Название: " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle
Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
Серия: Biblio 17
isbn: 9783823302285
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On discerne toutefois des liens multiples et variés entre les correspondantes de la première heure. Liens familiaux d’abord : d’après Mireille Gérard, « la plupart des correspondants de Bussy en 1666 sont en fait de proches parents4 ». Moyennant la conception extensible de la notion de cousinage, l’épistolier peut s’estimer apparenté à des degrés divers à Sévigné, Fiesque, Gouville, Guiche et jusqu’à la Grande Mademoiselle. Dans ce réseau familial entendu au sens large se dessinent également d’étroits liens politiques : plusieurs épistolières font partie de l’entourage de Mlle de Montpensier – c’est le cas de Fiesque et de Scudéry – et ont été mêlées, comme Gouville, aux intrigues de la Fronde5. Myriam Tsimbidy, qui s’est penchée sur la correspondance de Bussy avec Mademoiselle, montre que des liens d’estime, voire d’amitié existaient entre eux6. En 1662, alors que la princesse est exilée à Saint-Fargeau après le refus du mariage portugais, Bussy lui adresse de véritables gazettes sur tous les événements de la cour. En 1666, dans l’entourage de cette princesse, on s’empresse donc de retourner la faveur en permettant à l’exilé de demeurer en contact avec le centre des nouvelles et en jouant les intermédiaires : Fiesque s’offre pour faire pression sur ceux qui travaillent au retour en grâce, Scudéry est en relation étroite avec Saint-Aignan, principal soutien de Bussy auprès de Louvois, et Dupré assure la liaison avec des personnalités du milieu lettré comme Conrart, Bouhours et Rapin.
Ensuite, la plupart des correspondantes sont liées d’amitié et se fréquentent assidûment. La « Comtesse » (de Fiesque) figure régulièrement dans les listes d’amis et de proches dont Sévigné transmet les compliments et les nouvelles à sa fille7. Bussy, quand il s’adresse à ce réseau amical, doit tenir compte du fait que ses interlocutrices se fréquentent au quotidien, sous peine de se faire gentiment moquer de lui :
Je me trouvai hier chez Mme de Montglas, qui avait reçu une de vos lettres, et Mme de Gouville une autre ; je croyais en trouver une chez moi. Mais je fus trompée dans mon attente, et je jugeai que vous n’aviez pas voulu confondre tant de rares merveilles.8
La plaisanterie, qui associe avec élégance le reproche et l’excuse, assure discrètement la promotion du groupe des correspondantes. Et tandis que Bussy doit fournir aux attentes de chacune, les épistolières s’associent aussi bien dans la lecture que dans l’écriture et l’expédition des lettres :
Je vous dirais que je n’ai point reçu ce paquet de votre part, dans lequel vous me mandez qu’il y avoit deux lettres de vos amies.9
Je vous assure, monsieur, que je vous ai écrit une grande lettre de l’hôtel de Sully : la duchesse vous fit même un compliment dans ma lettre et badinoit avec vous ; nous vous mandions toutes les nouvelles.10
J’arrive de la campagne de mon côté et notre cousine [de Fiesque] du sien. La première chose à quoi nous pensons, c’est à vous écrire et à vous prier d’envoyer chez moi prendre nos deux portraits […]. La comtesse dit qu’elle ne vous écrit pas mais que vous n’en êtes pas moins persuadée de son amitié. Entre vous deux le débat.11
Loin de n’être qu’une commodité postale, la tactique du tir groupé renforce l’avantage des épistolières, autorisant l’appel à témoin en cas de litige (lettres perdues, manque d’assiduité). Toute nouvelle recrue se recommande du groupe. Quand Mme de Scudéry prend l’initiative d’écrire à Bussy, elle met d’abord en avant la pression de ses amies – « Je crois qu’elles se sont imaginé que nous nous connoissions encore plus que nous faisons » –, puis déclare faire équipe avec Mlle Dupré, autre ennemie de la galanterie : « Nous sommes inséparables. C’est la meilleure amie que j’aie au monde12. » Enfin, son amitié pour Mme de Montmorency13 montre que des recoupements sont possibles entre le cercle des muses savantes et celui des muses galantes. Les lettres de Bussy doivent tenir compte de cette dynamique de groupe et du fait qu’une allocutaire peut en cacher une autre :
Pour Mlle de Vandy, je lui ai lu l’endroit de votre lettre où vous me mandez la manière dont vous feriez galanterie si vous étiez une dame : elle en a extrêmement ri. Enfin elle m’a prié de vous le mander et qu’elle était toujours votre servante.14
C’est donc bel et bien un réseau de soutien épistolaire féminin qui se forme et s’organise autour de l’exilé, dont il est d’abord question de conjurer la mort sociale. En retour, les épistolières aménagent habilement un régime de publicité acceptable car calqué sur des pratiques plébiscitées par la société honnête. Le groupe se porte garant de l’activité d’écriture individuelle, suspecte dans un domaine où les femmes ne sont pas les bienvenues. La circulation intense des lettres désigne un autre régime de publication, dont les produits sont privés certes du privilège officiel mais appréciés à leur juste valeur par une secte d’amateurs éclairés. Si Bussy est courtisé par les épistolières, c’est moins du fait de son aura galante que de sa capacité à « distribuer » leur production sous un label indépendant.
