Название: " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle
Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
Серия: Biblio 17
isbn: 9783823302285
isbn:
Après un sommaire état des lieux des manuscrits autographes de Bussy-Rabutin parvenus jusqu’à nous, on analysera les stratégies de destination qu’il revendique et le discours qu’il tient sur le manuscrit comme objet. On envisagera ensuite, chez lui, le manuscrit comme un texte dont la (re)copie tend à le rapprocher de l’imprimé par le passage vers une forme plus lisible, tout en lui conservant une grande plasticité, et vers des déclinaisons qui font le pari du morceau choisi offert au public, qui sont autant d’embryons de textes programmant une postérité.
État des lieux
Qui entreprend d’éditer les textes de Bussy-Rabutin est un chanceux : les manuscrits autographes de la plupart de ses œuvres sont connus et bien conservés. On a ainsi pu, ces dernières années, apprécier diverses éditions inédites, notamment de ses discours à ses enfants et de ses chansons. Seuls ses Mémoires et sa correspondance sont réputés en partie perdus. On ne dispose pour l’heure que de l’édition qu’en donna Ludovic Lalanne en 1854, sur des manuscrits disparus et des éditions encore antérieures.
Ainsi, des dix tomes que composent les Mémoires, trois, intitulés Suitte des Mémoires du comte de Bussy-Rabutin, sont conservés au département des manuscrits (Richelieu) de la Bibliothèque nationale de France, sous les cotes 10334-10335-10336 : il s’agit des tomes VIII, IX et X. Reliés de maroquin rouge, ces in-quarto sont abondamment annotés et raturés, soit de la main même de Bussy-Rabutin, soit de celle de Bouhours, qui fut chargé de la première édition de ce texte par l’une des filles du mémorialiste, Louise-Françoise de Coligny. En 2008, Mireille Gérard « pens[ait] d’ailleurs que le manuscrit de l’Institut (no 700), qui porte le même titre, [serait] sans doute le sixième volume de ces Mémoires qui mêlent récits et lettres1 ». Duchêne, lui, l’identifie comme une source « de qualité inférieure. [Une copie] établie à l’intention du Roi comme Bussy l’a expliqué à sa cousine en 1680. […] C’est en effet un abrégé, dans lequel Bussy a corrigé et choisi ce qui pourrait lui attirer la bienveillance du Roi ; les lettres s’en trouvent comme recomposées2 ». Ce manuscrit, qui est certes une copie autographe, ne comporte pas de tomaison. Il n’est ni annoté, ni raturé. Le texte débute « au commencement de l’année 1673 » et s’achève sur une lettre du 7 octobre 1676. Le huitième tome conservé au département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu débute, lui, « au commencement de l’année 16773 ». Tout porte ainsi à croire qu’abrégé ou non le volume conservé à la bibliothèque de l’Institut correspond au septième tome des Mémoires, c’est-à-dire à un volume réputé perdu. Il nous semble s’agir ou bien d’un volume d’apparat, ou effectivement d’une partie des textes envoyés à Louis XIV, comme le suggère Duchêne. La concentration des événements des années 1673 à 1676 ne permet cependant pas d’envisager, comme il le suggérait, que cet unique volume soit un simple abrégé des Mémoires : l’intitulé, Suitte des Mémoires du comte de Bussy-Rabutin, autant que la construction de l’ensemble, similaire à celle des autographes du département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu, laisse penser que nous avons affaire à une série complète de textes, ou à l’extraction, parmi tous les volumes rédigés par Bussy-Rabutin, d’un septième, à l’intention du roi. En tout cas, ce manuscrit ne saurait constituer une « source de qualité inférieure », malgré l’absence de son double original.
L’Histoire généalogique de la maison de Rabutin n’a pas été rééditée depuis 18664. On a pu en dénombrer deux manuscrits autographes, l’un conservé au département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu, sous la cote Rothschild 3149 (Fig. 1) ; un autre à la bibliothèque de l’Arsenal, sous la cote Ms 4159 (Fig. 2). Ce dernier semble l’autographe original, quand l’autre est vraisemblablement une copie autographe destinée à être envoyée à la duchesse de Holstein, correspondante et cousine de Bussy-Rabutin5.
