, le soir, au Théâtre italien, où Berryer est venu me faire une visite dans ma loge; il était fort occupé de la séance du matin à la Chambre des Députés et du discours formidable de M. Guizot. M. Thiers se prépare à y répondre ce matin, et cela est indispensable, à moins de laisser passer la Chambre sous le pouvoir de M. Guizot; enfin, nous allons voir la lutte corps à corps engagée entre les vrais adversaires. C'est un événement, et regardé comme tel. Berryer racontait et décrivait tout cela à merveille, sans une parole âcre pour personne, sans un mot de plus qu'il ne fallait pour l'intelligence des positions. En dix minutes, il m'avait tout appris.

      Paris, 27 mars 1836.– Hier matin, j'ai eu l'honneur de voir le Roi chez Madame Adélaïde; il a eu une conversation charmante. Il a eu la bonté de me raconter son mariage, la Cour de Palerme, et la fameuse Reine Caroline. J'ai su, aussi, que le prince Charles de Naples et miss Pénélope arrivaient ici dans deux jours, pauvres comme des gueux. Cette arrivée est un embarras, et une sorte de honte, surtout pour la Reine14.

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<p>13</p>

Extrait d'une lettre.

<p>14</p>

Le prince Charles de Naples, frère de la duchesse de Berry, était le neveu de la Reine Marie-Amélie.