Yvonne. Delpit Édouard
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Название: Yvonne

Автор: Delpit Édouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ lèvres de l'artiste. Il planta ses yeux fiers dans les yeux de la baronne. Se moquait-elle de lui? Non, elle ne se moquait pas. Sur sa figure éclatait un air de sincérité qui l'interdit. Si mal qu'elle l'eût accueilli naguère, elle pouvait avoir changé d'avis à son égard. Il se courba légèrement devant elle.

      – Vous êtes trop bonne, madame.

      Elle lui prit le bras d'un geste très doux, voulant le gagner à ses projets, déroutée par une conquête qui ne ressemblait pas à celles dont on lui prêtait la spécialité triomphante. Elle l'entraîna dans un coin de la serre, ne sachant encore par où risquer la démarche. S'il refusait pourtant! Ils resteraient seuls tandis que s'achevait la fête; aurait-elle le loisir de le convaincre et de le décider? Elle le fit asseoir près d'elle.

      – Racontez-moi tout ce qui vous est arrivé depuis que je ne vous ai vu.

      – Cela en vaut-il la peine?

      – Je vous en prie.

      – J'ai marché devant moi le long des rues; j'entrais demander de l'ouvrage quand je voyais des écriteaux. N'ayant aucune référence à fournir, on me refusait partout. Je n'avais pas un centime dans la poche, de sorte que, la nuit venue, mon gîte me paraissait problématique. Paris n'a pas, comme le Vivarais, des lits d'herbe sèche contre les haies. J'étais fatigué d'avoir marché huit heures, sans m'arrêter, à jeun. Dans une rue étroite où il me sembla que le vent soufflerait moins fort, les encoignures de portes m'attiraient. J'en choisis une pour y passer la nuit. Mais un gardien de la paix me commanda de circuler. Engourdi par le froid, la fatigue, la faim, je n'eus pas la force d'obéir. Il m'emmena au poste, on me fit boire un cordial et je dormis sur le lit de camp.

      Pendant que Robert parlait, Léonie buvait ses paroles. Sous la fixité de ce regard, il éprouva comme un malaise et s'interrompit un moment.

      – Continuez, continuez, dit-elle.

      – Le lendemain, le commissaire, en me congédiant, m'offrit quelques pièces de monnaie. Je refusai, naturellement. Du travail, pas l'aumône. Je le lui dis, je contai mes recherches inutiles; j'ajoutai que j'avais, au lycée Henri IV, un camarade d'enfance, le fils de mon père adoptif; on saurait par lui si j'étais un vagabond. Le commissaire fit une enquête et le résultat fut, séance tenante, une place chez un de ses amis, M. Duparc. Depuis, je travaille toute la semaine; le dimanche, je vais voir Gaston et, les soirs, je me rends chez M. Willmann, où je joue les airs préférés de ma sœur Blanche.

      Ce récit, fait avec beaucoup de simplicité, sans ombre de rancune contre le sort, sans une allusion à celle qui l'écoutait, remuait étrangement Léonie. Quand il eut fini de parler, elle dit d'un ton bref:

      – Cette existence ne saurait durer. Vous allez venir chez moi.

      – Chez vous, madame?.. Je vous remercie.

      – Vous n'avez pas à me remercier. Je n'aurais pas dû, lorsque vous franchissiez mon seuil, vous le laisser repasser.

      – Je m'explique mal, sans doute, madame. Votre proposition me touche, mais je ne l'accepte pas.

      – Pourquoi?

      Il hésita un instant. Il avait tant de choses à répondre, de si grosses tempêtes au cœur, de si graves questions aux lèvres! Que signifiait cette comédie? A quoi tendait une hospitalité si cruellement refusée hier, si bizarrement offerte aujourd'hui? A quel titre, enfin, ce brusque intérêt, après les marques indéniables d'une haine vieille de dix-neuf ans? Il conserva son sang-froid et dit:

      – Je désire ne point aliéner mon indépendance.

      – Vous la garderez tout entière. Je serai votre amie, rien de plus, une amie dévouée, qui vous aidera de toutes ses forces, à réaliser vos rêves de gloire.

