Название: Madame Putiphar, vol 1 e 2
Автор: Petrus Borel
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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On ne la retrouva, glacée et mourante, sur ce parquet, qu’après de longues recherches dans tout le château. Ses blessures s’étoient rouvertes; son mal se compliqua dangereusement, et sa guérison devint plus languissante encore.
La disparition de Patrick Fitz-Whyte et les traces de sang trouvées dans le sentier de Killarney firent penser sans aucun doute qu’il avoit été assassiné. Cet événement répandit l’effroi aux alentours de Cockermouth-Castle. Quel pouvoit être l’auteur de ce meurtre? Les paysans n’ignoroient pas les rapports de leur frère avec la fille de leur seigneur; et leur bon gros jugement leur ayant toujours fait pressentir une fin malheureuse à cette liaison, ils savoient parfaitement à quoi s’en tenir dans le secret de leur cœur: un seul homme avoit pu avoir quelque intérêt d’assassiner Patrick; mais ils n’osoient qu’en frémissant murmurer le nom exécré de cet homme.
La scène du banquet fut promptement divulguée: la plupart des gentilshommes qui s’y étoient trouvés professoient pour lord Cockermouth non moins de mépris et de haine que les paysans; mais, comme rien ne leur commandoit la même circonspection, le bruit se répandit bientôt que, le comte, ayant surpris Patrick et Déborah en un rendez-vous d’amour, avoit tué celui-ci et blessé dangereusement celle-là; et qu’à la face de l’assemblée, dans un accès de colère, il avoit, au retour de son embuscade, dégaîné son épée encore tachée de sang. Ce récit confirma les paysans dans leur opinion, et les enhardit à parler.
Un ancien usage des Celtes s’est conservé jusqu’à ce jour dans les campagnes d’Irlande, comme dans celles d’Espagne: chaque personne qui passe près d’un lieu où quelqu’un a été tué ou enterré, ramasse une pierre, et la jette religieusement à cette place: petit à petit, cet amas de cailloux forme un tertre élevé qui, souvent, à la longue, finit par se couvrir de terre et de végétations, et ne plus sembler qu’un monticule naturel. Il n’est pas rare, même en France, de rencontrer, surtout dans les provinces armoricaines, de ces témoins de la piété de nos pères. Les savants les classent parmi les monuments gaulois, keltiques ou druidiques; et bien qu’en les fouillant on y ait souvent retrouvé des débris d’ossements humains, ces messieurs s’accordent fort mal entre eux sur l’origine de ces tumulus.
On voit encore aujourd’hui, dans ce sentier de Killarney, le monceau de pierres jetées au lieu trempé du sang de Déborah; et on le nomme encore la tombe de Mac-Phadruig, ou la tombe de l’amant.
Les clameurs qui s’élevèrent alors contre lord Cockermouth devinrent si générales et si directes, qu’il crut ne pouvoir sans danger les supporter plus long-temps, et qu’il falloit par n’importe quel moyen qu’il se lavât et se blanchît solemnellement aux yeux du public du crime atroce qu’on lui imputoit. On poussoit l’animosité jusques à l’accuser d’avoir empoisonné lady, et il ne pouvoit plus se montrer hors du château sans essuyer les huées des enfants, qui lui crioient, sans miséricorde: Mylord Caïn, qu’as-tu fait de Patrick?
Par des pratiques insidieuses, ayant arraché à Déborah le secret de l’existence et de la retraite de Fitz-Whyte, il déposa contre lui entre les mains de la Justice, le dénonçant et poursuivant comme assassin de sa fille.
La cause devant être jugée aux sessions qui alloient s’ouvrir à Tralée, dans les premiers jours de mars, il y entraîna la pauvre Debby, à peine convalescente.
Et justement ils arrivèrent à Tralée le jour de l’entrée des juges venus pour la tenue des Assises.
