" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ former le lecteur, dans une perspective qui au fond est encore celle de la classe de rhétorique (lire pour apprendre à écrire), et non pas celle de la classe de littérature. Bref, l’objectif est moins d’élever l’auteur que d’élever le lecteur, cette instruction impliquât-elle que l’auteur tombe un peu de son piédestal afin de devenir un modèle plus accessible : Bossuet est à plusieurs reprises désigné comme un élève qui se trompe, et fait des « petits pâtés ». L’entreprise de Choussy constitue à ce titre une forme d’aboutissement un peu inattendu du mouvement bien connu qui s’est opéré au XIXe siècle sous l’égide des notions d’écrivain et de style (personnel).

      Une entreprise atypique ?

      Il ne faudrait pas exagérer son originalité cependant, et ce pour trois raisons au moins.

       1- D’abord, parce que la vertu pédagogique des brouillons continue à hanter les autres éditeurs, alors même qu’ils y renoncent. Juste après la citation assassine envers Deforis citée supra, Maury ajoutait en effet : « Cependant cet excédent même, qu’un goût plus sûr et plus officieux aurait mis à l’écart, peut éclairer encore les jeunes orateurs, sur la marche, les progrès, le secret de l’art oratoire, en suivant pas à pas le développement d’un si grand talent. » De même, Lachat concédait qu’un fac-similé « serait la meilleure leçon de style, car le lecteur pénétrerait en quelque sorte dans le cabinet du plus sublime génie, pour assister à l’élaboration de sa pensée1 » – programme dont ne manquera pas de se réclamer Choussy. Lachat soulignait en outre qu’en un paradoxe qui n’est qu’apparent, les ratures sont d’autant plus nombreuses que les manuscrits sont tardifs : le jeune Bossuet, simple prêtre à Metz, se reprend peu, alors que le prédicateur de Cour, et plus encore l’évêque de Meaux, multiplient les variantes, signes d’une attention de plus en plus poussée à la précision du discours et à l’accomplissement de son style. La variante signale, certes, en elle-même un choix défectueux, mais son existence même atteste et assoit la maîtrise de l’écrivain sur son texte.

       2- Ensuite, tous ces éditeurs se fondent sur l’idée d’un progrès irrésistible du style, signe d’une maîtrise de plus en plus grande d’un auteur pleinement conscient. De fait, même les éditeurs qui minorent l’importance des variantes, non seulement ne renoncent pas à l’idée d’un progrès du style (au contraire, c’est elle qui fonde l’exclusion des variantes), ni même, contrairement à ce qu’on pourrait croire, au projet de rendre ce progrès perceptible pour le lecteur. Simplement, pour ceux qui éditent, non pas un sermon, mais des œuvres oratoires complètes (ou censées l’être), ce progrès devra se lire dans la progression d’un sermon à l’autre, dans la macrostructure, et non pas à l’échelle d’un seul sermon. C’est ainsi que l’ordre chronologique, imposé par Vaillant contre Deforis, qui organisait les œuvres oratoires selon un calendrier liturgique, dans le but avoué d’édifier les laïcs et de former les religieux2, est censé servir à une histoire du style de Bossuet, voire plus largement et plus ambitieusement, à une histoire de la littérature française3 : « C’est dans une édition ainsi coordonnée que [le lecteur] pourra suivre les modifications de la langue, les progrès du style, les développements de l’art oratoire de l’époque la plus brillante de notre littérature, et apprécier le talent d’un de nos plus beaux génies4. » On notera cependant que pour ces éditeurs, le progrès stylistique ne s’organise pas selon une ligne ascendante comme chez Choussy, mais bien plutôt selon le schéma tripartite topique de tout devenir : naissance (sermons « de jeunesse » prêchés principalement à Metz) – apogée (sermons « de maturité » prêchés à la Cour, centre du Royaume et sommet de la carrière de Bossuet en tant que prédicateur) – décadence (sermons « de vieillesse » prêché durant l’épiscopat à Meaux). Mais quoi qu’il en soit, pour tous, les variantes sont des sous-produits, pour ne pas dire des déchets, de l’opération d’écriture. Choussy, en somme, les publie pour la raison même qui portait le cardinal Maury à ne pas vouloir les publier : la rature est un raté.