      – Tant de générosité me flatte; mais j'entends faire mon chemin seul, en ne demandant l'aide que de Dieu.

      – Soyez franc, s'écria Léonie, s'il s'agissait de Willmann, non de moi, vous accepteriez. Et, lui saisissant les mains, rapprochant son visage du visage de Robert, elle ajouta, connue dans un transport de passion blessée: Avoue-le, tu refuses parce que c'est moi. Je te devine, tu me hais. Tu me hais de t'avoir abandonné aux Benoît, de ne t'avoir pas ouvert les bras devant madame Laffont. Et ce qu'il y a de terrible là-dedans, c'est que tu as raison de me haïr. J'ai été mauvaise, sans entrailles, implacable. Aussi, j'avais perdu la tête, c'est mon excuse. Je ne savais pas ce que je faisais. Et je ne te connaissais pas. A présent, je te connais. Tu es le fantôme de mes veilles, ma conscience, plus que cela: mon cœur, puisque, à force de te redouter, je me suis mise à t'aimer. Oui, de cette tendresse irraisonnée, instinctive, qu'on a pour l'œuvre de sa chair, parfois, hélas! – comme représailles divines – pour l'œuvre de ses cruautés. Si tu veux te venger de moi, persiste à me repousser. Le remords me tue, aide-le.

      Une sorte d'effroi s'était emparé de Robert.

      – Que m'êtes-vous donc, madame, pour me tenir un pareil langage?

      – Moi?.. Je suis…

      Elle s'arrêta, épouvantée de ce qu'elle allait dire, et, d'une voix où toutes ses terreurs suppliaient:

      – Oh! ne me le demande jamais, jamais! J'ai tant besoin de ton pardon, je te suis la cause de tant de maux!

      – Mon Dieu! bégaya Robert qu'affolait une pensée soudaine; seriez-vous ma mère?

      Elle poussa un cri. Sa mère! Brusquement elle roula sur le sol, comme une masse sans connaissance.

      III

      Le surlendemain Willmann vint prendre Robert au saut du lit.

      – Enlevée, la permission, à la pointe de la baïonnette! En route.

      – Quelle chance, mon ami! Vous avez obtenu?..

      – Bah! il n'y fallait même pas de baïonnette. Le hasard a de ces bouffonneries. Le proviseur me connaît, moi qui me figurais n'être connu de personne. Il est vrai que la montagne Sainte-Geneviève est un des pics de la bohème et la bohème mon royaume de ce monde…

      – Ainsi, Gaston?..

      – M'est confié pour toute la journée. Je le fais sortir, te le passe et me sauve, car j'ai deux ou trois rendez-vous, ce matin.

      Ils prirent d'un pas allègre le chemin du lycée Henri IV. Sa nouvelle existence cloîtrée pesait fort au jeune Laffont. A dix-huit ans, troquer son indépendance, la liberté des vastes champs contre l'étouffement des murs, c'est un rude coup. Gaston souffrait d'autant plus que, profondément atteint par la mort de son père et résolu de devenir le soutien de sa mère et de sa sœur, il lui fallait regagner tout un arriéré de paresse. Aussi s'absorbait-il dans le travail, ce qui doublait l'ennui de la prison d'une sorte d'isolement au milieu de ses camarades. Ceux-ci, mis en verve de malice par sa simplicité, ses candeurs de rural, le tourmentaient à plaisir. Il laissait faire, avec des rages intérieures. Ses seules joies étaient les visites de Robert. Tous deux retrouvaient alors un peu de leur bonheur ancien, se contaient leurs déboires, se consolaient l'un l'autre, et, réconfortés par l'amitié, revoyaient les jours déjà lointains de la Riveraine, les travaux communs sous l'œil vigilant du père, les courses vagabondes au bord du Rhône, et les grâces de la petite sœur restée dans le nid d'où ils étaient tombés.

      Ce dimanche-là, ce ne fut pas une médiocre surprise pour Laffont d'être dehors, au СКАЧАТЬ