" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ n’est jamais poussée jusqu’à l’élimination de la concurrence car l’expérience de l’écriture collective exige de la part des participantes une mise en commun des compétences. Cette visée collaborative est particulièrement visible dans la mise en œuvre du dit satirique sur lequel Bussy a bâti sa réputation d’écrivain et qui constitue également un des pivots de sa correspondance. Tout comme pour la chaîne informationnelle, l’entreprise satirique bénéficie du système de relais mis en place dans le réseau épistolaire. Dans une lettre de Mme de Montmorency, il est question d’une corniche qui aurait blessé Mme de Lafayette à la tête. La réplique plaisante de Bussy – « Si l’on peut vous dire une turlupinade, ce n’est pas la plus illustre tête que les corniches, et même les cornes, n’aient pas respecté11 » – recycle un bon mot de Sévigné dont il faisait les frais : « Mme d’Époisses m’a dit qu’il vous étoit tombé une corniche sur la tête qui vous avait extrêmement blessé. Si vous vous portiez bien et que l’on osât dire de méchantes plaisanteries, je vous dirais que ce ne sont pas des diminutifs qui font mal à la tête de la plupart des maris […]12. » La galanterie, dans sa version satirique aussi bien qu’honnête, est l’œuvre du groupe ; quand elle s’écrit, c’est collectivement ; d’où un effet de surenchère. La verve satirique des amies de Bussy étonne parfois par ses audaces, comme lorsque Montmorency commente la conduite du mari de Mme de M***, qui a donné au roi et au Parlement la lettre de sa femme à M. de R*** : « Ainsi, n’étant point cocu de chronique, au moins le sera-t-il de registre13. » Prenant le contre-pied des manuels épistolaires qui prônent la décence et la retenue, Bussy encourage ses troupes à passer outre :

      A quoi me sert de savoir que M. de Gramont a dit quelque plaisanterie à madame de la Baume, si je ne sais ce que c’est ? Mais vous pourriez bien me le mander si vous vouliez prendre la peine d’envelopper la chose. Pour moi, je vous déclare qu’il n’y a ordure au monde que je ne vous dise, quand il s’en présentera occasion sans vous faire rougir. Paraphrasez donc un peu, madame, et me mandez le beau dit de M. de Gramont.14

      Véritable atelier d’écriture satirique, la correspondance de Bussy constitue une occasion rare pour des femmes de s’exercer dans un genre dont elles sont plus souvent les cibles que les utilisatrices.

      Enfin, les amies de Bussy composent une satire au sens étymologique du terme en agrémentant leurs lettres de créations de leur plume qui empruntent à tous les genres. On pourrait composer un recueil de pièces diverses, dans le goût du temps, avec les bouts-rimés que Dupré produit à la chaîne, le chef-d’œuvre héroï-comique que Montmorency compose sur l’altercation entre Mme de la Baume et Mlle du Mény sur le porche de l’église des Grands-Jacobins15, l’élégant portrait de Rapin par Scudéry ainsi que ses réflexions sur le thème de l’amitié. En faisant de sa correspondance un lieu privilégié de circulation des écrits féminins, Bussy fournit aux épistolières un antidote précieux à l’obstacle des convenances. Ainsi, lorsqu’il donne son accord à Dupré, qui souhaite montrer à Conrart les bouts-rimés qu’ils ont composés ensemble, c’est en expliquant que la « réputation d’écrire », si elle ne convient pas à l’honnête homme, a fortiori à l’honnête femme, est parfaitement acceptable entre amis :

      Je consens que vous montriez mes amusements à M. Conrart. Si j’étois avec lui, je lui montrerois des choses plus sérieuses, quelque délicatesse que j’aie sur la réputation d’écrire que la plupart du monde donne fortement à un homme de qualité qui écrit pour s’occuper, comme à un auteur qui écrit pour être imprimé ; mais on ne doit rien avoir de caché pour un ami comme M. Conrart, qui sait faire des distractions.16

