Yvonne. Delpit Édouard
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Название: Yvonne

Автор: Delpit Édouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ demeurait immobile en face de Robert. A la rencontre des grands yeux bleus stupéfaits, ses grands yeux bleus fixes prenaient de la vie. Ainsi, en heurtant l'épée, la froide épée jette des étincelles. Aux pointes des pupilles dilatées s'allumaient de rouges éclairs. Elle demeurait immobile, muette, concentrée en elle-même, dans l'attitude cauteleuse de la panthère prête à bondir sur sa proie, la proie qu'elle découvrait là, en ce jeune homme éperdu et tremblant à deux pas d'elle. Sous les longues boucles fauves, la figure de statue revêtait une expression de douleur allant jusqu'à la cruauté. Lui contemplait. Gaston le saisit par le bras afin de le soustraire à l'horrible fascination, de rompre le charme sinistre, dont il constatait et redoutait la puissance.

      – Prends garde! Il faut se méfier des fous. Ote-toi de son chemin.

      Et il l'écarta. La femme tressaillit. Elle ne comprenait pas. Il y avait quelque chose en face d'elle, ce quelque chose soudain s'évanouissait. Elle passa ses mains sur sa figure, cherchant encore, toujours, droit devant elle. Où était-ce? Qui le lui prenait? Cette fête d'un instant, cette joie d'une minute, qu'en faisait-on? Une détresse poignante marbra son visage, la souffrance familière, aiguë. Puis, comme appelée par une voix secrète, où ses effarouchements s'apaisaient:

      – Il rit, il est là! dit-elle.

      La physionomie tout à coup sereine, elle descendit d'un pas cadencé, en modulant un air insaisissable, vers la berge. Les fleurs ont, sous la brise, ces ondulations adorables. Mais le brasillement du fleuve la frappa de terreur. Elle poussa un cri déchirant, un de ces cris d'angoisse qui bouleversent, entra dans l'eau, tendit les bras en avant, faisant mine de s'accrocher aux flots qui se brisaient sous ses mains et glissaient, insensibles, entre ses doigts. Son geste machinal semblait fouiller l'onde. Elle marcha d'abord sans perdre pied. Autour de sa robe blanche, les nappes bleues élargissaient leurs cercles. Et les gaies hirondelles voltigeaient, insoucieuses, autour d'elle. Bientôt le courant, plus fort, la roula dans son manteau d'azur. Avant que Gaston eût fait un geste, Robert s'était précipité. En quelques brasses vigoureuses, il l'atteignit. Il souleva sa tête hors de l'eau. Leurs regards de nouveau croisés, elle poussa le même cri, l'enlaça d'un élan sauvage et, le serrant contre elle comme une mère son enfant, disparut avec lui.

      – Au secours! au secours!.. gémissait Gaston.

      De l'auberge, des prés, des maisons éparses on accourut. A son tour, Gaston plongea, frémissant à l'idée qu'il aurait affaire peut-être à deux cadavres. La berge se couvrait de monde, dans un tohu-bohu de bruits, d'appels, de vaines clameurs.

      Quelqu'un fendit la foule, sauta dans une barque et rama vers les trois corps. Le moyen, pour n'être pas héroïque, était le plus sûr; naturellement, personne n'y songeait. C'était un homme de haute taille, aux cheveux grisonnants, la figure énergique et belle. En un clin d'œil, il fut auprès de Gaston.

      – Monsieur, ne les lâchez pas, et donnez-moi la main.

      Laffont se cramponna et, pêle-mêle avec les autres, fut hissé à bord. Les bras de la folle étaient tellement crispés autour du cou de Robert qu'on eut toutes les peines du monde à dénouer l'étreinte.

      Sur la berge, des domestiques en grand émoi répondaient aux mille questions posées de toutes parts: «Depuis le matin, on courait après madame la marquise… Elle s'était échappée, ils ne savaient comment… durant une courte absence de monsieur le marquis… lui qui ne la quittait jamais, la veillant nuit et jour… si admirable de dévouement. Dès son retour, à la première nouvelle, il était comme frappé au cœur… et trois heures de recherches inutiles!..»

