" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ par Anne d’Autriche et Mazarin dont le texte dramatique a été imprimé.

      La première est donnée dans la salle du Petit-Bourbon à l’occasion du carnaval de 1645. Pour offrir au jeune roi et à la cour un spectacle fastueux dans le goût de ceux qui faisaient la réputation de Rome, de Florence et, depuis peu, de Venise, Anne d’Autriche fait venir de la Sérénissime le célèbre architecte-ingénieur Giacomo Torelli, accompagné du chorégraphe Giovan Battista Balbi. Les deux artistes sont chargés de préparer avec les comédiens italiens de la troupe de Giuseppe Bianchi, installée à Paris, une mise en scène à grand spectacle de la Finta pazza de Giulio Strozzi. Torelli, qui avait conçu les décors et les machines pour la création de cet opéra au Teatro Novissimo de Venise en 1641, reproduit à Paris non seulement sa scénographie, mais aussi la stratégie éditoriale qu’il avait développée avec Strozzi et les membres de l’Académie des Incogniti, et qui avait assuré le succès et la renommée de leur entreprise. Il obtient, en effet, un privilège pour imprimer un argument avant la représentation afin d’attiser la curiosité du public, et surtout, il publie le texte de la pièce avant que ne débutent les représentations13.

      Contrairement aux petits livrets publiés à Venise, cet in-folio n’est pas principalement destiné à être emporté au théâtre pour faciliter la compréhension du spectacle, bien que l’intrigue de la Finta pazza, qui raconte les aventures d’Achille dans l’île de Scyros, ne soit pas facile à suivre. Il s’agit bien plutôt d’un livre commémoratif qui contient une dédicace et une adresse du scénographe au lecteur, une relation circonstanciée du spectacle, ainsi que cinq planches gravées représentant les décors et les machines. Le titre de l’ouvrage, Feste theatrali per la Finta pazza, drama del sigr Giulio Strozzi, rappresentate nel Piccolo Borbone in Parigi quest anno 1645 et da Giacomo Torelli da Fano Inventore dedicate ad Anna d’Austria Regina di Francia, met d’ailleurs bien en évidence le rôle que s’approprie Torelli dans cette affaire. Le titre promet des « fêtes théâtrales » dédiées à la reine mère par leur inventeur et données à l’occasion non pas d’un événement heureux, mais pour servir à la représentation de la Finta pazza. En remplaçant la préposition articulée « della » appelée normalement par le contexte, par la préposition et l’article « per la », le livre commémoratif place le service rendu par Torelli à la reine au rang des événements dignes de commémoration, reléguant le texte dramatique au statut de faire-valoir du spectacle. Les personnages de Strozzi, la vivacité de leurs répliques et la complexité de l’intrigue comique ayant été conçus pour répondre aux goûts du public bigarré qui s’attroupait dans les théâtres de Venise durant le carnaval, le texte dramatique de la Finta pazza, imprimé à Paris, ne pouvait guère que flatter le goût de la reine pour la comédie italienne. À la rigueur, il pouvait aussi donner une certaine visibilité aux comédiens italiens, qui avaient été à l’initiative de ce spectacle, en conservant la mémoire de leur ingéniosité et de leur talent.

      Les opéras italiens donnés à la cour lors des carnavals de 1646 et 1647 – l’Egisto (Chi soffre speri) de Giulio Rospigliosi14 et l’Orfeo de Francesco Buti – n’ont pas fait l’objet d’une publication. Si le spectacle de 1646 qui, selon le témoignage de Mme de Motteville et du résident de Toscane, fut présenté sobrement devant un public restreint dans le petit théâtre du Palais Royal, ne méritait guère d’être imprimé, il est permis de croire que la création fastueuse de l’opéra à machines et intermèdes de l’abbé Buti15 aurait dû, en revanche, donner lieu à l’impression d’un livre à figures. Son sujet – l’apothéose d’Orphée – se prêtait aisément à une interprétation allégorique comme le suggère le personnage de la Victoire qui célèbre, dans le prologue, le triomphe de la France sur le Mal, mais les récriminations contre la politique et les dépenses excessives de Mazarin, qui allaient mener aux emportements xénophobes de la Fronde, découragèrent sans doute le ministre de faire publier le livret italien qu’il avait commandité16.

