Yvonne. Delpit Édouard
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Название: Yvonne

Автор: Delpit Édouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ reprit la veuve impassible. C'est le seul point qu'il ne lui ait pas été donné d'éclaircir. Mais il connaissait le subterfuge au moyen duquel on a fourni à Robert un état civil qui n'est pas le sien.

      – Passons, passons. Que désirez-vous?

      – Il l'a donc recueilli, instruit, élevé avec notre fils. Par malheur, il est mort. Mes modestes ressources ne me permettent pas de faire profiter un étranger du patrimoine de mes enfants. J'ai voulu, néanmoins, remplir jusqu'au bout mon devoir envers lui. C'est à vous que je devais le ramener, je vous le laisse. Et, s'adressant au jeune homme, immobile en son coin: Adieu, Robert, dit-elle.

      Après sept ans d'existence commune, Robert s'était attaché à madame Laffont, la femme de son bienfaiteur, la mère de Blanche et de Gaston. Malgré l'antipathie jamais dissimulée, il comptait du moins sur une étreinte affectueuse, un mot de revoir, et, non contente de le bannir du foyer familial, elle le quittait presque en ennemie. C'était lui déchirer deux fois le cœur, comme si se brisait le dernier lien par où il tînt encore à la Riveraine. Rien du cher passé ne subsisterait plus derrière elle.

      – Je vous en prie, supplia-t-il, ne m'abandonnez pas tout de suite.

      Elle fit un petit signe de la tête, répéta tranquillement: «Adieu!» salua madame de Randières en vieille connaissance et sortit.

      Pour la première fois, Robert eut une révolte. La conduite de madame Laffont l'ulcérait; l'attitude de l'inconnue, le mystère qui planait entre eux le martyrisaient. Évidemment cette femme lui tenait de près, puisqu'elle disposait de sa vie quand il était enfant. Au sort qu'elle lui faisait à cette époque, il pouvait calculer son degré d'affection. C'était en de pareilles mains qu'on le remettait. Peut-être le croyait-elle complice d'une démarche où saignaient toutes ses fiertés. Il éprouva le besoin de protester, de s'affranchir par avance d'une tutelle dont il ne voulait à aucun prix.

      – Madame, s'écria-t-il, si l'on m'avait averti, je ne serais point devant vous. Pouvais-je prévoir qu'on m'allait jeter à votre tête, comme vous m'avez jeté dans un coin, jadis?

      Léonie sortait de sa stupeur. Oh! ces yeux, cette voix!

      – Je m'en vais donc, continua Robert. Mais, avant de sortir, je veux savoir qui je suis.

      Comme elle frissonnait, il reprit:

      – Oh! ne craignez rien. Je n'ai ni le moyen ni le désir de m'imposer. Je souhaite d'être fixé, pour pleurer mes parents s'ils sont morts, pour les plaindre s'ils sont vivants. Voilà tout.

      Madame de Randières était en proie à un trouble excessif. Elle hésitait, le visage livide, les lèvres mordues jusqu'au sang, afin de les contraindre au silence. Surtout le regard de Robert – ce regard qu'elle essayait de fuir – l'attirait.

      – Il m'est défendu de vous répondre, dit-elle.

      – Je n'insiste pas.

      Il s'inclina, prêt à sortir. Une question l'arrêta:

      – Connaissez-vous quelqu'un à Paris?

      – Personne.

      – Et vous vous en allez seul, au hasard? Avez-vous des ressources?

      Avec un geste d'insouciance, un vaillant sourire éclairant sa figure, il répondit:

      – La Providence, madame.