      – Pauvre homme! psalmodia l'aubergiste. Quelques minutes de plus, ce n'en aurait pas moins été pour lui un fier débarras. Il suffit de le regarder. Quand on est triste de cette façon!..

      L'hôtelière, d'un mouvement de tête, indiquait celui qui venait de recueillir les trois épaves et accostait à la rive. Triste, il l'était, certes, par les yeux, le pli navré des lèvres, une sorte de brisement de tout l'être. La foudre, un jour, avait dû s'abattre sur lui. Mais à le voir près du corps inanimé de la folle, on sentait que toute sa vie – ce qu'il en restait, du moins – était là.

      Dès que la marquise eut repris ses sens, des voitures, mandées en hâte, transportèrent tout ce monde à la villa italienne. Le marquis avait donné l'ordre d'amener chez lui les jeunes gens et ne s'occupait que de sa femme, étendue sur les coussins du landau. Sa voix palpitait:

      – Yvonne, m'entendez-vous? me voyez-vous? Il se penchait sur elle, la berçait: Yvonne, je vous en supplie, répondez-moi.

      Elle gardait un mutisme farouche. Visiblement, une idée fixe l'obsédait. Lui ne se lassait pas, opiniâtre en son impuissante tendresse, ivre de l'avoir encore vivante contre lui, après l'affreux péril.

      – Yvonne, mon Yvonne, je vous en conjure…

      Comme on descendait devant le perron de la villa, Robert et Gaston furent les témoins d'une scène pénible. Un accès de fureur s'emparait de la marquise, elle refusait de rentrer, voulait retourner au fleuve, se débattait aux bras de son mari, criant:

      – Il est sous la mer. Je l'ai vu. Je le veux, je le veux!

      Une paysanne d'âge mûr, vêtue du costume bas-breton, se précipita, les paupières gonflées, hors d'elle-même, par l'inquiétude des dernières heures.

      – Seigneur Jésus! monsieur le marquis, dans quel état elle nous revient!

      Le marquis, taillé en hercule, fléchissait presque sous les mouvements désordonnés de la malheureuse. Il avait peine à la retenir. La paysanne tenta de lui venir en aide.

      – Non, Annick, commanda-t-il, ne la touchez pas, vous lui feriez mal. Occupez-vous de ces messieurs. Ils ont failli se noyer pour la sauver.

      D'un dernier effort, il enleva Yvonne et franchit le seuil de la maison avec son cher fardeau.

      – Entrez, messieurs, dit Annick.

      Elle fit allumer un feu de corps de garde, apporter des vêtements et des cordiaux, et laissa les jeunes gens réparer leurs avaries.

      – Singulière aventure, déclara Gaston, qui finit mieux qu'elle n'a commencé. Willmann en ferait des gorges chaudes, car nous jouons au terre-neuve.

      Robert s'assit à l'écart, le front dans les mains. Le silence n'était point pour plaire à son compagnon, qui le gourmanda:

      – Vrai, tu n'es pas communicatif. Robert! Robert!!.. Ah! tu daignes lever la tête. Quel air! ma parole, on dirait que tu reviens de l'autre monde.

      – Ma foi! soupira Robert.

      Au bout d'une demi-heure, Annick se présenta, chargée d'un message du marquis: il s'excusait de ne pas se montrer encore, ne pouvait quitter la marquise, les priait de se considérer comme chez eux.

      – Et ce que je vous dis de sa part, poursuivit la paysanne, je vous le dis aussi de la mienne. Je vous appartiens, après ce que vous avez fait pour elle.

      Ce «pour elle» contenait bien des choses. C'était la prise de possession du maître par le serviteur, l'affirmation d'un sentiment presque aussi robuste que la maternité.

      – Y a-t-il longtemps qu'elle est folle? demanda Robert.

      – Plus de treize ans, monsieur.

      – Treize ans!

      – Ah! СКАЧАТЬ