" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ prologues de Bruscambille et le théâtre imprimé entre 1609 et 1615 : échantillon d’observation

      Comment se présente le théâtre imprimé dans le premier tiers du XVIIᵉ siècle et les recueils de Bruscambille correspondent-ils à ce modèle de publication ? Pour répondre à cette question, nous adopterons une optique comparative que nous bornerons de deux manières : géographiquement, en ne nous préoccupant que du domaine français, et temporellement, en nous focalisant sur une période très brève, 1609-1615. Cet empan chronologique restreint a donc valeur d’observatoire pour un cas spécifique. Il permettra de proposer une photographie précise des années correspondant à la parution des nouveautés de Bruscambille1. Malgré un contexte d’expansion généralisée de l’imprimé, l’essor du théâtre dans ce domaine est encore très relatif et ne se développera réellement que dans les années 1630, ce qui explique le caractère modeste des chiffres sur lesquels nous allons nous appuyer2.

      Le « Répertoire du théâtre imprimé au XVIIᵉ siècle3 », base de données réalisée par Alain Riffaud, permet de lister les pièces imprimées entre 1609 et 1615, dates entre lesquelles nous comptons seulement 68 notices (dont 45 nouveautés), ce qui est peu à l’échelle de la France et pour une période de six ans. À l’inverse, nous dénombrons dans les mêmes conditions 16 éditions des discours de Bruscambille, ce qui est considérable pour un seul et même auteur4. À première vue, les publications du farceur et le théâtre imprimé se présentent de manière analogue puisque l’on a dans les deux cas exclusivement des petits formats (principalement in-12 et in-8°), conformément à la tendance générale de l’imprimé à cette époque5. Ces deux types de production doivent être peu coûteux, maniables et accessibles au plus grand nombre. Parmi les comédies répertoriées, nous rencontrons encore beaucoup d’ouvrages où le texte apparaît de façon continue, la présentation typographique dramatique n’étant pas encore unifiée. Nombre de ces pièces sont presque dépourvues de blancs typographiques, seules les initiales des personnages placées en début de ligne permettent de distinguer les tours de paroles. En fonction, notamment, des exigences d’économie de papier, les lecteurs sont confrontés à des pages denses aux marges généralement serrées parce qu’elles ont été rognées, des pages similaires à celles qu’ils rencontrent en abordant les ouvrages de Bruscambille. Cet effet visuel est particulièrement flagrant lorsque l’on compare ces discours avec les prologues d’autres pièces, qui sont en majorité des monologues. Seule la disposition diffère alors, en raison de l’opposition formelle entre la prose maniée par le farceur et les vers adoptés par la plupart des prologues dramatiques.

      À la charnière de ce qui rapproche et éloigne les ouvrages de Bruscambille et le théâtre imprimé se trouvent les paratextes de ces livres que nous pouvons classer en deux types. D’un côté se situent les paratextes non spécifiques au théâtre, présents dans les deux sortes d’ouvrages : pages de titre, dédicaces, avis aux lecteurs et poèmes d’hommage sont autant d’éléments qui interviennent dans la présentation ou la légitimation des textes concernés. De l’autre côté, nous observons des paratextes spécifiques à ces imprimés dramatiques. La liste des personnages, parfois nommée liste des « acteurs » ou des « entreparleurs », est le type le plus fréquent de ces paratextes spécifiques, présent dans la quasi-totalité des pièces répertoriées. L’argument, qui appartient également à cet ensemble liminaire dramatique, est encore très courant au début du siècle (présent dans 32 notices de notre échantillon). Ces pièces imprimées comportent très peu d’épilogues (seulement 3 notices), tandis que les prologues sont plutôt en vogue quand bien même ces introductions redoublent l’argument (19 notices). Ces prologues imprimés précédant des pièces particulières sont bien différents, du point de vue du contenu, de ceux publiés sous le nom de Bruscambille. En effet, ils sont le plus souvent allégoriques pour les tragédies ou les pièces sérieuses (un personnage symbolique prononce un discours général contenant parfois une présentation des personnages ou une esquisse de l’intrigue6) ; ou bien, pour des comédies comme celles de Pierre de Larivey, ils se rapprochent de ceux du farceur mais cherchent surtout à faire valoir la pièce qui va suivre et parfois son auteur7. Dans les éditions des discours de Bruscambille, la forme même du prologue entraîne une disparition de ces paratextes spécifiques au théâtre : pas de liste de personnages puisqu’il s’agit de monologues, pas d’argument puisqu’il s’agit de brefs discours probablement destinés à faire patienter les spectateurs (certains discours n’ont d’ailleurs pas de trame et les propos se présentent comme volontairement embrouillés)8. Peut-être en signe de leur succès, certains recueils de Bruscambille bénéficient d’un frontispice gravé, ce qui les distingue encore un peu plus des comédies imprimées à la même période puisque ces pages de titres illustrées sont rares avant 1630 dans les livres dramatiques. En effet, ces ornements sont réservés à quelques cas exceptionnels9 ou utilisés chez des éditeurs ayant choisi de développer l’illustration. C’est par exemple le cas d’Abraham Couturier à Rouen, un marchand libraire qui fait paraître des pièces religieuses avec des gravures sur bois, les images ayant alors avant tout une fonction d’édification10.

