" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ d’un choix tendant à afficher une posture de modestie dans le cadre d’une publication qui n’est pas collective ou n’émane pas de l’Ordre – même si les bonnes relations entre André de Nesmond et la Compagnie sont soulignées par le jésuite18.

      La page de titre peut comporter, comme c’est le cas pour les élégies célébrant le sacre de Louis XIII, la formule « nomine collegii Pictavensis Societatis Iesu » avant la mention du nom de l’auteur : il s’agit de montrer que la publication se fait au nom de l’Ordre et prend place aux côtés des autres productions jésuites visant à célébrer la dynastie royale française. De même, dans La Royalle reception (1615), celui qui prend en charge le discours s’efface : la publication se fait sous le signe de la collectivité, comme en témoigne l’adresse finale au roi, qui le prie d’accepter cet ouvrage au nom de ses « tres-humbles & tres-fidelles sujets & serviteurs, les Peres de la Compagnie de Jesus, du College de Bordeaux19 ». Seul un poème liminaire des ChampsElyziens, signé Sammartinus, cite l’auteur, mais seulement par ses initiales20.

      Les écrits de célébration paraissent en outre avec une adresse typographique réelle, conformément aux lois qui régissent l’imprimerie. Certains d’entre eux possèdent un privilège, comme la Royalle reception. À l’exception du Colossus Henrico Magno in Ponte Novo positus, publié en 1617 chez le libraire-imprimeur parisien Sébastien Chappelet, tous les textes du père Garasse relevant du genre épidictique sont publiés soit chez Simon Millanges à Bordeaux, soit chez Antoine Mesnier à Poitiers. Le choix de ces lieux s’explique par les déplacements du père Garasse, liés à l’évolution de sa carrière. Il s’explique aussi par les sujets traités – les vers latins du jésuite célébrant l’édification de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde paraissent en 1620 à Bordeaux, en même temps que d’autres textes similaires. L’adresse de ces deux imprimeurs ordinaires du roi, qui figure sur chacune des pages de titre, confère à ces publications un statut régulier.

      Ces écrits sont donc assumés par le père Garasse, qui contribue ainsi à la vie de son Ordre, tout en se forgeant une identité d’auteur. Ces textes, essentiellement produits en début de carrière et témoignant de ses talents, peuvent également être utilisés à des fins personnelles afin de construire sa carrière au sein de la Compagnie. Dans le cadre de polémiques ultérieures autour de la Doctrine curieuse (1623), le jésuite revendique en outre ces écrits pour mettre en valeur ses qualités d’écrivain, qui lui sont niées, et pour se défendre d’avoir l’esprit porté à la satire21.

      Écrits épidictiques et satiriques sont liés. Tout comme les seconds, les premiers participent du combat pour le rétablissement des positions jésuites en France. Il ne s’agit pas que de contribuer au prestige de l’Ordre par le biais de poèmes virtuoses en latin. Il s’agit également de donner des gages de loyauté au pouvoir royal dans un contexte troublé, en produisant des textes patriotiques. Les écrits du père Garasse s’inscrivent donc dans l’ensemble des publications jésuites du temps, et reflètent l’état des relations entre la royauté et la Compagnie suite à la mort d’Henri IV. Ils tendent à réaffirmer la fidélité des jésuites au souverain alors qu’ils sont mis en cause. Les écrits épidictiques sont donc le pendant d’un autre type de productions jésuites, qui combattent les accusations portées contre la Compagnie.

      Dans le cadre de sa production satirique (1614-1620), le père Garasse publie soit sous l’anonymat, soit sous pseudonyme. Quant aux adresses, lorsqu’il y en a, elles sont souvent fictives. Ses écrits satiriques n’émanent pas officiellement de la Compagnie, même s’ils sont souvent en lien avec d’autres textes jésuites de facture plus sérieuse, parus dans le même temps et portant sur un même sujet. On peut noter par exemple que Le Banquet des sages est publié en 1617, parallèlement à la réédition d’un texte du jésuite Louis Richeome prenant également pour cible les plaidoyers de Louis Servin22. Si le texte du père Richeome paraît avec privilège et approbation, et porte sur la page de titre le nom de son auteur, la satire du père Garasse demeure quant à elle anonyme. L’Ordre ne peut en effet revendiquer des textes de cette nature. Le Parlement exige, suite à la mort d’Henri IV, « qu’aucun escrit ne sorte des Jesuites qui puisse troubler la paix ou justement offenser le prochain23 ». En s’attaquant à de hautes figures gallicanes ou protestantes, et en le faisant sur un mode satirique qui lui fait encourir des accusations de diffamation ou de médisance, le père Garasse adopte donc par prudence une stratégie de publication différente, tendant à masquer son identité.

