Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de Noailles; il a du jugement, de la sûreté, du goût, de la droiture et d'excellentes manières; c'est un homme grave, honorable et sensé, dont la bienveillance a du prix, et dont la haute position peut être utile dans le monde où il compte; mais le cas que je fais de ses qualités et le prix que j'attache à mes très bonnes et amicales relations avec lui ne m'empêchent pas de lui trouver des prétentions. L'ambition politique est au premier rang, et elle n'est peut-être pas suffisamment soutenue par un certain dégagé de caractère, absolument nécessaire dans le temps actuel. Toute cette famille est restée ce qu'elle était il y a deux cents ans. Les Noailles sont plus illustres qu'anciens, plus courtisans que serviteurs, plus serviteurs que favoris, plus intrigants qu'ambitieux, plus gens du monde que grands seigneurs, plus nobiliaires qu'aristocrates, et avant tout, et plus que tout, Noailles! Je connais tous ceux actuels; le plus capable et le meilleur est sans aucun doute le Duc, que je juge peut-être un peu sévèrement, mais pour lequel j'ai toutefois une véritable estime.

      J'ai quitté Valençay avant-hier, à six heures du matin, y laissant Paulinette fort triste de son abandon; j'ai couché à Jeurs, chez les Mollien, où je suis arrivée à huit heures du soir; j'étais ici, hier, d'assez bonne heure.

      J'y ai trouvé M. de Talleyrand en assez bonne santé, mais fort préoccupé de l'état des choses. Le Roi n'assistera pas à la revue de demain, et ce qui y a fait renoncer, c'est la découverte du serment fait par cinquante-six jeunes gens de tuer le Roi. Comme on n'a pu se rendre maître de ces cinquante-six jeunes gens, on a, avec raison, jugé plus prudent de renoncer à la revue… Dans quel temps vivons-nous?

      La mort de Carrel42 jette aussi du lugubre: il avait de grandes erreurs dans l'esprit, mais cet esprit était distingué, et son talent remarquable. Conçoit-on, pourtant, M. de Chateaubriand, l'auteur du Génie du Christianisme, fondant en larmes au convoi d'un homme qui a refusé de voir un prêtre, et qui a défendu qu'on le présente à l'église? Le besoin de faire de l'effet est ce qui fait le plus souvent et le plus essentiellement manquer de goût et de convenances.

      Les affaires d'Espagne vont très mal. Les amis de l'intervention s'agitent fort, et il y en a de bien influents, et des premiers, mais la volonté suprême y est toujours également opposée.

      J'ai eu bien bonne compagnie, hier, pendant ma route: celle du cardinal de Retz dont j'ai repris les Mémoires; il y avait bien des années que je ne les avais lus, et c'était à un âge où on cherche les faits et les anecdotes, mais où on fait peu attention au style et aux réflexions. L'un est vif, original, ferme et gracieux tout à la fois; les autres fines, judicieuses, élevées, piquantes, abondantes. Quelle ravissante lecture! que d'esprit, et du meilleur, si ce n'est dans l'action, du moins dans le jugement! C'est La Bruyère dans la politique.

      Paris, 28 juillet 1836.– M. le duc d'Orléans est venu me voir hier. Il était très souffrant, assez sombre; il est obligé, lui aussi, à une infinité de précautions qui rendent sa vie triste. Le Roi était bien résolu à aller à la revue, mais, en même temps, si convaincu qu'il y serait tué, qu'il avait fait son testament, et donné tous ses ordres, toutes ses directions à son fils, pour l'avènement de celui-ci au trône.

      J'ai eu aussi, à la fin de la matinée, la visite de M. Thiers, fort satisfait des nouvelles d'Afrique qu'il venait de recevoir, de la situation politique au dedans et au dehors, de tout enfin, excepté des dangers continuels et immenses qui menacent la vie du Roi. Il devait y avoir plusieurs attaques contre le Roi le jour de la revue, attaques isolées et inconnues les unes des autres: l'une consistait dans un groupe d'hommes déguisés en gardes nationaux, lequel aurait, en passant devant le Roi, tiré sur lui simultanément; sur vingt coups, infailliblement, il s'en serait rencontré un de fatal. Deux des jeunes gens arrêtés (il y en a plus de cent), ont déjà fait des aveux importants. Hier matin, on a arrêté un homme chez lequel on a trouvé une machine semblable à celle de Fieschi, mais perfectionnée et réduite comme volume, avec plus de justesse et d'infaillibilité dans le tir.