Un atelier d’écriture
Nathalie Grande note chez Mme de Scudéry, la correspondante la plus assidue de Bussy après Sévigné, la satisfaction visible de s’associer par lettres à « un homme recherché pour son esprit, son goût et son style1 ». Toutefois, l’émulation entre des épistolières qui doivent compter avec la concurrence nous paraît tout aussi décisive pour la dynamique de l’échange. L’étude de Laure Depretto sur l’écriture de l’information dans la correspondance de Sévigné a mis en lumière les mécanismes de la lettre de nouvelle et la concurrence sourde entre les épistoliers qu’elle implique dans le régime de sociabilité qui caractérise cette période2. De telles rivalités sont aisément repérables parmi les amies de Bussy qui se font fort de le tenir informé des dernières nouvelles de la cour et de la ville. Ainsi, Mme de Montmorency3 cultive un art consommé de la brève : « Le roi de Portugal a cédé sa femme et son royaume à son frère, ne sachant se servir ni de l’un ni de l’autre4. » Mais sur ce terrain, elle doit faire face à la concurrence de la comtesse de Fiesque : « il y a la plus grande gueuserie parmi les courtisans que vous ayez jamais vue. On parle fort de la paix, et on commence à la souhaiter, parce qu’on ne voit pas que la guerre serve de beaucoup5 » ; de Mlle Dupré : « Saint-Pavin est tombé en apoplexie ; il n’est pas encore bien guéri. M. de Racan a fait pis : il est mort6 » ; et de Mlle d’Armentières : « Le Tellier est inconsolable de la mort de sa fille. Il y a deux hommes ici qui sont morts de la peste. Si cela continue, je crois que j’irois en original dans votre galerie7 ». Les compliments de Bussy viennent alors récompenser les efforts des co-épistolières et souligner les réussites :
Au reste, Madame, vous me surprenez par les nouvelles que vous me mandez de la guerre : je suis assuré qu’il y a plus d’un officier général en France qui n’en parle ni qui n’en écrit pas si bien que vous […]. Je reçois encore des nouvelles d’ailleurs mais elles ne sont ni si bonnes ni si bien écrites que les vôtres.8
Les nouvellistes sont non seulement jugées sur la qualité des informations fournies mais aussi sur leur savoir-faire et leurs dons d’écrivaines. En outre, la compétition s’intensifie quand l’actualité fournit des occasions en or. On voit ainsi revenir à la charge des épistolières dont les soins s’étaient relâchés, au moment où l’affaire Lauzun et le feuilleton La Vallière font la une des gazettes à la main. En 1671, Montmorency quitte le style percutant de la brève dans lequel elle s’est illustrée pour expédier une série de relations brillantes. Or ces morceaux de bravoure interviennent au moment où la brillante Scudéry menace de supplanter ses concurrentes dans la course à l’information : « je crois que vous avez quelque correspondant mieux informé que je ne le suis, et СКАЧАТЬ