      Les satires latines qui paraissent entre 1614 et 1616, l’Horoscopus anticotonis, l’Elixir calvinisticum et l’Horoscopus anticotonis auctior et pene novus sont publiées sous le même pseudonyme d’Andrea [Schioppius], Gasparis [frater], soit « André Schoppe, frère de Kaspar ». La revendication d’une telle parenté fonctionne pour le lecteur comme un marqueur de genre et de contenu.

      Le père Garasse endosse en effet une identité fictive qui l’inscrit dans une filiation précise. Kaspar Schoppe est né en Allemagne en 1576 ou 1577 et il meurt en 164924. Il s’agit donc d’un contemporain du jésuite. Il a abjuré le protestantisme en 1599. Il est l’auteur de nombreux libelles et s’est distingué par la violence de ses écrits contre les protestants. On a souvent souligné le caractère étrange de cette filiation25. D’une part, Schoppe est l’auteur de pamphlets contre les jésuites (mais écrits après 1630, alors que le père Garasse a renoncé à sa carrière littéraire). D’autre part, la sincérité de sa conversion a d’emblée été mise en doute. Il semble néanmoins constituer pour Garasse un modèle et une référence. Le jésuite le cite de façon récurrente dans ses ouvrages ultérieurs et le présente comme « bon catholique, & homme connu en toute l’Europe pour ses bonnes mœurs & son excellent esprit », ou encore comme « homme riche & facond en tres-bonnes reparties26 ». On peut en outre noter qu’en 1615-1616, Schoppe séjourne à Ingolstadt – adresse sous laquelle paraît, en 1616, l’édition augmentée de l’Horoscopus Anticotonis. Entre 1611 et 1612, Schoppe fait publier plusieurs pamphlets dirigés contre Jacques Ier d’Angleterre, acteur important dans les débats théologico-politiques qui se tiennent en Europe ; en 1615, sous pseudonyme, il compose encore un violent libelle contre Isaac Casaubon (parti en Angleterre à la mort d’Henri IV) et le souverain britannique. Le choix du pseudonyme ancre donc l’écrit du père Garasse dans une actualité et un combat communs. Il indique au lecteur qu’il a affaire à un libelle catholique, dirigé contre les protestants, et à travers lui le jésuite reprend à son compte une esthétique satirique marquée par la violence. Le Banquet des sages (1617), satire en français, est pour sa part publié sans adresse mais sous le pseudonyme de « Charles de L’Espinœil ». On entend dans ce nom l’œil acéré, la pointe cinglante. Là encore, le choix du pseudonyme fonctionne comme un marqueur de genre.

      Les adresses de ces satires sont significatives. L’Horoscopus anticotonis porte celle, réelle, de Jérôme Verdussen à Anvers, haut lieu de publication de la Réforme catholique27. L’Elixir calvinisticum, satire contre les protestants, paraît « In Ponte Charentonio, Apud Ioannem Molitorem », soit « A Charenton-le-Pont, chez Jean Meunier ». L’adresse de Charenton est caractéristique des ouvrages réformés28. La satire, dirigée contre de grandes figures protestantes, paraît ainsi sous une fausse adresse qui renvoie ironiquement à une pratique éditoriale connue du lecteur. L’imprimeur est « Jean Meunier », renvoi ludique au nom de Pierre Du Moulin, pasteur et cible récurrente de Garasse. L’Horoscopus auctioret pene novus paraît pour sa part en 1616, sous l’adresse d’Ingolstadt, en lien avec les publications de Schoppe.

      Une même stratégie est appliquée aux deux écrits ultérieurs du père Garasse que sont le Rabelais réformé (1619) et les Recherches des Recherches (1621). Ces textes aux ambitions plus vastes, puisqu’ils constituent dans les deux cas la réfutation d’un ouvrage précis – respectivement La Vocation des Pasteurs de Pierre du Moulin et Les Recherches de СКАЧАТЬ