Enfin, le Discours du comte de Bussy à sa famille sur le bon usage des prospérités est conservé au département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu sous la cote NAF 4208 ; le Discours du comte de Bussy à sa famille sur le bon usage des adversités est, lui, conservé à la bibliothèque Mazarine, sous la cote 2188.
Aristocratie et circulation
Si Bussy-Rabutin parle en fait assez peu de la distinction à faire entre imprimé et manuscrit et ne commente pas de front sa propre pratique de l’écrit, quelques réflexions tirées de sa correspondance en révèlent une conception aristocratique :
Vous me demandez mon sentiment sur votre livre de la Comparaison de Cicéron et de Démosthène, je vous déclare qu’il m’a charmé. […] Tout ce qui m’en déplaît, c’est qu’il soit imprimé : je voudrais que les seules personnes capables d’en connoître les beautés l’eussent en manuscrit ; car enfin, quand je songe que cent mille sottes gens peuvent le lire sans savoir ce qu’il vaut, cela me donne du chagrin.1
La distinction entre le manuscrit et l’imprimé apparaît ici nettement. Le manuscrit est un objet aristocratique, qu’on présente à des élus, opposés aux « sottes gens ». Il circonscrit en outre la possibilité d’avoir accès au texte. Le texte manuscrit, pour Bussy-Rabutin, mobilise une communauté choisie. C’est en cela que Bussy-Rabutin se trouve à la jonction entre le statut d’auteur « de profession » et le statut d’amateur. Son rapport à l’écrit participe tout entier d’un ethos aristocratique : la mise à distance d’une écriture qui serait donnée au public permet de motiver la constitution d’une société mobile, virtuelle, fédérée par le texte et le rapport privilégié que la trace manuscrite peut nouer. En effet, ce qu’a l’impression de néfaste, c’est qu’elle atteint « mille […] gens » : elle dépasse tout exercice de sociabilité contrôlée, policée, qui correspondrait à un idéal d’honnête homme2. L’imprimé est une perte de contrôle sur le texte. Or, pour Bussy-Rabutin, exilé dix-sept ans dans ses terres bourguignonnes, le texte est l’unique medium qui le relie encore à la société mondaine, savante ou aristocratique : c’est pourquoi le contrôle de la circulation de ses textes lui est fondamental. Il crée, par la correspondance certes, mais aussi par une politique d’envoi et de renvoi de ses œuvres, une communauté dont il se fait le centre. En témoignent notamment la question des manuscrits de son Histoire généalogique et ceux de ses Mémoires.
Bussy-Rabutin parle pour la première fois de son Histoire généalogique de la maison de Rabutin à Sévigné en 16703. L’autographe conservé au département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu est pour nous d’un intérêt tout particulier, parce qu’il s’inscrit dans une tentative d’assurance de la solidarité familiale par le texte. Il semble s’agir d’un manuscrit d’apparat réalisé pour servir de don aristocratique entre membres d’une même maison4. La reliure porte les armes de Bussy-Rabutin, et celles de Holstein (Fig. 3)5. L’exemplaire de l’Arsenal, lui, porte sur les plats les armes de Louise-Françoise de Coligny, fille de Bussy, et celles des Rabutin, selon le témoignage de son éditeur du XIXe siècle6. On peut dès lors juger que cet exemplaire est celui qui est demeuré dans la famille du Bussy-Rabutin, puisqu’il a été transmis à sa descendante.
Pour l’exemplaire de la bibliothèque Richelieu, la notice du catalogue des Manuscrits7 indique que :
Comme l’a fait observer le rédacteur du Catalogue de manuscrits publié par la librairie Techener en 1862 (n° 155), la duchesse de Holstein, n’appartenant pas à la branche de Chantal, ne pouvant porter que les armes de Holstein accompagnées des armes simples de Rabutin : cinq points d’or équipollés à quatre de gueules. On est donc fondé à croire que le volume a été relié pour Bussy СКАЧАТЬ