" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ l’exemple demeure assez atypique par l’ancrage chronologique du manuscrit publié : les cas de manuscrits autographes conservés du XVIIe siècle ne sont pas si fréquents, d’une part parce que les auteurs tendaient alors, comme on sait, à détruire les avant-textes ; d’autre part parce que l’emploi fréquent de secrétaire (Bossuet, du reste, en eut un à la fin de sa vie) diminuait d’autant la probabilité de manuscrits autographes.

      2- À l’échelle de l’« œuvre » de Bossuet, le manuscrit ressemble, d’un côté, à d’innombrables manuscrits de Bossuet, mais il est pourtant à ma connaissance le seul sermon de l’auteur à avoir fait l’objet d’une édition séparée en fac-similé10, accompagnée en outre d’un « Addenda à l’étude qui précède le fac-simile du sermon de Bossuet sur le Jugement dernier ».

      Or Choussy, d’ordinaire plutôt historien et politique11, se veut en l’occurrence philologue et stylisticien, dans une démarche qui, au-delà de sa singularité, paraît révélatrice d’une tendance propre au XIXe siècle à reconsidérer les grands auteurs du panthéon classique (Descartes, Pascal, Sévigné, Fénelon…) pour en faire des figures proprement littéraires. Certes, dans le cas de Bossuet, cette « littérarisation », qui est aussi une laïcisation, est loin d’être totale, et Choussy l’associe, dans son volume, à saint Vincent de Paul et saint François de Sales12. Cependant, c’est bien en écrivain, et non en théologien ou en homme d’Église, qu’il l’analyse et le prend pour modèle.

      Les éditeurs des œuvres oratoires au XIXe siècle

      Élaborant à la fin du XVIIIe siècle la première édition des sermons, le bénédictin Deforis, fondait sa recherche des manuscrits de Bossuet, non pas sur la conviction de leur valeur littéraire, mais sur la certitude de leur valeur spirituelle, avec, sous-jacente, l’idée que l’Aigle de Meaux méritait sur ce point exactement le même traitement que les Pères de l’Église, puisqu’au fond, il en était un :

      On sait que quand on a donné les éditions des Pères, on a publié tout ce qu’on a pu recueillir des monuments de ces illustres sermons et autres, quoique toutes les pièces ne fussent ni entières ni également parfaites […]. Or, nous l’avons dit, nous avons cru devoir témoigner à Bossuet le même respect : Un Écrivain aussi considérable mérite assurément cette distinction.1

      Cependant, dès la fin du XVIIIe siècle, la perspective d’une édition « littéraire » de Bossuet commence à se dessiner, défendue notamment par le cardinal Maury, à qui l’éditeur avait demandé d’assister Deforis, qui avait pris trop de retard dans la préparation des œuvres complètes. Maury ne tarda pas à se brouiller avec le bénédictin, tant leurs options éditoriales étaient divergentes, et ne manqua pas de dire tout le mal qu’il pensait de l’édition Deforis une fois qu’elle fut parue, accusant le bénédictin d’avoir « porté la superstition d’éditeur, comme on le lui a crûment reproché, au point de ramasser, dans sa collection beaucoup trop volumineuse, jusqu’au linge sale de Bossuet2 ».

      Au siècle suivant, cette perspective s’affirme, et Vaillant et Lachat, à leur tour, désapprouvent Deforis pour avoir maintenu dans son édition des passages pourtant condamnés par Bossuet dans le manuscrit, au nom de ce double principe de la maîtrise de l’auteur sur son manuscrit, et de son infaillibilité stylistique.