      Paris, 29 juillet 1836.– J'ai été hier soir chez la Reine; elle était, en apparence, dans son état naturel, quoiqu'elle ait dit avec une grande amertume: «Nous pouvons nous donner le témoignage d'être de bonnes gens, et on nous force à vivre dans les terreurs, et dans les précautions des tyrans.» Madame Adélaïde prend sur elle, afin de ne pas assombrir le Roi. Celui-ci était avec ses Ministres et n'est venu que plus tard. Il était, dans ses façons, comme de coutume, mais ses traits portaient l'empreinte de sombres pensées: il a éprouvé la plus vive contrariété qu'il ait eue dans sa vie, en n'allant pas à la revue. Du reste, il croit que ses jours sont comptés, car, en embrassant avant-hier la Reine des Belges, qui repartait pour Bruxelles, il lui a dit qu'il ne la reverrait plus. La jeune Reine s'est trouvée mal et rien n'a été plus déchirant que leurs adieux. Les pauvres gens!

      Un fait remarquable, consigné par tous les chefs des légions de la Garde nationale, c'est que, depuis quinze jours, une quantité de gens inconnus, ou trop connus, tels que Bastide et autres, se sont fait inscrire sur les rôles de la Garde nationale, et montent la garde: tout cela, pour se trouver dans les rangs défilant devant le Roi, le jour de la revue.

      Rien de si triste que les Tuileries; j'y suis restée deux heures avec un serrement de cœur inexprimable, une oppression et une envie de pleurer que j'ai pu à peine contenir, surtout quand j'ai vu le Roi.

      Je partirai demain matin de bonne heure pour Valençay.

      Chartres, 31 juillet 1836.– J'ai quitté Paris hier, mais beaucoup plus tard que je ne croyais, M. le duc d'Orléans m'ayant fait savoir qu'il désirait encore me parler. Je ne puis assez dire combien j'ai été touchée de sa bonne grâce parfaite pour moi. Il est venu tous les jours me voir et m'a témoigné me compter comme sa meilleure amie; certes, il ne se trompe pas. Il a, sous tous les rapports, fait des progrès remarquables; si le ciel nous le conserve, je suis sûre que son règne sera brillant. J'espère qu'un bon mariage pour lui égaiera notre horizon politique qui est bien sombre.

      Quel sera ce mariage? C'est la question qui se décidera la semaine prochaine, car je crois que mariage il y aura: les circonstances le rendent tellement nécessaire pour consolider et fonder ce que le crime menace et attaque chaque jour, que la lignée devient bien plus importante que la grandeur de l'alliance. Celle-ci aurait son prix cependant; on y cherche, mais si on ne réussit pas, on ne penserait plus qu'à trouver une femme qui promît de beaux enfants, sans, pour cela, tomber dans le morganatique, dont, avec beaucoup de sens, on ne veut pas, pas plus que d'une alliance dans laquelle se trouverait mêlé le sang de Bonaparte. La religion est indifférente. Il est absolument nécessaire de tirer Paris du lugubre dans lequel il est jeté. Je connais les Français: si on leur produit une jeune personne avec des façons engageantes, ils seront ravis; et quant au dehors, il comptera peut-être davantage avec nous, quand il n'aura plus un leurre matrimonial à nous offrir.

      Hier, je ne me suis arrêtée que quelques minutes chez Mme de Balbi à Versailles, et autant à Maintenon, chez la duchesse de Noailles. Je pars à l'instant pour Châteaudun, et de là pour Montigny où j'ai promis de faire une visite au prince de Laval.

      Montigny, 1er août 1836.– J'ai quitté Chartres après y avoir entendu la messe dans la cathédrale, qui, à l'œil, ne paraît pas avoir souffert de l'incendie43; la charpente et les plombs manquent, mais la voûte intérieure, en pierre, n'ayant pas souffert, on ne s'aperçoit de rien, à l'intérieur du dôme de l'église. On travaille aux réparations.

      Je me suis arrêtée à Châteaudun, pour y visiter, en détail, tout le vieux château, jusqu'aux cuisines et aux cachots; à travers une dégradation presque complète, on trouve encore de belles parties, et la vue en est jolie. Le prince de Laval est venu à ma rencontre et m'a amenée ici dans sa calèche; il fait de ceci un lieu charmant, arrangé avec goût, recherche et magnificence. Le site СКАЧАТЬ



<p>42</p>

A la suite d'une violente polémique dans les journaux, une rencontre devint inévitable entre Armand Carrel, directeur du National, et Émile de Girardin, directeur de la Presse. Un duel au pistolet eut lieu le 28 juillet, au bois de Vincennes, entre les deux journalistes. Grièvement blessé à l'abdomen, Armand Carrel succomba le lendemain, après avoir nettement manifesté sa volonté d'être transporté directement au cimetière, sans passer par l'église.

<p>43</p>

Au mois de juin 1836, un incendie, attribué à l'imprudence d'ouvriers plombiers, détruisit complètement les charpentes de châtaignier de la cathédrale, qui faisaient l'admiration des visiteurs et auxquelles on donnait le nom de forêt. Un grand nombre de vitraux anciens furent brisés ou fondus, les clochers sérieusement endommagés. Pendant plusieurs heures, le feu menaça de se propager dans toute la basse ville. Les réparations, fort importantes, durèrent de longues années.