Yvonne. Delpit Édouard
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Название: Yvonne

Автор: Delpit Édouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ lendemain, Léonie retrouva ses forces de mondaine pour jeter le dernier coup d'œil aux préparatifs, distribuer ses grâces, remercier tous ceux qui répondaient à son appel. On la félicitait: charmant, exquis… saynète délicieuse… programme di primo cartello… sans compter l'imprévu, le clou de Willmann. D'où venait-il, celui-là? quelle était sa spécialité? Elle souriait, n'en sachant rien elle-même, goûtant la joie du triomphe, fière de la belle recette à verser entre les mains de sa présidente. Tout à son bavardage, elle ne remarqua point l'entrée de l'artiste amené par Willmann. Les premiers accords lui firent tourner la tête. Elle réprima un cri et resta sans souffle. Robert! Robert, dont le jeu pathétique, tombant comme du ciel sur l'auditoire, le charmait, l'électrisait, le bouleversait jusqu'aux entrailles. Il y avait, dans l'assistance, vingt personnes: la duchesse de Serples, la chanoinesse de Guderille, madame de Lunney, combien d'autres! capables de mettre un nom sur ce visage. On allait l'interroger, s'enquérir de sa vie, elle le voyait la montrant du doigt, elle l'entendait répondre: «Cette femme vous renseignera.» Elle voulait fuir et demeurait immobile, prise par la fatalité qui s'appesantissait sur ses épaules, la condamnait à subir, dans des transes d'une curiosité poignante, la catastrophe prévue depuis deux mois. Elle ne pouvait se rassasier: là, devant elle, Robert! Cette tête qui se transfigurait, vivant la pensée éblouissante du maître, qui la hantait ces derniers temps, non souriante comme à présent, mais terrible comme un de ses plus terribles souvenirs, elle n'avait pas plus la force de s'en détourner que le corps de l'abîme où le vertige attire.

      Les applaudissements éclatèrent.

      – Un amour, votre artiste, lui cria la vicomtesse de Lerdre, mariée de la veille, à dix-huit ans, et trouvant déjà tous les hommes «des amours».

      L'astre nouveau, levé au firmament de l'art, eut une ovation enthousiaste. Il était si jeune, si beau, si plein des tempêtes intérieures où se révèle le génie! On l'entourait et l'accablait d'éloges, de questions; il répondit avec beaucoup de simplicité, d'un ton un peu farouche, mais exempt de gêne ou d'orgueil.

      – Enfin, d'où le tient-on, ce prodige? insista la petite de Lerdre; on le dit orphelin, est-ce vrai?

      – Oui, répliqua madame de Lunney, Willmann l'assure et prétend que depuis la mort de son père il travaille pour vivre. Qu'était le père?

      La vieille duchesse intervint:

      – Il a, ce jeune homme, une beauté remarquable. Elle me rappelle les Kercoëth.

      – Miséricorde! Dieu le préserve d'autres points de ressemblance avec les Kercoëth! dit la chanoinesse de Guderille.

      – C'étaient de belles âmes, prononça la duchesse.

      Léonie était plus blanche que ses dentelles. Willmann lui conduisit Robert.

      – Avais-je raison? Et, présentant l'artiste: monsieur Robert.

      Robert s'inclina comme s'il la voyait pour la première fois. Elle essaya de le complimenter, les paroles s'arrêtèrent dans sa gorge.

      – Vous êtes souffrante? interrogea Willmann.

      – La chaleur…

      Le violoncelliste lui offrit le bras pour la mener hors de la foule, tandis que la duchesse de Serples retenait Robert et disait:

      – J'ai eu bien bien du plaisir à vous entendre, monsieur, j'en ai plus encore à vous regarder: vous éveillez en moi de si vieux souvenirs!

      L'air frais du dehors remit madame de Randières. Elle s'accrochait, toujours vacillante, au bras de Willmann, mais des roses commençaient à lui monter aux joues. Elle se dégagea de ses songeries et, d'une voix brève:

      – Comment le connaissez-vous?

      – Ah! par ma foi, d'une façon originale et que je crois inédite: par l'intermédiaire d'un escalier.

      – Je parle sérieusement.

      – Et moi donc! Voici l'histoire. Elle date, au plus, de huit jours. Deux fois par semaine, je fais de la musique chez un commerçant dont l'héritière – des millions, s'il vous plaît – a d'étonnantes prétentions artistiques. On ne se figure point comme les bourgeois…

      – Vite, vite, Willmann.

      – Après le dîner, la respectable tribu, composée du père, de la mère et de la fille, passe au salon. Le père s'endort au coin de la cheminée à droite, la mère au coin de la cheminée à gauche…

      – Willmann, vous êtes insupportable.

      – Aussi ce que j'ai de peine à me supporter!.. Les patriarches endormis, nous mettons, la fille et moi, Chopin en pièces. La légende d'Orphée n'est pas un mythe. Par bonheur pour l'auditoire, il n'y en a pas. On pourrait, à la rigueur, en avoir un, dans la personne des commis de M. Duparc – il s'appelle Duparc, mon commerçant – mais je les soupçonne et les félicite, ces jeunes gens, de préférer leur lit. Ils grimpent aux mansardes, dans la maison, pendant que nous nous livrons à notre vacarme.

      – Je ne vois pas…

      – Vous allez voir, chère madame. Depuis deux mois, je remarquais, chaque fois que je m'en allais, une ombre accroupie sur les marches de l'escalier.

      – Ah! ah!

      – C'est ce que je me dis. Cela me parut bizarre. Il y a huit jours, je saisis mon ombre au collet et lui demande ce qu'elle fait là. L'ombre me répond qu'elle écoute. Comme c'était son droit, je n'aurais pas poussé l'interrogatoire plus loin, si elle n'eût ajouté: «Le piano est atroce, mais le violoncelle bien remarquable.» Je fus flatté, parce que, moi, la vérité, d'où qu'elle vienne, même dans une cage d'escalier… Je voulus quelques éclaircissements: «Vous êtes musicien? – Un peu.» – La conversation liée, j'apprends que j'avais affaire à un commis de Duparc. Je l'emmène chez moi pour voir ce dont il était capable. Ah! bon Dieu! il n'était pas plutôt assis devant le clavier que je prenais sa mesure. Un amant retrouvant sa maîtresse. Quelle poigne, quelle âme! «Toi, mon petit, lui dis-je, tu iras loin. Je m'en charge.»

      – Il ne vous a rien dit de son arrivée à Paris?

      – Pas un mot. Pourquoi?

      Au lieu de répondre, Léonie donna l'ordre à un domestique d'aller chercher Robert de la part de Willmann.

      – Il faut que je lui parle. Laissez-nous seuls quand il viendra.

      Willmann eut l'air surpris de ce besoin de tête-à-tête. Robert approchait, il courut à sa rencontre et, tout haut:

      – Madame la baronne désire causer avec toi. Dans un souffle, il ajouta: Prends garde, mais tâche de la séduire.

      La séduire! Robert y était bien disposé, quand sa présence lui gâtait tout le plaisir de la soirée! Elle s'avança la main tendue, un peu vibrante:

      – Vous ne m'avez pas reconnue, tout à l'heure?

      – Je vous ai reconnue, madame; mais j'imaginais que je ne devais point le témoigner.

      – Parce que vous me gardez rancune?

      – Parce que je ne tiens pas à vous être désagréable.

      Cet excès de délicatesse la toucha.

      – Comme СКАЧАТЬ