      Il n'est guère d'ennemis avec lesquels on ne puisse transiger. La conscience est parmi les intraitables. Celle de Léonie alla bon train sur la route des flagellations. La misérable qu'elle était! Oh! l'épouvantable histoire, impossible à rayer de sa vie! Si, du moins, elle avait le courage de réparer! Non, de la peur, une lâcheté nouvelle. Le monde, son passé d'extérieur irréprochable, les sinistres conséquences d'une heure de fièvre où d'autres que Robert expiaient l'amour trahi… comment faire pour que cela ne se dressât point devant elle, glaçant sa volonté? Certes, elle aurait pu tendre la main à Robert, lui dire… Eh! que dire, sans se condamner! Parti, elle le revoyait, avec l'implacable fixité du remords, elle revoyait ces yeux où brillait l'éclair d'autres yeux, elle entendait cette voix pareille à une autre voix. L'obsession la suivit partout, ressuscitant sous ses pas le fantôme des jours disparus. Il était près d'elle, au Bois, dans sa voiture; près d'elle, au théâtre, dans sa loge; près d'elle, à chaque heure du jour et de la nuit. Cette ressemblance frappante qui la pétrifiait, tout le monde ne l'allait-il pas remarquer? On mettrait vite un nom sur ces traits. Elle se figurait Robert rencontré, interrogé, reconnu… Le hasard a de ces fatalités. Robert invoquait la Providence; la Providence n'avait qu'une manière de le protéger: en la châtiant. D'ailleurs, ce serait justice.

      Et précisément parce que ç'eût été justice, Léonie tremblait. Elle eut une série de jours mortels. Madame Laffont demeurait invisible, Robert ne reparaissait point. Qu'était-il devenu? Peut-être mourait-il de faim! S'il revenait, elle serait bonne, se l'attacherait, le conduirait à l'étranger pour finir son éducation – et le dépayser. Elle s'occupait de lui avec une sorte de passion. Afin de s'étourdir, elle se lança dans des œuvres de charité. Autrefois, elle se fût lancée ailleurs. Cette volte-face méritoire était le résultat moins des lettres du contre-amiral que de la brusque alerte qui secouait sa vie. Au demeurant, une recrue précieuse, vaguement imprégnée encore des parfums de Satan. On l'accueillit à bras ouverts et, séance tenante, on la chargea d'organiser une fête de bienfaisance dont les apprêts lui valurent une jolie provision de migraines. Elle se donna un mal infini, lança ses amis à travers les coulisses, cueillit leurs étoiles, pâlit sur le programme et, quand elle crut les choses faites, se heurta de toutes parts à d'inextricables difficultés: amours-propres en souffrance, rhumes sur commande, veto de directeurs. Elle ne savait à quel diable se vouer. Un matin, elle sonna:

      – Qu'on aille me chercher Willmann.

      C'était un vieux professeur de violoncelle, avec qui de temps à autre elle faisait de la musique de chambre. Beaucoup de talent, mais si entêté aux chemins de la bohème qu'il s'était fermé les autres. Aussi disait-il: «La misère est une parricide: je l'engendre, elle me dévore.» Il connaissait tout Paris et, seul, pouvait tirer madame de Randières d'embarras. Elle le mit au courant de ses ennuis: ils surgissaient justement la veille de la solennité. Pas moyen de retarder. Comment faire? S'il ne la sauvait point, elle ne le reverrait de sa vie.

      – Voilà bien la justice des femmes, grommela Willmann. Enfin!.. Tenez-vous spécialement à une cantatrice?

      – Oui, puisque le numéro du programme…

      – Pauvre raison, chère madame. Où serait la part de l'imprévu? A la place de la demoiselle, je vous offre un monsieur…

      – Célèbre?

      – Du tout. C'est ce qui fait son mérite.

      Willmann avait aux yeux des pointes de malice. Ses doigts tambourinaient sur les bras du fauteuil quelque marche guerrière. Il haussa les épais sourcils blancs où s'embroussaillait son regard – sa manière de hausser les épaules – Célèbre! Est-ce qu'on est célèbre quand on a le droit de l'être?

      – Voulez-vous d'une merveille, chère madame?

      – Si j'en veux!

      – Alors laissez-moi faire. La bride sur le cou. Je ne puis cependant pas m'engager avant d'avoir vu…

      Elle l'interrompit:

      – Mais СКАЧАТЬ