       3- Enfin, les divergences entre Choussy et les autres éditeurs s’expliquent avant tout par la différence de leurs démarches et n’impliquent nullement que leurs présupposés soient foncièrement contradictoires. Si Choussy est tourné vers le perfectionnement stylistique, mais aussi indissolublement moral, du lecteur, alors que les autres éditeurs sacrifient l’instruction du lecteur au portrait de l’auteur en majesté (comme en témoignent, a contrario, les précautions oratoires prises par Choussy pensant commettre une sorte de crime de lèse-majesté), c’est que ces éditeurs publient des œuvres complètes (ou des œuvres oratoires complètes). Or le fac-similé est tout le contraire du monument textuel que constituent les œuvres complètes : c’est aussi pour cette raison que Choussy peut prendre plus de distance avec la pesante figure de l’auteur.

      Un « dossier de travail » complexe1

      Quoi qu’il en soit, chez Choussy comme chez ses collègues, les variantes sont presque toujours comprises comme perfectionnement : la dernière version enregistrée par le manuscrit est considérée comme, sinon achevée, du moins finale – selon la préférence traditionnellement donnée à la version ne varietur. Or, un « texte » comme le Sermon du Jugement dernier de 1665, à l’image du reste de la grande majorité des œuvres oratoires de Bossuet, est un défi à l’idée même de version finale. D’une part, il comporte bon nombre de variantes qui ne relèvent évidemment pas de cette logique, mais qui sont bien plutôt des marques du recyclage de tel ou tel passage. D’autre part, sans que cela apparaisse nécessairement sur le manuscrit, certains passages se trouveront réemployés ultérieurement, sous une forme certes très proche mais pas rigoureusement identique. Le « dossier préparatoire » de ce sermon contient donc plusieurs éléments :

      a) Un manuscrit appartenant aux textes rédigés par Bossuet au début de ses études au collège de Navarre à Paris2.

      À la suite de Lebarq, les éditeurs Urbain et Levesque3 font l’hypothèse que cette composition fut écrite à la demande de l’influent Philippe Cospéan, docteur de Sorbonne et évêque de Lisieux, et prononcée à l’hôtel de Vendôme. Ils avancent même que l’évêque de Lisieux aurait été si enthousiasmé par le discours qui débutait ainsi, qu’il voulut présenter le jeune Bossuet à la reine Anne d’Autriche – projet qui ne put se réaliser4. Pourtant, il semble que cette hypothèse ne résiste pas aux dates5 : comme d’autres prélats, Cospéan est renvoyé dans son diocèse par Mazarin début septembre 1643, et l’exorde, qui correspond à un sermon prononcé le 1er dimanche de l’Avent, est postérieur de quelques mois à cette date6. Il s’agit donc plus probablement d’un discours prononcé à Navarre même, dans le cadre plus scolaire que mondain d’une sorte d’entraînement à la prédication, devant les maîtres et les condisciples du jeune Bossuet.

      b) Le Sermon sur le Jugement dernier daté, de la main de Bossuet, du « 1er dimanche de l’Avent 1665 ».

      Sa date indique qu’il appartient à l’Avent du Louvre, donc à une station royale, contexte bien différent du précédent7. Or, si l’on admet l’hypothèse partagée par les éditeurs les plus récents, Bossuet réutilise directement pour ce sermon l’exorde composé en 1643, avec quelques modifications. Cette « tête » ne se promène donc pas sans corps, comme l’avaient initialement cru certains éditeurs : elle a été greffée sur un corps plus jeune, celui du sermon de 1665.

      De fait, le manuscrit de 1643 porte deux grandes strates de corrections : les unes qui lui sont contemporaines, encore proches de la première rédaction, dans une écriture serrée et rapide, les autres qui datent de 1665, au moment où Bossuet réutilise cet exorde dans le cadre d’un nouveau sermon.

      En dehors de quelques corrections СКАЧАТЬ