La besogne qui attendoit ces magistrats étoit assez honnête: sans compter la cause de Patrick, ils avoient à dépêcher une sixaine d’homicides, et une bonne douzaine de voleurs: ces formidables meurtriers irlandois n’étoient autres, les malheureux, que de bons paysans papistes qui avoient eu la monstruosité de se revancher sous les bastonades de leurs tenanciers anglois, et ces insignes larrons, que d’infortunées familles, plongées dans la misère par les dernières confiscations, qui, poussées par la faim et le froid, avoient dérobé quelques paniers de tourbe et quelques boisseaux de patates.
Déborah se trouvoit avec son père au balcon de l’hôtellerie, lorsque passèrent, se rendant à la Cour, les deux juges —justices– master Templeton et master Gunnerspoole, en grand et coquet costume de satin blanc à falbalas couleur de rose, et perruques colossales saupoudrées à blanc. Leur cortège se composoit du maire, des officiers municipaux, et de laquais en livrée blanche, portant de gros bouquets à leur boutonnière. Il ne manquoit plus qu’un tambourin et un galoubet pour achever de donner un air grivois à cette mascarade.
Toute la ville, l’œil caressant, le sourire sur les lèvres, étoit en mouvement comme par un jour de fête, et les rues, endimanchées, étoient pleines d’élégantes blanches, de bourgeois bleus et de soldats rouges.
La durée des sessions dans les petites villes, par le grand concours que les affaires civiles et criminelles occasionent, est un temps de foire et de réjouissance.
Lorsque les deux juges apperçurent à la croisée le comte Cockermouth, ils lui firent une gracieuse salutation. Pour se ménager leur prévarication, il étoit allé, dès leur arrivée, les visiter et leur faire sa cour assidûment. Une sympathie d’ivrognerie et de gloutonnerie avoit aussitôt établi entre eux une espèce de compagnonage; et presque chaque soir ils soupoient ensemble et plantureusement.
La coquetterie et l’air jovial de ces magistrats frappèrent d’étonnement Déborah, qui pour la première fois voyoit des juges: elle ne pouvoit se figurer que ce fussent là des pourvoyeurs de la mort. M. Templeton et Gunnerspoole étoient fleuris, replets, obèses, patus et râblus. Il faut, se disoit-elle, que ces messieurs aient une bien parfaite estime de leur infaillibilité, car assurément ni appréhension, ni regrets, ni remords ne les rongent. La gaîté du peuple, engendrée par la seule présence d’hommes venus pour le décimer, ne surprenoit pas moins péniblement Déborah. La foule veut des spectacles; tout ce qui fait spectacle lui est bon: prêtres, soldats, bateleurs, juges, rois et bourreaux.
La seconde cause appelée par la cour fut celle de Patrick. – Lord comte Cockermouth l’accusoit d’avoir séduit sa fille, de l’avoir engagée à s’enfuir avec lui, munie de ses bijoux et de ses pierreries, de l’avoir assassinée au rendez-vous fixé pour le départ, et de s’être enfui en France chargé de ses dépouilles pour échapper au glaive de la Justice.
Les faux témoins, achetés avec profusion, ne manquèrent point à leur devoir; ils mirent en vérité une conscience scrupuleuse à mériter leur salaire.
Deux faits évidents venoient fatalement à l’appui de ces accusations; la disparition des bijoux et des diamants de Déborah, et le billet renfermé dans le coffret d’acier déterré par Chris, que Cockermouth déclara avoir trouvé dans l’appartement de sa fille. Il ne contenoit que peu de mots, mais si accablants!
«Encore quelques heures, et nous n’appartiendrons plus qu’à Dieu: nous serons libres!
»A demain, my dear Déborah, comme il est convenu, quoi qu’il arrive, à neuf heures précises au pied de la terrasse dans le sentier creux de Killarney; venez sans crainte, votre Patrick y sera.
»N’oubliez pas, dans le trouble du départ, ce que vous possédez de précieux; pour vous j’ai horreur du besoin.»
Placée dans la plus douloureuse СКАЧАТЬ