" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ ne lui a vraisemblablement jamais été délivré9, ce qui pourrait expliquer sa présence dans les collections françaises, et permettre d’identifier ce manuscrit comme celui que Bussy-Rabutin destinait à sa parente par alliance. Ce que dit la reliure d’une stratégie de diffusion fondée sur l’élection d’une famille, sur les honneurs rendus d’une branche à l’autre de la maison par-delà les frontières, doit être rapporté à l’importance revendiquée du caractère autographe de la copie :

      Je l’ai toute écrite de ma main, et pour cela, il m’a fallu beaucoup plus de temps que si je l’avais fait copier par des écrivains ; mais cela marque plus l’envie que j’ai eue de vous plaire. Je ne vous en dirai rien davantage, car il y a une lettre pour vous à la tête de la branche que vous avez honorée de votre alliance.10

      Le commentaire s’intéresse à la pratique de la copie autographe, ici présentée comme le gage d’une affection particulière, rapport inscrit dans l’acte physique de la copie, qui institue une dialectique entre l’encre et le sang. La lettre, insérée dans les deux manuscrits, dont fait état Bussy-Rabutin se situe au commencement de l’histoire de la branche qu’a intégrée la duchesse de Holstein ; le texte d’ensemble, lui, débute sur une lettre à Sévigné. Si la généalogie offerte à la duchesse de Holstein peut permettre de l’intégrer à la communauté familiale, celle offerte à Sévigné sert à maintenir des liens d’amitié et à réactiver la relation familiale des deux épistoliers, l’une étant, du reste, reconnue comme chef de famille par l’autre. Cette composition particulière implique des lectures programmées en fonction du destinataire choisi : l’œuvre a un double commencement, selon qu’on est Sévigné, selon qu’on est Holstein, à partir de deux points déterminés du texte. La présence des deux lettres dans chacun des manuscrits suggère aussi la mise en évidence d’un lien indirect entre la duchesse de Holstein et la marquise de Sévigné, toutes deux appartenant à une même communauté dont l’élément central et moteur est le comte de Bussy-Rabutin, cousin des deux et garant, par sa pratique du manuscrit fait à l’attention de la parentèle, de la solidarité familiale.

      L’association de la pratique du manuscrit à la matière familiale n’est pas innocente. Certes, des effets de personnalisation à l’œuvre – une écriture réalisée soi-même pour l’autre – servent le rapport interpersonnel, mais le manuscrit s’accorde tout particulièrement à des usages familiaux du texte, notamment par sa plasticité.

      Plasticité et familiarité

      « Ce qui arriva aux manuscrits à l’époque où l’on pouvait désormais en avoir des copies grâce à l’artifice de l’imprimerie fut que, loin de disparaître, ils se spécialisèrent dans la satisfaction de pratiques ou de fonctions déterminées que l’imprimerie ne remplissait pas de façon adéquate. Nous nous trouverions, alors, devant un exemple d’accomodatio, de plasticité circonstancielle, d’industrieuse capacité d’adaptation aux usages culturels qu’il fallait couvrir », pour reprendre les analyses de Fernando Bouza1.

      L’une des pratiques à laquelle on peut aisément associer le constat de F. Bouza est l’écriture familiale, qui se tient en équilibre entre identité individuelle et identité collective. Les manuscrits de Bussy-Rabutin révèlent qu’il n’écrit pas des îlots indépendants, mais un ensemble continu qui constitue un système d’écriture familiale :

      Si j’avois du mérite et des bonnes qualitez, je perdrois l’honneur d’un éloge en parlant moy môme de moy. Il est vray que mes Mémoires peindront assez mon cœur et mon esprit, et mes portraits feront voir comment étoit faitte ma personne.2

      On voit ici à quel point les écrits de Bussy-Rabutin renvoient les uns aux autres. Ils sont écrits dans les mêmes conditions, pour les mêmes motifs :

