Название: Les soirées de l'orchestre
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Историческая литература
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32056
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«Appelez-moi, je reviendrai
Appelez-moi, je…»
Grand silence, interrompu seulement par le bruit des gouttes de sueur qui tombent du front de l'époux sur la table du piano humilié. Le sultan reste immobile; nos deux voyageurs n'osent se retirer, quand ce nouveau mot: «Boulack!» sort de ses lèvres au milieu d'une bouffée de tabac. L'interprète: «Monsieur, Sa Hautesse m'ordonne de vous dire qu'elle désire vous voir danser. – Danser! moi? – Vous-même, monsieur. – Mais je ne suis pas danseur, je ne suis pas même artiste, j'accompagne ma femme dans ses voyages, je porte sa musique, son châle, voilà tout… et je ne pourrai vraiment… – Zieck! Boulack!» repart vivement le sultan en lançant un nuage gros de menaces. Lors, l'interprète très-vite: «Monsieur, Sa Hautesse m'ordonne de vous dire que si vous ne dansez pas tout de suite, elle va vous faire jeter dans le Bosphore.» Il n'y avait pas à balancer, et voilà notre malheureux qui se livre aux gambades les plus grotesques, jusqu'au moment où le sultan, caressant une dernière fois sa barbe, s'écrie d'une voix terrible: «Daloum be boulack! Zieck!» L'interprète: «Assez, Monsieur; Sa Hautesse m'ordonne de vous dire que vous devez vous retirer avec madame et partir dès demain, et que si jamais vous revenez à Constantinople, elle vous fera jeter tous les deux dans le Bosphore.»
Sultan sublime, critique admirable, quel exemple tu as donné là! et pourquoi le Bosphore n'est-il pas à Paris?
La chronique ne m'a point appris si le couple infortuné poussa jusqu'en Chine, et si la tendre chanteuse obtint des lettres de recommandation pour le céleste empereur, chef suprême du royaume du milieu. Cela est probable, car on n'en a plus entendu parler. Le mari, en ce cas, aura péri misérablement dans la rivière Jaune, ou sera devenu premier danseur du fils du Soleil.
– Cette dernière anecdote au moins, reprit le harpiste, ne prouve rien contre Paris.
– Quoi! vous ne voyez pas ce qui en ressort évidemment?.. Elle prouve que Paris, dans sa fermentation continuelle, donne naissance à tant de musiciens de toute espèce, de toutes valeurs, et même sans valeur, que, sous peine de s'entre-dévorer comme les animalcules infusoires, ils sont obligés d'émigrer, et que la garde qui veille aux portes du sérail n'en défend plus aujourd'hui même l'empereur des Turcs.
– Ceci est bien triste, dit le harpiste en soupirant: je ne donnerai pas de concert, je le vois. C'est égal, je veux aller à Paris.
– Oh! venez à Paris; rien ne s'y oppose. Bien plus, je vous prédis d'excellentes et nombreuses aubaines, si vous voulez y mettre en pratique le système si ingénieusement employé par vous à Vienne pour faire payer la musique aux gens qui ne l'aiment pas. Je puis, à cet égard, vous être d'une grande utilité, en vous indiquant la demeure des riches qui la détestent le plus; bien qu'en allant jouer au hasard devant toutes les maisons de quelque apparence vous fussiez à peu près sûr de réussir une fois sur deux. Mais, pour vous épargner des improvisations vaines, prenez toujours ces adresses dont je vous garantis l'exactitude et la haute valeur:
1º Rue Drouot, en face de la mairie;
2º Rue Favart, vis-à-vis la rue d'Amboise;
3º Place Ventadour, en face de la rue Monsigny;
4º Rue de Rivoli, je ne sais pas le numéro de la maison, mais tout le monde vous l'indiquera;
5º Place Vendôme, tous les numéros en sont excellents.
Il y a une foule de bonnes maisons rue Caumartin. Informez-vous encore des adresses de nos lions les plus célèbres, de nos compositeurs populaires, de la plupart des auteurs de livrets d'opéras, des principaux locataires des premières loges au Conservatoire, à l'Opéra et au Théâtre-Italien; tout cela pour vous est de l'or en barres. N'oubliez pas la rue Drouot, et allez-y tous les jours; c'est le quartier général de vos contribuables.»
