" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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      Nul doute que la commémoration de ce spectacle ne procurât au duc de Mercœur la satisfaction de se voir représenter en seigneur magnifique dispensateur de divertissements raffinés comme l’avaient été les Médicis et les Valois, et ce en dépit de la révocation récente de son poste de gouverneur de Bretagne par Henri IV. Or, la magnificence du prince renvoyant au poète, comme dans un miroir, une image magnifiée de son art, la représentation exceptionnellement fastueuse de L’Arimène sert aussi les ambitions d’un auteur engagé dans la publication de l’ensemble de son œuvre6.

      En plus de traduire la magnificence du spectacle et de contribuer à la réputation de son commanditaire et de ses inventeurs, la publication du texte dramatique d’une fête théâtrale peut aussi se substituer, de façon métonymique, à une relation détaillée de l’ensemble des activités associées à la célébration d’un événement politique. Comme je l’ai montré dans La Fête imprimée7, c’est le cas, par exemple, du livre qui commémore les fêtes données en l’honneur du mariage du duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine en octobre 1581.

      Parmi les nombreux tournois, bals et banquets donnés à cette occasion, auxquels avaient pourtant contribué les plus grands artistes de l’époque, seul le ballet de Circé donné par la reine Louise a été imprimé, assurant la gloire à son inventeur, Balthazar de Beaujoyeux. Ce spectacle, où le chant, la déclamation, la danse, les chars et les machines concourent à éblouir la cour, était pour la première fois structuré de manière à représenter une intrigue suivie. Les vers chantés et déclamés représentent une action simple qui consiste à engager le roi de France, aux côtés de la reine et de nymphes qui se révoltent contre la tyrannie de Circé, à vaincre les charmes de la magicienne grâce au soutien de Pan, des quatre Vertus Cardinales, de Minerve et de Jupiter.

      En plus de se prêter à plusieurs interprétations allégoriques célébrant le pouvoir universel et pacificateur d’Henri III, le poème dramatique est farci d’éloges directs aux souverains. Dès le début du spectacle, par exemple, un gentilhomme qui a réussi à s’échapper de l’emprise de Circé et qui accourt auprès du roi pour implorer son soutien, ne manque pas de rappeler à Henri III la récompense que la postérité réserve aux héros :

      Ne veux-tu pas grand Roy tant de dieux secourir ?

      Tu le feras, HENRY, plus valeureux qu’Alcide

      Ou celui qui tua la chimère homicide :

      Et pour tant de mortelz et dieux que tireras

      Des liens de la Fee, immortel te feras

      Et la postérité qui te feras des temples,

      De verdissant laurier couronnera tes temples.

      Plus loin, un chœur de sirènes renchérit en rappelant que

      Jupiter n’est seul aux cieux,

      La mer loge mille Dieux :

      Un Roy seul en France habite,

      HENRY, grand Roy des François,

      En peuple, en justice, en loix

      Rien aux autres dieux ne quitte.

      Autre qualité du poème dramatique de Nicolas Filleul, les répliques sont émaillées de ces sentences qui font le prix des tragédies de l’époque, et que des guillemets distinguent dans les marges du livre :

      Il fasche d’estre serf, mais cette servitude

      Qu’on rend a un indigne est plus vile et plus rude.

      Souvent l’opinion, que le vulgaire bruit,

      Seme un brave renom ou du tout le détruit.

      Les actes violents d’une chaude jeunesse

      Ne sont point estimez pour vertus ni prouesse ;

      C’est du temps advenir l’espoir verd qui fleurit,

      Et fletrit si le temps en fruit ne le meurit.

      Mais pour mal conseillé cestuy-là on estime

      Qui se hasarde en vain.

      Ces sentences font écho aux devises représentées sur les médailles que des dames de la cour présentent, à la fin du spectacle, aux seigneurs de la maison de Lorraine, aux favoris et à d’autres dignitaires. Elles constituent autant de mises en garde contre le mauvais usage des passions et rappellent que ce mariage entre une princesse de Lorraine et un favori du roi visait, du moins en apparence à rétablir la paix du royaume8.

      La publication de Mirame, tragicomédie de Jean Desmarets, représente un autre cas intéressant de substitution métonymique. Imprimée chez Henri Le Gras en format in-folio avec six belles estampes réalisées par Stefano della Bella, le texte dramatique de Mirame remplit seul la fonction de commémorer la grande fête donnée par Richelieu le 14 janvier 1641 en l’honneur de la reine avec qui le ministre souhaitait se raccommoder publiquement. Un compte rendu de la Gazette nous apprend en effet que cette soirée de gala, qui inaugurait la nouvelle salle de spectacle du Palais Cardinal, comportait également une collation et un bal magnifiques9. En limitant la commémoration de la fête à la fable dramatique jouée à son occasion, le livre qui paraît chez Le Gras conserve la mémoire d’un événement inimitable en lui associant les qualités poétiques de la tragicomédie réglée telle qu’elle est théorisée à l’époque dans l’entourage de Richelieu10.

      Il est probable que, derrière l’intention que proclame pompeusement le titre du livre –Ouverture du théâtre de la grande salle du Palais Cardinal –, Richelieu ait également voulu célébrer, par anticipation, un mariage qui rehaussait le prestige de sa maison et qui allait être conclu un mois plus tard : celui de sa nièce, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, avec Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, le futur Grand Condé. Bien que cette fonction épithalamique ne semble pas avoir été relevée par les premiers publics de Mirame, l’intrigue qui est peut-être de l’invention de Richelieu, où il est question d’une princesse qui obtient d’épouser, contre toute attente, le prince étranger et rebelle dont elle est amoureuse, se prête tout à fait bien à la célébration d’une telle union.

      En revanche, la volonté de rendre public, grâce à ce spectacle, un rapprochement politique entre la reine et le ministre n’échappa pas aux ennemis de Richelieu qui firent courir le bruit que la pièce avait été choisie non pas pour rendre hommage, mais pour humilier Anne d’Autriche. Tallemant des Réaux et l’abbé Arnaud rapportent en effet une clé selon laquelle l’entretien secret que l’héroïne accorde de nuit à son amant évoquait l’idylle scandaleuse impliquant la reine avec un « prince étranger », le duc de Buckingham, une quinzaine d’années auparavant. Cette clé, qui en toute probabilité ne traduit pas une intention de Richelieu11, atteste néanmoins qu’un texte dramatique joué à l’occasion d’une fête de cour se prête nécessairement à ce type de lecture et que sa publication permet à un plus large public de juger de la valeur de telles interprétations12.

      La dernière fonction qu’il est nécessaire de relever dans le cadre restreint de cette analyse, est sans doute celle qui a le plus intéressé les premières générations de chercheurs qui se sont penchés sur les fêtes politiques des cours européennes. Plus que la lecture à clé, c’est l’interprétation allégorique des fables historiques СКАЧАТЬ