      Pendant que j’étais dans la Bastille, je me mis dans la tête d’écrire mes campagnes ; il y a trois ans que je trouvai ce travail assez beau pour m’obliger à l’étendre davantage et faire ce qu’on appelle des Mémoires. […] Comme il y a un an que cela est achevé, il m’a pris fantaisie d’écrire la vie de mon père, dont j’ai vu la fin et dont j’ai appris le commencement par ses papiers. J’en suis venu à bout, et de celle de mon grand-père, de sorte que je remonte présentement jusqu’à mon aïeul, c’est-à-dire par la droite ligne, car pour les collatéraux, je ne les nommerai qu’en passant. Ce sera donc une Histoire généalogique de notre maison, qui sera aussi exacte, moins flatteuse et plus agréablement écrite que si les gens du métier l’avaient faite.3

      L’Histoire généalogique, en dépit de son apparente autonomie, appelle à un renvoi vers les Mémoires et les portraits. On voit ici comment un texte vient s’insérer dans l’autre. De la même façon que l’on peut se reporter aux Mémoires pour combler une lacune calculée de la généalogie, L’Histoire amoureuse des Gaules trouve un écho important dans les devises du château de Bussy. Chaque œuvre de Bussy-Rabutin est soutenue par une invitation à se servir des autres œuvres pour la compléter. En outre, Bussy-Rabutin laisse des blancs dans ses manuscrits. Ainsi, le manuscrit de LHistoire généalogique conservé à la bibliothèque de l’Arsenal a été parfois complété par l’auteur lui-même, là où celui du fonds Rothschild demeure incomplet. La notice généalogique concernant Amé de Rabutin, fils du comte, présente ainsi sa situation en 1684 dans l’exemplaire de l’Arsenal, quand l’exemplaire du département des manuscrits de la bibliothèque Richelieu s’arrête en 16834. Le manuscrit destiné à circuler dans la famille – celui de l’Arsenal, l’autre étant, on l’a vu, un manuscrit d’apparat pour la duchesse de Holstein – invite les successeurs du généalogiste à poursuivre son entreprise. De la sorte, à l’instar d’un livre de raison, la généalogie devient une œuvre à potentiel collectif5.

      La forme manuscrite favorise cette plasticité : c’est uniquement sous la caution manuscrite que le texte rejette une forme unique et peut appeler à être amendé au fur et à mesure des générations, sans neutraliser la fonction de solidarité familiale induite par la pratique de l’écriture de la main propre. On peut ainsi se permettre de reposer la question des lourdes modifications souvent apportées par les héritiers. Les discours de Bussy ont largement été corrigés par sa fille et par le père Bouhours ; il y a fort à penser que les manuscrits de Bussy-Rabutin sont conçus pour supporter ces passages de main en main et ces modifications.

      On se trouve en présence d’une même modalité d’écriture, qu’on pourrait qualifier d’auto-familiale. L’Histoire généalogique se présente en annexe des Mémoires ; eux-mêmes sont redoublés par le Discours à ses enfants sur le bon usage des adversités, où Bussy-Rabutin écrit un abrégé de sa vie, intégrée à une lignée d’« illustres malheureux ». Tous ces textes participent d’un même mouvement d’écriture, sont considérés de la même manière par leur auteur, et jouissent d’une même stratégie de destination : ils sont adressés aux enfants ou à la famille proche, ils sont sujets de la correspondance, l’intègrent parfois – c’est le cas des Mémoires – ou y sont joints. Il y a un véritable continuum entre les œuvres de Bussy-Rabutin : tout est contenu dans tout. L’écriture manuscrite, qui consacre le processus d’élection aristocratique du texte et de ses lecteurs, sert alors pleinement de liant et apporte à l’ensemble une homogénéité manifeste. Cette homogénéité est largement favorisée par la plasticité qu’autorise la pratique manuscrite. La copie comme les modifications du texte – qui ne sont jamais tant des corrections que des enrichissements – permettent d’infléchir le texte en fonction de ses destinataires et de ses usages, entre lecture à plaisir ou volonté de transmission de la mémoire familiale.

      Cette idée du plaisir du texte nous invite par ailleurs à penser la plasticité du manuscrit comme le moyen de le mettre au СКАЧАТЬ