" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов страница 57

СКАЧАТЬ épaisseur, les recueils de Bruscambille peuvent disposer d’un frontispice. Les pages de titres illustrées, on l’a vu, sont peu communes pour le théâtre mais elles sont encore plus inhabituelles dans le champ des facéties imprimées. Il s’agit donc d’un élément distinctif et d’une marque de dignité accordée à ces écrits, même si cela entre sans doute d’abord dans une logique commerciale3. Nous observons ainsi que Jean Millot, premier éditeur des prologues de Bruscambille, investit en quelque sorte sur le farceur en prenant la décision d’illustrer ses recueils à deux reprises4. Ces frontispices représentent, non pas le contenu des prologues, mais leur prétendu cadre de création à savoir les planches du théâtre. Bien souvent, le farceur y déambule, débitant ses prologues devant une foule compacte de spectateurs5. Qu’ils aient effectivement été interprétés sur scène ou non, les frontispices accolés aux éditions du farceur dessinent un cadre de production scénique et programment aussi, de fait, un cadre de réception théâtral. Ces illustrations assurent ainsi conjointement la promotion de l’ouvrage et la vedettisation d’un acteur-auteur. En plaçant l’énonciateur des discours en tête d’affiche, ces recueils de prologues participent au regain des performances farcesques dans les années 1620-1630 et annoncent le succès de livres construits sur le même modèle, également attribués à des célébrités de tréteaux, tels que les recueils de Tabarin ou de Gaultier Garguille6.

      Comme pour le théâtre imprimé, la catégorie de « facétie » s’avère trop vague pour désigner les recueils de Bruscambille qui paraissent sous la forme de petits livres, que les éditeurs prennent la peine d’habiller d’un frontispice et que les lecteurs achètent plus cher que des minces plaquettes « facétieuses ». La porosité des frontières génériques, la polygraphie des auteurs et le rassemblement des textes de différentes natures sont autant de critères qui laissent ouverte une large fenêtre éditoriale pour ces textes indéterminés. Le farceur et/ou ses éditeurs mobilisent à la fois les propriétés du théâtre et celles des « facéties » pour faire de ces recueils de prologues des objets hybrides qui s’apparentent volontiers à l’un et l’autre. En cela, le succès de librairie de ces prologues recueillis peut être considéré comme un signe de l’intérêt croissant des contemporains pour l’art dramatique : il contribue à la diffusion de cet art alors même que son expansion ne se limitera bientôt plus à la scène mais gagnera aussi progressivement l’univers du papier7.

      Plusieurs déplacements s’opèrent si nous envisageons les livres de Bruscambille, et donc leur succès éditorial, comme des éléments, même marginaux, du théâtre imprimé. Cela implique un élargissement du lectorat potentiel du farceur mais surtout, cela modifie l’échiquier des genres et bouscule les hiérarchies structurant les écrits dramatiques. Nous retrouverions ainsi dans le champ de l’imprimé le rôle essentiel que jouent les courtes pièces et les discours de transition sur scène qu’il s’agisse des prologues, des épilogues, des intermèdes musicaux ou encore des chansons. Ces morceaux plus ou moins spectaculaires, loin d’être uniquement des contrepoints plaisants, occupaient une place clé dans l’articulation des séances théâtrales et dans le champ de ce nous pourrions nommer plus largement le spectacle imprimé. Par la prise en compte de ces écrits, nous éviterions une forme de « discrimination générique » qui infléchit souvent l’historiographie et nous disposerions d’une cartographie bien différente du théâtre imprimé, sans doute plus proche de l’état de ce qui se jouait au cours de cette période8. Apparentés à la scène et pris comme phénomène éditorial, les recueils de Bruscambille viennent grossir les rangs du théâtre imprimé dans le premier tiers du XVIIᵉ siècle, agissent dans la dynamique croissante de ce genre et modifient la physionomie de son domaine imprimé, notamment en contrebalançant l’importance accordée à la tragédie.

