Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4). Dorothée Dino
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Название: Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

Автор: Dorothée Dino

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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      Valençay, 24 août 1836.– Ce qu'on m'écrit est comique et inattendu: M. Berryer jouant le vaudeville à Bade, avec Mme de Rossi! Du reste, quoique ce soit un peu étrange, de la part d'un homme politique, cela lui vaut mieux que de se mal associer en Suisse.

      Les journaux nous ont appris, hier, la mort de M. de Rayneval48 à Madrid. Ceci va augmenter les embarras d'une question dans laquelle tout est embarras.

      Valençay, 27 août 1836.– Nous ne savons pas les détails de ce qui se passe à Paris, mais il y a évidemment quelque crise qui se prépare dans le Cabinet. En résumé, M. Thiers paraît avoir voulu engager le Roi, malgré lui, dans les affaires d'Espagne, et avoir agi dans ce sens sans consulter ses collègues. Tout cela a fort animé les uns et les autres contre lui. Il en est résulté un choc difficile à apaiser, et qui, d'ici à peu de jours, doit amener, ou une soumission de Thiers au Roi, ou un nouveau Ministère qui contiendrait cependant quelques éléments du Cabinet actuel, et notamment, je crois, M. de Montalivet. Tout ceci est encore spéculatif, car nous ne savons rien de particulier.

      Valençay, 28 août 1836.– Voici ce qu'une lettre de Madame Adélaïde, reçue hier par M. de Talleyrand, nous apprend: «Le Ministère s'est dissous; j'en suis désolée. Je regrette beaucoup Thiers, mais sa tête s'était montée sur cette question d'intervention en Espagne qui a tout gâté. Le Roi voulait rompre, à l'instant, le nouveau corps qui se formait à Bayonne, et exigeait un engagement formel de renoncer, pour l'avenir, à l'intervention; Thiers s'y est refusé et a donné sa démission. Une nouvelle crise ministérielle, en ce moment, est bien fâcheuse; puis il ne nous reste qu'un si petit cercle dans lequel choisir! Le Roi a fait appeler M. Molé, mais il était à la campagne. Il faut le temps qu'il arrive; sans doute, il demandera Guizot. Tout est bien triste; nous savons d'ailleurs, par expérience, à quel point un nouveau Cabinet est long et difficile à former! Plaignez-nous, plaignez-moi, car je suis navrée!» Voilà donc où on en était avant-hier, dans le lieu où la crise se passait. Je la regrette beaucoup; d'abord parce que j'ai un grand fond d'intérêt pour Thiers, et que je regrette que ses instincts révolutionnaires l'aient emporté sur son dévouement, sa reconnaissance, et sur la docilité qu'il devait à la haute sagesse, à la prudence et à la grande expérience du Roi; puis, les changements fréquents de ministère sont de mauvais accidents de gouvernement, et donnent des secousses trop répétées à l'esprit public. D'ailleurs, le talent souple, vif, prompt de Thiers, ses connaissances et son esprit étaient utiles à l'État. Quel usage en fera-t-il, quand il aura complètement son libre arbitre? Madame Adélaïde, comme le prouve l'extrait de sa lettre, a peu de goût pour les Doctrinaires, mais il n'y a pas à croire qu'on doive rappeler M. de Broglie, envers lequel M. Guizot croit s'être acquitté à tout jamais. A travers tous ces mauvais côtés, il me semble, pourtant, qu'il y a un avantage incontestable pour le Roi à la nouvelle preuve qu'il vient de donner, que, dans les occasions vraiment importantes, il ne se laisse pas ébranler, et ne permet pas qu'on lui mette le marché à la main. C'est ainsi qu'au mois de février il a résisté à l'arrogance des Doctrinaires, et que maintenant il a brisé l'infatuation de Thiers. Ce sont là, je crois, de bons avertissements pour les ministres futurs, à quelque couleur qu'ils appartiennent, et une excellente garantie donnée à la partie sage de l'Europe.