      C’est que Bossuet, désormais, n’est plus un Père de l’Église, mais une figure tutélaire de la littérature française, pleinement auteur : « L’écrivain les a pour ainsi dire marqués du signe de la réprobation ; il entendait les écarter de son œuvre, ils ne doivent pas y figurer », écrit Lachat3. Or, le terme « réprobation » étant un terme théologique qui désigne le jugement divin par lequel un pécheur se trouve exclu du bonheur éternel, il identifie ainsi l’écrivain au Dieu Créateur lui-même ; c’est le Bossuet souverainement stylistique qu’évoquera, entre bien d’autres, Vaillant soulignant la « force » et la « rapidité » dont il a doté tel discours4. Dans cette perspective, ces variantes sont donc moins considérées comme des petits morceaux de sens qu’il faudrait recueillir (comme c’était le cas chez bien d’autres éditeurs), que comme des versions indignes d’un discours, voire d’un texte (c’est le paradigme de l’écrit qui, paradoxalement, domine), admirable – dont elles donnent à voir l’accomplissement progressif.

      Dès lors, la question de la place à leur accorder dans l’édition se complique, et l’option qui va peu à peu s’imposer est celle, calquée sur l’édition de textes plus standards, d’une sélection de variantes signalées, en notes de bas de page de très petite taille, au bas du texte principal.

      Le projet de Choussy : éduquer le lecteur sous l’autorité de l’auteur

      C’est alors qu’intervient l’entreprise de Joseph-Édouard Choussy. Il se justifie longuement de ce projet, en prêtant à l’examen des manuscrits des vertus non seulement herméneutiques, mais proprement pédagogiques. Pour cela, il met en scène un Bossuet d’abord réduit au jeu de mots que faisaient sur son nom ses camarades de collège, Bos suetus aratro, « bœuf habitué à la charrue » :

      Oui, jeunes gens, nous tenons à vous présenter ce grand orateur, cet illustre écrivain tel que l’avaient dépeint ses camarades de séminaires traduisant son nom par Bos suetus aratro, et nous initiant ainsi à son genre de travail lent, rude, difficile, comme celui du bœuf courbé sous le joug et traçant péniblement, mais avec ténacité, un sillon rocailleux hérissé d’obstacles toujours renaissants.

      Et dans quel but vous dévoiler Bossuet sous ce nouveau jour, si ce n’est pour vous servir d’exemple et d’encouragement, et pour vous prouver que ce n’est que par la toute-puissance d’un travail opiniâtre, qu’après avoir rampé terre à terre il se redresse insensiblement, s’élève au-dessus de ses semblables et s’élance enfin d’un vol majestueux dans les hautes sphères de l’intelligence supérieure et de la gloire la plus pure ?

      Mais pour y parvenir, n’oublions pas que Bossuet raturait, raturait sans cesse.1

      En passant du nom (Bossuet, bos suetus aratro) au sur-nom (l’Aigle de Meaux, implicitement au cœur de l’image finale), la figure de l’écrivain passe ainsi du bœuf, voire du ver de terre (ramper), à l’aigle, et de la terre au ciel. Or ce scénario d’élévation, voire d'apothéose, n’est pas seulement celui qui doit donner sens à l’ensemble de la carrière oratoire du prélat : il est censé se rejouer, en abrégé, dans chacun des manuscrits – mais bien sûr de manière plus ténue, au point que l’éditeur n’hésite pas, pour le rendre sensible, à le dramatiser à l’extrême : « Nous voulons vous le montrer, quoiqu’à l’apogée de sa gloire, composant des morceaux indignes d’un élève de seconde, soit comme pauvreté de pensées, soit comme extrême faiblesse dans le choix des épithètes. »

      Pour Choussy, l’édition du fac-similé d’un sermon isolé suffira à prendre la mesure de ce mouvement irrésistible du progrès stylistique, qui permet d’ordonner les variantes, non seulement sur un axe chronologique, mais sur un axe axiologique. Cet axe n’est plus, comme dans la tradition philologique dont se réclamait Deforis, celui du vrai et du faux, de la leçon authentique contre les versions apocryphes : c’est l’axe qui va du laid vers le beau, et qui dessine entre eux une édifiante et formatrice hiérarchie.

      Ainsi, là où pour d’autres éditeurs, ces variantes se résorbent de facto dans la dernière version, version sinon achevée du moins finale, sur laquelle l’auteur n’est plus intervenu et sur laquelle doit se concentrer l’attention СКАЧАТЬ