      Les stratégies éditoriales du père Garasse

      Julie MÉNAND

      IHRIM-Lyon 2 (UMR 5317)

      Le père Garasse (1585-1631) est un écrivain jésuite spécialisé dans l’écriture de combat. Le contexte dans lequel il prend la plume est en effet propice à la polémique. Les difficultés que rencontre la Compagnie de Jésus depuis son rétablissement en France (1604), l’arrière-plan des dernières guerres de religion ou encore la montée de l’incroyance dénoncée par les apologistes constituent autant de lignes de front. Le père Garasse s’engage donc en s’inscrivant dans une dynamique propre à son Ordre. Son œuvre est ainsi marquée par le foisonnement polémique qui caractérise le début du siècle.

      La critique s’est essentiellement intéressée à ses écrits de combat, ce qui tend à occulter le fait qu’il est l’auteur d’une œuvre protéiforme. Entre 1611 et 1620, il rédige des vers latins de circonstance liés à des enjeux nationaux, comme la mort d’Henri IV et le sacre de Louis XIII1, ou régionaux, comme l’édification à Bordeaux de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde2. Le père Garasse rédige également des textes français en prose, à l’instar du Rapport d’un Parlement au Ciel et d’un premier Président au Soleil3, adressé au président du parlement de Bordeaux André de Nesmond, ou en prose et vers mêlés, comme La Royalle Reception4, qui rend compte des festivités dans la ville de Bordeaux lors du mariage de Louis XIII. Il est enfin l’auteur de l’oraison funèbre d’André de Nesmond5, publiée en 1617.

      Progressivement, le père Garasse laisse de côté le genre épidictique pour aborder ses premiers combats. Là encore, sa pratique est diversifiée. Il commence par de courtes satires latines en prose et vers mêlés (1614-1616)6 et poursuit avec une brève satire française en prose et vers mêlés également (1617)7, visant des adversaires gallicans et protestants. Suivent deux ouvrages plus volumineux parus entre 1619 et 1622, qui tiennent tout à la fois de l’ouvrage de réfutation et du libelle8. La Doctrine curieuse (1623)9, pamphlet satirique destiné à combattre les libertins et plus spécifiquement le poète Théophile de Viau, trouve un pendant doctrinal en la Somme théologique (1625)10, genre religieux que le père Garasse tente de faire entrer dans le champ des belles-lettres. Dans le but de se défendre, il rédige enfin, entre autres, une Apologie11, un Mémoire justificatif12, et des mémoires non publiés de son vivant couvrant l’histoire des jésuites parisiens entre 1624 et 162613.

      L’œuvre du père Garasse, sous ses formes multiples, est tout entière consacrée à l’illustration et à la défense de son Ordre, et à la lutte pour la Réforme catholique. Le jésuite, pragmatique, adapte ses stratégies de publication à l’adversaire, au destinataire et au contexte. L’objectif de cette étude sera d’examiner ses différentes stratégies de publication, stratégies qui aident à percevoir la diversité de son œuvre et de ses enjeux.

      Au début de sa carrière (1611-1620), le père Garasse produit des écrits de célébration, tantôt liés à la ville de Bordeaux, où il a résidé pendant sa formation, tantôt liés à des enjeux nationaux. Ces écrits peuvent être rédigés en vers ou en prose, en français ou en latin. Ils sont publiés de façon régulière et, pour la plupart, sous son nom et titre de jésuite. En 1611 paraissent ainsi des élégies latines adressées à Louis XIII à la mort de son père et d’autres élégies consacrées au sacre du jeune roi : sur leurs pages de titre figurent la mention du nom de l’auteur, de sa ville d’origine, Angoulême, et de sa qualité de jésuite : Franciscus Garassus Engolimensis, ex Societate Iesu14. Dans le cas du recueil collectif de vers latins relatifs à la consécration de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde (1617), ou des vers latins célébrant la statue d’Henri IV érigée sur le Pont‑Neuf15, le nom de l’auteur et son statut n’apparaissent pas dès la page de titre. En revanche, l’auteur signe les pièces liminaires adressées à des destinataires prestigieux, respectivement le cardinal de Sourdis et le Premier président du parlement de Paris Nicolas de Verdun, « Franciscus Garassus S.I.T.16 ».

      L’identification de l’auteur en début d’ouvrage n’est СКАЧАТЬ