      Valençay, 29 août 1836.– M. de Talleyrand devrait trouver, dans tous les accidents qui lui arrivent sans fâcheux résultats, la garantie que son existence est solidement assurée; il me semble cependant que ces avertissements me feraient, à sa place, songer à ce qu'ils annoncent, et à rendre grâce à Dieu des délais qu'il accorde pour alléger le bagage. Il fait bien, quelquefois, des réflexions sur la mort, mais c'est de loin en loin. Hier au soir, il y a eu un gros orage qui menaçait le Château. Après un coup de tonnerre très violent, il m'a demandé quelle était la pensée qui m'avait saisie dans le moment; je lui ai répondu immédiatement: «S'il y avait eu un prêtre dans la chambre, je me serais confessée; j'ai peur des morts subites. Mourir sans préparation, emporter mon lourd bagage de péchés m'effraye; et quelque soin que l'on mette à bien vivre, on ne saurait se passer de réconciliation et de pardon.» M. Cogny, notre médecin, qui était là, et qui a une peur affreuse des orages, a ajouté, un peu niaisement, qu'à chaque éclair il faisait un acte de contrition; M. de Talleyrand n'a rien dit du tout, et nous avons continué le piquet. A chaque occasion, j'établis, quand je le peux, mes croyances, et je cherche par là à réveiller les siennes; mais je ne le fais jamais sans provocation. Il faut avoir, dans ce genre de choses, la main si légère!

J'ai eu hier une longue et intéressante lettre de M. le duc d'Orléans; je la trouve d'autant plus sage, qu'il est revenu à des opinions plus raisonnables sur la question d'Espagne. Il juge la crise ministérielle actuelle exactement dans le même sens que je le fais. J'ai reçu aussi une lettre de M. Guizot, écrite de Broglie le 24 août. Il ne savait encore rien alors de la retraite de Thiers qui n'est que du 25. Il m'écrit qu'il vient d'acheter une petite propriété auprès de Lisieux49 et qu'il va se faire fermier. Depuis, je suppose qu'il aura quitté la charrue pour reprendre la plume et la parole.

      Valençay, 1er septembre 1836.– Je suis fort disposée à partager entièrement cette opinion sur l'Empereur Nicolas, qu'on ne peut guère lui accorder qu'une seule qualité de souverain, c'est le courage personnel. Ce qui me paraît lui manquer le plus absolument, c'est l'esprit; je ne veux pas dire l'esprit de conversation et de rédaction seulement, mais l'intelligence.

M. de Montessuy, qui a accompagné M. de Barante à une fête à Péterhof, et qui y a couché, écrit qu'ayant, dans les jardins, vu de loin l'Impératrice, il s'était, par respect, retiré, et que le soir elle lui en avait fait des reproches, lui disant qu'elle était descendue pour lui parler, que c'était mal à lui de l'avoir évitée. Toute cette histoire me paraît bien invraisemblable!Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

      Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.

      Valençay, 3 septembre 1836.– J'ai appris hier une nouvelle qui me cause une peine très vive et qui va me jeter dans de grands embarras: c'est celle de la mort de mon homme d'affaires en Allemagne, M. Hennenberg, qui a expiré le 23 août, à Berlin. Il s'agit pour moi de remplacer un fort honnête homme, capable, considéré et imposant, qui connaissait, depuis vingt-cinq ans, non seulement toutes mes affaires, mais mes relations passées et présentes; qui s'était identifié à toutes les conditions de mon existence, m'avait rendu des services immenses, et à travers toutes les secousses pécuniaires que j'ai éprouvées, avait rétabli ma fortune et l'avait fait prospérer à vue d'œil, souvent même à mon propre étonnement; enfin, quelqu'un entre les mains de qui j'avais complètement abdiqué le gouvernement de mes affaires, comme il est du reste nécessaire de le faire, à la distance infinie où je suis du centre de mes intérêts. Remplacer un tel homme ne peut pas se faire de loin, ni par lettres, ni à l'aveugle; rester dans l'incertitude et le désordre pendant un temps illimité ne se peut pas davantage sans apporter un préjudice incalculable. Un voyage en Allemagne serait donc de toute nécessité pour moi; mais d'un autre côté, comment laisser M. de Talleyrand seul, dans son état actuel de santé? Je ne puis y songer! Je fais des vœux pour que la Providence me tire de ce dédale inextricable!..

      Les lettres de Paris disent que les combinaisons ministérielles manquent, les unes après les autres; que le Roi s'en ennuie, et que Thiers СКАЧАТЬ



<p>48</p>

Ambassadeur de France en Espagne.

<p>49</p>

Cette propriété était le Val-Richer, où M. Guizot habita jusqu'à sa mort.