J'en étais là quand la cloche m'avertit du départ du convoi. Je serrai la main du harpiste vagabond, et m'élançant dans une diligence: Adieu, confrère! au revoir à Paris. Avec de l'ordre et en suivant mes avis, vous y ferez fortune. Je vous recommande encore la rue Drouot.
– Et vous, pensez à mon remède contre l'amour double.
– Oui, adieu!
– Adieu!
Le train de Prague partit aussitôt. Je vis quelque temps encore le Styrien rêveur, appuyé sur sa harpe, et me suivant de l'œil. Le bruit des wagons m'empêchait de l'entendre; mais au mouvement des doigts de sa main gauche, je reconnus qu'il jouait le thème de la Fée Mab, et à celui de ses lèvres je devinai qu'au moment où je disais encore: «Quel drôle d'homme!» il répétait de son côté: «Quel drôle de morceau!»
Silence… Les ronflements de mon alto et ceux du joueur de grosse caisse, qui a fini par suivre son exemple, se distinguent au travers des savants contre-points de l'oratorio. De temps en temps aussi, le bruit des feuillets tournés simultanément par les fidèles lisant le sacré livret, fait une agréable diversion à l'effet un peu monotone des voix et des instruments. – «Quoi, c'est déjà fini? me dit le premier trombone. – Vous êtes bien honnête. Ce sont les mérites de l'oratorio qui me valent ce compliment. Mais j'ai réellement fini. Mes histoires ne sont pas comme cette fugue qui durera, je le crains, jusqu'au jugement dernier. Pousse, bourreau! va toujours! C'est cela, retourne ton thème maintenant! On peut bien en dire ce que madame Jourdain dit de son mari: «Aussi sot par derrière que par devant!» – Patience, dit le trombone, il n'y a plus que six grands airs et huit petites fugues. – Que devenir! – Il faut être justes, c'est irrésistible. Dormons tous! – Tous? Oh non, cela ne serait pas prudent. Imitons les marins, laissons au moins quelques hommes de quart. Nous les relèverons dans deux heures.» On désigne trois contre-bassistes pour faire le premier quart, et le reste de l'orchestre s'endort comme un seul homme.
Quant à moi, je dépose doucement mon alto, qui a l'air d'avoir respiré un flacon de chloroforme, sur l'épaule du garçon d'orchestre, et je m'esquive. Il pleut à verse: j'entends le bruit des gouttières; je cours m'enivrer de cette rafraîchissante harmonie.
TROISIÈME SOIRÉE
ON JOUE LE FREYSCHUTZ
Personne ne parle dans l'orchestre. Chacun des musiciens est occupé de sa tâche, qu'il remplit avec zèle et amour. Dans un entr'acte, l'un d'eux me demande s'il est vrai qu'à l'Opéra de Paris, on ait placé un squelette véritable dans la scène infernale. Je réponds par l'affirmative, en promettant de raconter le lendemain la biographie de ce malheureux.
QUATRIÈME SOIRÉE
UN DÉBUT DANS LE FREYSCHUTZ. – Nouvelle nécrologique. – MARESCOT. – Étude d'équarrisseur.
On joue un opéra italien moderne très-plat.
Les musiciens sont à peine arrivés que la plupart d'entre eux, déposant leur instrument, me rappellent ma promesse de la veille. Le cercle se forme autour de moi. Les trombones et la grosse caisse travaillent avec ardeur. Tout est en ordre; nous avons pour une heure au moins de duos et de chœurs à l'unisson. Je ne puis refuser le récit réclamé.
Le chef d'orchestre, qui veut toujours avoir l'air d'ignorer nos délassements littéraires, se penche un peu en arrière pour mieux écouter. La prima donna a poussé un ré aigu si terrible, que nous avons cru qu'elle accouchait. Le public trépigne de joie; deux énormes bouquets tombent sur la scène. La diva salue et sort. On la rappelle, elle rentre, resalue et ressort. Rappelée СКАЧАТЬ