      C’est le texte dramatique français de l’Andromède de Corneille, créé presque trois ans plus tard dans la salle du Petit Bourbon avec les machines que Torelli avait conçues pour Orfeo, qui aura droit à une édition de prestige. Jouée en pleine Fronde à partir du début du mois de janvier 1650, durant la fragile trêve qui précède l’arrestation de Condé, Conti et Longueville, cette tragédie à machines et avec musique marque le début d’une nouvelle ère pour la fête théâtrale. En effet, tout se passe comme si la participation de Corneille révélait, pour la première fois en France, toute la force de la composante dramatique d’une représentation à grand spectacle – douce revanche pour l’auteur du Cid dont Desmarets avait eu l’ambition de corriger les défauts en donnant à Richelieu la magnifique, mais exsangue tragicomédie de Mirame.

      Aussi les vers de Corneille inspirent-ils à Théophraste Renaudot, dans un extraordinaire de la très officielle Gazette de France, des pages dithyrambiques où perce l’espoir d’une réconciliation du royaume. Cet espoir, c’est le texte lui-même qui le porte : « venu au comble de la perfection : et pour parler avec les Astrologues, en son apogée », le poème dramatique, observe Renaudot, retrouve le pouvoir « d’apprivoiser » et de « rendre plus traitables » les esprits de ce temps17.

      Inspiré des Métamorphoses, le sujet d’Andromède s’était déjà prêté, au moment où Corneille s’en empare, à de nombreux usages politiques18. La libération, par le fils de Jupiter, de l’héritière du trône d’Éthiopie offerte en sacrifice à un monstre marin en raison de l’hybris de sa mère convient parfaitement à la célébration des vertus des princes chrétiens pourfendeurs d’hérésies et protecteurs de la vertu. En développant les caractères de Persée et de son rival, le prince Phinée auquel est d’abord promise Andromède, Corneille offre au jeune Louis XIV le portrait du « plus jeune et [du] plus grand des rois » comme l’entonne le chœur du prologue. Le texte imprimé permet de prendre la pleine mesure du discours moral et politique qui se déploie dans Andromède sous la forme d’un discours dramatique soutenu19.

      Ce n’est plus Torelli dont les décors et les machines sont pourtant à l’origine du spectacle, mais Corneille qui obtient les privilèges et contrôle l’impression de la magnifique mise en scène de son texte dramatique. Un « dessein […] contenant l’ordre des scènes, la description des théâtres et des machines et les paroles qui se chantent en musique », imprimé à Rouen « aux dépens de l’auteur », se vend à Paris chez Antoine Courbé dès le mois de mars 1650. Comme pour l’argument de la Finta pazza, il attise la curiosité du public qui n’a pas encore pu assister aux représentations, mais peut aussi servir de livret pour suivre les paroles chantées durant le spectacle car, en dépit de la déclaration que Corneille place à la fin de l’argument de sa tragédie – « cette pièce n’est que pour les yeux » –, l’auteur dramatique est particulièrement soucieux que ses vers soient entendus et compris. La première édition du texte, un in-12° imprimé à Rouen chez Laurens Maurry et vendu à Paris chez Charles de Sercy, ne diffère en rien des publications des autres pièces de théâtre de l’époque, sinon que sa mise en page est particulièrement soignée20 et inclut une description circonstanciée des décors. C’est un an plus tard que paraît, grâce aux soins du même Maurry, le livre commémorant ce spectacle magnifique : un in-4° enrichi de six planches gravées par François Chauveau.

      C’est à l’aune de la tragédie de Corneille que durent se mesurer les dernières fêtes théâtrales farcies d’entrées de ballet composées par l’abbé Buti. Le texte dramatique italien du ballet des Nozze di Peleo e di Teti, chanté à l’occasion du carnaval de 1654, et celui d’Ercole amante, qui devait être prêt pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse mais ne sera créé qu’en 1662, représentent les dernières tentatives d’adaptation des spectacles transalpins au goût français avant que Molière, Quinault et Lully ne développent pleinement les formes hybrides et originales que sont la comédie-ballet et la tragédie СКАЧАТЬ