      Cette brève description comparative fait principalement apparaître des dissemblances d’un point de vue matériel entre les recueils de Bruscambille et les livres dramatiques parus au cours de la même période. Au-delà de la similitude des formats, qui n’est guère distinctive, ces ouvrages se différencient par leurs présentations typographiques et leurs paratextes (y compris les frontispices), et pas uniquement en raison de l’opposition entre vers et prose. Reste à observer si les réseaux de diffusion de ces différents ouvrages les dissocient également ou non.

      Essai de cartographie : diffusion des recueils de Bruscambille et du théâtre imprimé

      La comparaison matérielle entre les recueils du comédien Jean Gracieux et les pièces de théâtre imprimées à la même période en France doit être complétée par la prise en compte de leurs réseaux de diffusion respectifs. Ces réseaux sont repérables, à un premier niveau, à travers les villes d’édition. Les lieux de publication du théâtre imprimé en France entre 1609 et 1615 peuvent être rendus par le graphique suivant1 :

      Ce schéma met en valeur la ville de Rouen qui se positionne devant la capitale et apparaît comme une plaque tournante pour l’imprimerie du théâtre en France au début du XVIIᵉ siècle, ce qui corrobore les analyses réalisées par Jean-Dominique Mellot2. Les pièces imprimées s’écoulent dans une région qui constitue une sorte de terroir dramatique, un espace où les pratiques comiques sont intenses et variées puisqu’elles se déploient à la fois dans les collèges et dans la ville. Les recueils de Bruscambille ne sont pas en reste dans cette cité normande puisque l’on compte, dans les années en question, autant d’éditions rouennaises que d’éditions parisiennes. Ainsi, les lieux d’édition du théâtre et des productions du farceur se recouvrent mais ils correspondent aussi aux principaux centres de diffusion de cette période.

      L’observation de ces réseaux à l’échelle humaine invite toutefois à nuancer ces convergences éditoriales. Au niveau des marchands libraires qui produisent et commercialisent ces ouvrages, l’échantillon observé ne fait pas apparaître de monopole d’un ou plusieurs éditeurs pour le théâtre imprimé. Ce marché, comme le note Alain Riffaud, ne connaît pas encore la concentration qui sera la sienne à partir de 16353. Nous décomptons ainsi 43 marchands libraires différents pour les titres répertoriés comme du théâtre imprimé pour les années 1609-1615. Malgré cette dispersion, certains marchands rouennais se détachent comme particulièrement actifs dans le domaine de l’édition théâtrale avec à leur tête Raphaël du Petit Val, libraire et imprimeur ordinaire du Roi depuis 1596, chez qui l’on dénombre 16 titres et, derrière lui, Abraham Cousturier avec 6 titres parus aux mêmes dates. Ces noms ne figurent pas parmi les éditeurs de Bruscambille qui sont de leur СКАЧАТЬ