" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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      Loin de faire amende honorable après le scandale de l’Histoire amoureuse, Bussy renoue dans sa correspondance avec le registre mi-galant mi-satirique11 et le régime de publication mi-privé mi-public qui lui ont valu l’exil : même si les lettres ne sont pas imprimées, elles sont forcément appelées, comme toute correspondance du temps, à circuler au-delà du premier cercle de leurs auteurs. Dans ce but, il s’adjoint une équipe de collaboratrices prêtes à en assumer les risques pour bénéficier d’une occasion rare de joindre leurs dons d’écrivaines à une collection de lettres susceptible de témoigner pour la postérité, au même titre que la collection de portraits édifiée par Bussy à la même période.

      La réticence des femmes face à l’impression, au XVIIe siècle, a fortiori dans un milieu aristocratique où de telles pratiques heurtent les convenances, n’implique pas qu’elles aient renoncé à l’ambition d’écrire. Dans ce contexte, l’épistolaire apparaît comme une voie d’accès privilégiée à l’écriture, moyennant un certain nombre de dispositifs : la formation en réseau, le partenariat avec un auteur masculin, le jeu de la concurrence, la dimension collaborative. C’est cet usage stratégique de l’épistolaire que l’on voit à l’œuvre dans le groupe d’écriture formé par les amies de Bussy et qui aboutit à la composition d’une œuvre collective. En exploitant un régime de circulation et de publication qui a fait le succès de l’Histoire amoureuse, les co-épistolières mettent leurs talents variés au service des amours malheureuses de l’exilé bourguignon en collaborant notamment à la création d’un Ovide travesti, réinterprétation satirique de la tradition des héroïdes.

      Le manuscrit, une leçon de style ? L’exemple du Sermon sur le Jugement dernier de Bossuet, genèse du style et style de genèse

      Anne RÉGENT-SUSINI

      Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3

      « L’homme », déclare Bossuet dans un passage maintes fois cité du Sermon pour la Profession de La Vallière, « ressemble à un édifice ruiné qui, dans ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la beauté et de la grandeur de son premier plan. […] qu’on remue ces ruines, on trouvera dans les restes de ce bâtiment renversé, et les traces des fondations, et l’idée du premier dessein, et la marque de l’architecte1 ». Le prédicateur se doutait-il qu’un tel passage pourrait servir de métaphore aux brouillons de ses sermons, dans lesquels les éditeurs successifs se sont efforcés de trouver, chacun à sa manière et avec ses présupposés, « et les traces des fondations, et l’idée du premier dessein, et la marque de l’architecte » ? Cependant, comme on sait, les ruines n’ont pas toujours suscité l’intérêt, moins encore l’admiration. Dans le cas de Bossuet, les Mémoires de son secrétaire et biographe l’abbé Ledieu avaient imposé l’idée que le prélat n’écrivait pas ses sermons, ou n’en rédigeait que des plans. Pourtant, lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle une gigantesque campagne de collecte entreprise en vue de préparer les premières œuvres complètes de Bossuet aboutit à la découverte de près de deux cents sermons et panégyriques autographes, l’authenticité des manuscrits (autographes) est universellement admise, sans que disparaisse pour autant le mythe de l’improvisation qui prévalait jusqu’alors. Tout l’art des éditeurs successifs consistera désormais à concilier par une série d’ajustements l’évocation de Ledieu avec la réalité matérielle des manuscrits2, d’accorder, pour reprendre la terminologie d’Almuth Grésillon, la genèse externe avec la genèse interne3.