      L’Histoire de Bussy et Bélise

      Cependant, les correspondantes de Bussy n’ignorent pas que le pacte de circulation restreinte auquel il se réfère a été sérieusement ébranlé par le régime de diffusion de son œuvre satirique1. Il ne leur a pas échappé non plus qu’elles doivent en partie leur « élection » aux liens qui les unit à l’ancienne amante de Bussy, qu’il accuse de l’avoir trahi pendant sa prison. C’est donc en toute connaissance de cause qu’elles acceptent la mission risquée qui consiste à composer la suite de l’« Histoire de Bussy et de Bélise », première « saison » des amours de Bussy et de Mme de Montglas, sur laquelle se clôt l’Histoire amoureuse des Gaules. Tout commence par un concert de médisances, qui peut laisser penser qu’on va avoir affaire à un lynchage épistolaire semblable à celui dont la comtesse de Marans, alias Mélusine, fait les frais dans le réseau sévignéen en 1671. Mme de Montmorency affirme que son amitié ne mérite pas d’être comparée « à celle de qui vous savez » et encourage Bussy à lui envoyer « tous les petits vers que vous feriez sur elle2 ». La comtesse de Fiesque rapporte une retraite suspecte de Mme de Montglas « dans le plus misérable état du monde » et se vante d’avoir « dépétré » Bussy de sa « folle passion3 ». Dans un premier temps, nulle ne songe à contester la version de l’amoureux trahi : « C’est comme la dame que vous savez : si elle ne m’avoit fait qu’une escapade, comme celle à quoi elle étoit sujette, je ne m’en serois jamais guéri, mais le tour qu’elle m’a fait m’a entièrement dégagé4. » Cependant, d’objet du discours médisant, l’incontournable Montglas ne tarde pas à s’imposer comme la véritable destinataire des récriminations de Bussy, en figurant en tiers dans ses échanges avec ses amies. La correspondance fonctionne alors comme un forum où les anciens amants communiquent par amies interposées : « Je n’ai pas eu de ses nouvelles il y a fort longtemps. Je vous envoyai une de ses lettres il y a six semaines. Vous ne me mandez point que vous l’ayez reçue : tout ce que je sais d’elle, c’est qu’elle fait une assez triste vie5. » Montmorency se prête volontiers à la manœuvre, en permettant à Bussy de s’adresser à son ancienne maîtresse par son intermédiaire, puis en donnant la parole à Mme de Montglas dans un chef-d’œuvre de lettre à quatre mains :

      Mon amie vient de lire ma missive et me prie de vous écrire encore quelque chose de plus impertinent ; mais cela m’est impossible, de la dernière impossibilité : c’est pourquoi je finis en vous assurant que nous vous désirons, que nous aurions volontiers noyé Madame de *** si vous aviez pu prendre sa place, et que pour vous voir, nous ferions de bon cœur un péché mortel. N’allez pas prendre cela de travers, mon cher, et vous imaginer des choses à quoi nous ne pensons pas.6

      La réponse badine des épistolières aux invectives du « pauvre abandonné » nous incite à considérer avec précaution une posture qui n’a pas manqué de susciter l’étonnement des commentateurs7. Ne s’agit-il pas avant tout pour cet auteur à scandale de poursuivre, avec le concours des co-épistolières, la publication de ses amours malheureuses ? De fait, la riposte de la coalition féminine aux vers vengeurs de Bussy donne lieu à une sorte de concours poétique, chaque contributrice choisissant dans l’éventail des petits genres mondains celui qui lui convient le mieux :

      Vous êtes encore trop en colère contre votre ancienne maîtresse. Ne vous y trompez pas : On voit toujours l’amour dans le dépit / Et jamais dans l’indifférence ; / Et quoiqu’enfin l’on fasse tant de bruit, / On aime encore plus qu’on ne pense. Votre colère cependant me divertit fort.8

      Après avoir exprimé quelque réticence à traiter le sujet imposé, Scudéry se joint au concert en soulignant une fois de plus la dynamique de groupe et en composant un habile portrait de Bussy en héros de roman :

      Mon Dieu ! que je vous trouve encore amant ! Vous ne sauriez vous taire de cette dame : on ne parle pas tant de ce qu’on n’aime pas ; avouez-le donc ; mais il n’est pas vrai que vous n’en parliez qu’à moi ; vous en avez écrit à mademoiselle Dupré. Je pense même que vous en parlez aux bois, aux échos et aux rochers, selon la louable coutume des amants.9

      La clairvoyance de l’épistolière épingle ici la passion de Bussy moins pour son « Infidèle » que pour la publication СКАЧАТЬ