      Les problèmes, pourtant, ne s’arrêtaient pas là. La description des sermons que donne au début de sa préface leur premier éditeur, le bénédictin Deforis, est à cet égard éloquente :

      Jamais nous n’exprimerons assez exactement l’état informe où ces sermons étaient réduits, et la répugnance que l’on pouvait sentir en les examinant, à entreprendre de les transcrire. Tous étaient sur des feuilles volantes, fort confuses, dont le caractère, très-mauvais, demandait une étude particulière pour ne point se méprendre dans la lecture. Mais ce n’était là qu’une petite partie des difficultés qu’ils présentaient. Remplis de ratures, ils étaient chargés, dans les interlignes, d’une écriture extrêmement menue, beaucoup plus indéchiffrable que celle du corps du manuscrit ; et les mots, souvent ajoutés par-dessus pour servir de variantes, venaient encore augmenter la confusion et l’embarras. Une multitude de transpositions presque inintelligibles, des additions de toute espèce, dont il fallait en quelque sorte, deviner la place, pour trouver l’ordre et le fil du discours, étaient seules capables de décourager la meilleure volonté […].4

      Il s’agit certes de se grandir soi-même en grandissant le défi, et de justifier au passage le retard pris par l’édition, mais le problème semble bien réel, puisqu’il sera de nouveau évoqué avec insistance par tous les éditeurs qui s’affronteront à leur tour aux manuscrits de Bossuet5.

      Cinthia Meli, même si elle n’utilise pas la notion de « genèse éditoriale », a parfaitement décrit les enjeux des éditions successives des œuvres oratoires de Bossuet, et l’action décisive, ou pour mieux dire, constitutive, des éditeurs successifs de ces textes appelés « œuvres oratoires de Bossuet », dont la gestation progressive fut ainsi, en un sens, collective. Mais le défi lancé par les « œuvres oratoires » à la génétique d’auteur ne s’arrête pas là : outre l’idée de genèse individuelle, c’est la notion même de dossier de genèse, devenue essentielle pour la démarche génétique, qu’elles semblent déstabiliser. Pierre-Marc de Biasi définit le dossier de genèse comme

      l’ensemble, classé et transcrit des manuscrits et documents de travail connus se rapportant à un texte dont la forme est parvenue, de l’avis de son auteur, à un état rédactionnel avancé, définitif ou quasi définitif. Lorsqu’il est assez complet, le dossier de genèse d’une œuvre publiée fait habituellement apparaître quatre grandes phases génétiques que j’ai intitulées : phases pré-rédactionnelle, rédactionnelle, pré-éditoriale, éditoriale.6

      Mais dans le cas de Bossuet, dont, sauf rares exceptions, les sermons n’étaient pas destinés à la publication, ces opérations d’écriture sont beaucoup plus difficiles à cerner : puisqu’il n’y a plus ni phase pré-éditoriale, ni phase éditoriale, les discours n’étant pas, sauf de très rares exceptions, destinés à la publication écrite, l’axe chrono-génétique se dérobe inévitablement par endroits7.

      Alors, genèse de quoi ? Des discours prononcés ? Ils nous échappent à jamais. D’un texte définitif ? Sans texte publié, pas de texte définitif8. En d’autres termes, les manuscrits de Bossuet ne sauraient se prêter à une génétique de l’imprimé, mais seulement à une génétique des ébauches9 – ce qui implique, pour ceux qui les éditent, de se défaire d’un certain nombre de présupposés (ou d’impensés) hérités des éditeurs du XIXe siècle.

      C’est sur ces questions que la présente étude se propose de jeter un éclairage, à partir d’un exemple précis, celui du Sermon sur le Jugement dernier de 1665, dont le manuscrit autographe fait en 1884 l’objet d’une publication, en fac-similé, par l’auteur catholique Joseph-Edouard Choussy (1824-1916). Il s’agit là à la fois d’un exemple parmi tant d’autres et d’un exemple particulier, et ce, à deux titres au moins.

      1- À l’échelle des pratiques éditoriales du XIXe siècle, le geste de publication effectué par Choussy s’inscrit dans une double évolution caractéristique de son siècle : d’une part, l’intérêt de plus en plus grand porté aux manuscrits autographes, voire la fétichisation dont ils font l’objet, en lien notamment avec toute une mythologie romantique de l’écrivain, et dont СКАЧАТЬ